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La route descendait la colline en ligne droite vers la propriété des Attila puis dessinait un coude à la lisière du champ cultivé par LeeRoy, pour le longer jusqu’à la ferme suivante puis sur le front de la falaise jusqu’aux Portes de Patalanne. Le carrosse roulant sur la pente chaotique appartenait à la flotte royale. Le blason de la famille flottait sur un petit étendard dressé de chaque côté du coche. Sur un fond bleu était représenté un plateau volant surmontant les flots de la mer de Dunia. A l’intérieur, deux jeunes femmes étaient ballottées dans tous les sens, rebondissant sur les banquettes matelassées de velours bleu. Les corps maltraités, elles essayaient de se stabiliser en s’agrippant aux poignées de cuivre fixées au-dessus des portes d’acajou.

— Bon sang, ce dernier dévers est toujours un supplice, surtout après deux jours de voyage, se plaignit la jeune fille blonde coquettement habillée d’une robe rose pale brodées de fleurs de fil d’or. J’ai les fesses endolories à bleu.

— Courage madame, c’est le dernier calvaire avant le confort du château, répondit sa voisine qui lui faisait face, du même âge, affublée d’une robe noire aux bretelles à froufrou blanche.

— J’espère que mon père se décidera enfin à paver cette route jusqu’au sommet du coteau. Ce serait la moindre des choses pour la réputation du royaume. Rubby ma chère, je loue ta présence et ta compagnie pendant cet atroce trajet.

— C’est ma tâche mais aussi un plaisir d’être à vos côtés princesse.

— Mon sentiment est mitigé entre la hâte d’arriver dans ma chambre, me prélasser dans un bon bain chaud et les préparatifs de la fête de l’Entre-Deux Lunes. Je méprise cette tradition de notre maison.

— Laquelle madame ?

— Celle de proposer un cheptel d’hommes en mariage pour les héritières au trône à partir de leur quinze ans et ce à chaque Entre-Deux Lunes jusqu’aux épousailles salutaires.

— Oh cela ! mais il est normal que votre père le roi recherche le meilleur parti pour sa fille.

— Je pense être capable de choisir par moi-même. Ce défilé de damoiseaux accoutrés tels des paons en représentation nuptiale est ridicule. Pour mon premier l’année dernière, mon humeur avait jonglé entre fous rires et agacement.

— La cuvée de cette année sera peut-être plus à votre goût.

— Je ne choisis pas le cochon de l’année à la foire agricole d’Ostogoss, Rubby…

Un choc brutal souleva violemment le carrosse. Les corps frêles décollèrent de leur assises et leurs têtes cognèrent douloureusement le plafond de la voiture. La servante tomba allongée sur le plancher entre les deux banquettes, la princesse lui chuta dessus. Le sol pencha anormalement vers le bas du côté de la roue arrière gauche. L’engin pris de la vitesse, bondissait, craquait de partout. La princesse agrippa l’assise, se cramponna à la poignée de la porte pour se hisser à la fenêtre latérale. Quelle fut sa stupeur quand elle vit à l’extérieur l’attelage des quatre chevaux s’éloigné par le côté trainant derrière lui les rênes, sanglons, collier de volée et autres timons dans un épais nuages de poussière. Un nouveau choc après le bris d’une haie de bois recolla la princesse au sol.

LeeRoy ne perdit point de vue le majestueux carrosse royal certes empoussiéré par de nombreuses heures de voyage. Ce flan de coteau est le point noir de l’accès immédiat à Patalanne. Le dénivelé était important et le chemin de terre se dégradait rapidement à mesure des intempéries successives. Une fois par mois, les villageois de Croch’Plateau était mis à contribution volontaire pour combler les nids de poule, évacuer les pierres descendues de la colline finissant leur course sur le chemin, et aplanir autant que faire se peut la voie. LeeRoy pensa aux malheureux passagers secoués dans leur luxueuse boite roulante en bois précieux. Les lames de fer servant d’amortissement étaient à l’agonie. Assis au sommet de la tête du dipcoy, le jeune homme jugeait que le coché menait son embarcation à trop vive allure. Soudain, il repéra un trou suivi d’un rocher lisse et plat qui avait émergé de la terre lors de la dernière pluie d’hier. L’obstacle semblait dangereux. Par reflexe, LeeRoy fit de grands gestes des bras pour alerter l’équipage. Naturellement il était trop loin et ses signes n’eurent aucun effet. Le carrosse roula de plein fouet dans la cavité puis percuta le rocher. Il bondit d’un pas et atterrit brutalement sur le chemin. Le choc délogea la roue gauche de l’essieu arrière et brisa net le timon de direction. Le coché perdit les rênes et vit son attelage galoper sur le côté et disparaitre hors du chemin. Il n’avait plus aucun contrôle. Il serra au maximum le frein général ; une simple lame d’acier frottant sur l’arbre de l’essieu arrière. Au contact de celle-ci, une gerbe d’étincelles brula sous le châssis, la lame se désintégra et le freinage nu aucun impact sur la course folle du carrosse. Les deux cavaliers de la garde royal menant le convoi furent dépassés ébahis. Après le cabrage de leurs chevaux, ils les relancèrent au galop à la poursuite de la voiture sans commande suivi de l’arrière garde. LeeRoy jugea la trajectoire et estima que l’engin fou se dirigeait pile sur lui. Le carrosse percuta la haie en bois de leur champ, la brisa et la coucha dans l’herbe. Les sillons de labours ne suffirent pas à le ralentir. Le bout d’essieu sans roue traçait un nouveau sillon dans le champ. Sa course visait directement le ravin. Le cochet et son acolyte se jetèrent de leur banc de pilotage pour atterrir lourdement dans la terre retournée du champ. LeeRoy malaxa l’échigne de Dyp pour le lancer au secours de l’embarcation à la dérive.

De toutes ses forces, la princesse issa son corps pétri sur la banquette. Prenant prise d’une main sur la poignée au-dessus de la portière, elle tendit l’autre à Rubby. Elle tracta sa servante sur l’autre banc. Les chocs et l’inclinaison du châssis firent glisser la princesse sur l’autre assise, quasiment sur les genoux de Rubby. Elles échappèrent un regard par la fenêtre pour observer leur situation critique. Soudain la lumière du jour s’éclipsa de la lucarne. Elle fut remplacée par un gros œil globuleux balayé par une fourrure rose. Elles hurlèrent de stupeur et s’étreignirent tremblantes. L’œil passa et le long cou du dipcoy défila jusqu’à ce qu’un jeune homme se présenta, harnaché à une corde en équilibre sur le collet de l’animal. LeeRoy tendait le bras vers la portière du carrosse.

— Mais qu’est-ce que c’est ? Hoqueta Rubby.

— La providence ! ne discute pas et ouvre la portière.

La servante fit pression du pied sur l’ouverture qui se fracassa aussitôt sous la pression de l’air. L’accès était dégagé mais mouvementé. Les jeunes femmes pouvaient entendre les cris de LeeRoy les pressant de sortir et s’agripper à lui.

Le dipcoy était lancé au galop. Personne ne pensait que ce mastodonte de la taille d’une maisonnée pouvait se fondre à une telle vitesse avec une si grande agilité et souplesse. Dyp courait désormais le long du carrosse. Il courba le cou jusqu’à coller son œil le long de la portière. LeeRoy l’intima d’accéléré pour lui donner l’accès à l’ouverture. Il s’était éjecté de sa barquette de pilotage et était descendu en rappel de quelques pas sur le cou du dipcoy assuré par une des sangles de descente. Il aperçut enfin le visage de deux jeunes stupéfaites. La portière s’ouvrit et se disloqua de ses charnières.

— La falaise ! Sortez immédiatement ! Essayez d’atteindre ma main !

La jeune fille vêtue de noir sortit la tête, le visage aussitôt étouffé par sa longue chevelure brune plaquée par le vent. Elle tendit le bras en avant au hasard, les yeux masqués par ses épais cheveux. Elle sentit la chaleur brulante d’une main l’accrochant et faire aussitôt pression vers l’extérieur. Elle fut extirpée et se retrouva allongé contre la douce fourrure du dipcoy. Elle s’y accrocha fermement. Le carrosse fou n’était plus qu’à quelques pas du précipice. Plus le temps de répéter la même opération de mains. Décuplant ses forces grâce à sa volonté de survie, la princesse sauta de l’embarcation tous membres écartés. Dans son vol, elle trouva les bras fermes et puissants de LeeRoy. Tous deux déséquilibrés, il ne lâcha pas sa prise sur la princesse et se plaquèrent sur le collet du dipcoy. A cinq pas du rebord de la falaise, Dyp planta ses énormes pattes dans le sol pour stopper sa course. La force centrifuge de l’arrêt instantané projeta LeeRoy et la princesse hors de l’animal toujours relié grâce à la longue sangle de cuire. Rubby avait réussi à se maintenir sur le cou du dipcoy noyée dans sa toison. LeeRoy accroché à la princesse et à la sangle survolait le vide de la falaise et la mer de Dunia. Son fil de vie fixé au collet de Dyp fit balancier et les ramena sur la terre ferme. Ils finirent sur un roulé-boulé aux pieds du colosse rose.

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