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      A la grande porte Ouest de Zakusini, une petite charrette d’agriculteur remplie de foin de pâturage tentait de se frayer un chemin dans la rue encombrée par d’autres carrioles et piétons qui tentaient de fuir la ville, prévenus par les rumeurs d’invasion. Les troupes de Jiwé n’étaient pas encore parvenues jusque-là, mais la pression de leur arrivée imminente alourdissait l’atmosphère. Sous la cape et la capuche du conducteur se cachait le plus fidèle membre de la garde royal ; Afyos. Pour accompagner le subterfuge, une des servantes les plus sûre du royaume était assis à ses côtés jouant le rôle de l’épouse.

— Avancez bon sang, ils vont bientôt être derrière nos chausses !

Afyos manœuvra très habilement au dernier croisement avant la sortie sur le désert, slalomant et dépassant de nombreux transports à l’arrêt. La charrette passa sous la haute arcade de la porte monumentale. De chaque côté était posté encore des soldats fidèles au royaume. Ils ne contrôlèrent pas et laissèrent les fuyards accéder de l’autre côté du mur.

— C’est bon, nous avons réussi à sortir, les dieux sont bons avec nous, se réjouit Afyos.

Soudain une colonne de cavaliers leur coupa la route vers le désert et la côte de la mer de Dunia. Le cheval tractant la charrette, surpris et apeuré, se braqua brusquement. Prévenu par faucon, les divisions restées en attente à la porte Est, avaient reçu l’ordre d’envoyer une trentaine de cavaliers à la porte Ouest en longeant le mur d’enceinte. Comme cela, ils évitèrent toutes les perturbations du cœur de la cité. Le chef du corps de chevaux s’avança et hurla ses ordres.

— Fouillez tous ce qui sort de la cité, sans exception !

Afyos grimaça et jura sous son capuchon en voyant deux soldats approcher de leur carriole. Il glissa discrètement sa main sous sa cape et serra le manche de son sabre.

— Tiens-toi prête, chuchota Afyos.

Sans un mot pour eux, les deux soldats se positionnèrent à côté et à l’arrière pour s’intéresser au chargement. Avec un bâton, ils sondèrent le tas de foin. Soudain la paille prit vie et gigotta. Un gémissement les alerta. Sans concession, l’un d’eux extirpa violemment un enfant du foin.

Afyos rabattit sa cape sur ses épaules, découvrant son sabre. Du banc de pilotage, il plongea sur l’agresseur de l’enfant, fouettant l’air de sa lame courbée et large. Le coup précis trancha à vif le torse du soldat, libérant l’enfant de son emprise. Afyos se projeta aussitôt vers le second. Malheureusement une lance transperçant son ventre le coupa net dans son attaque. Il s’effondra sur le sable laissant échapper quelques boyaux. L’enfant hurla à la vue de la tripaille. Le soldat l’agrippa et l’amena à son chef.

— C’est Kidoga, la fille du prince Falmé, conclût le chef.

— Il n’y a personne d’autre caché dans la charrette.

— Envoyé sur le champ un faucon au roi pour l’informer !

Le rapace reposait sur le bras du général Rokyo. Il tendit le minuscule parchemin détaché de sa patte à Jiwé.

— La fille ! Ils ont juste retrouvé la fille à la porte Ouest. Bon sang, tu as osé ! Tu as séparé tes enfants ? Incroyable, je ne pensais pas que tu serais capable de ça.

Falmé le regarda imperturbable, la mâchoire serrée, sans un mot pour son frère.

— Accentuez les recherches sur la zone du port et plus vite que ça. Bougez-vous ! Aucune embarcation ne doit quitter ce fichu port !

Le vieux sorcier Salmor protégé par un long manteau en cuire de basack au haut col masquant la moitié de son visage, quittait l’un des cent pontons du port de Zakusini. Au passage d’une troupe de soldats rebelles, il stoppa et se retourna pour observer les manœuvres de la nuée d’embarcations dans la baie. Son attention se porta particulièrement sur un bateau ayant largué les amarres depuis quelques minutes. Elle se trouvait à une dizaine de pas du quai. Salmor s’accouda à une rambarde pour observer la scène. La division ennemie s’était déployée sur l’ensemble de la toile d’araignée que formait les pontons, quais, passerelles, canaux et échelles du port.

— Fouillez attentivement toutes les embarcations à quai et réquisitionnez les pour rattraper les autres encore à vue.

Cinq hommes sautèrent dans un petit bateau de pèche vide de poisson qui visiblement n’accueillait que les deux pécheurs ; un père et son fils. La petite troupe ne se donna pas la peine de fouiller la barque sommaire et ordonna de prendre la mer à la poursuite des embarcations encore à proximité. Le submersible réquisitionnée se dirigeait vers un bateau de marchand sur lequel se portait toute l’attention de Salmor. Le bateau de pèche aborda. Découvrant à bord uniquement un couple âgé de marins marchands, seul deux hommes armés de la troupe embarquèrent. Un d’eux commença immédiatement à observer tous les recoins du bateau. Le deuxième détourna l’attention du couple en posant les questions de routines.

— Quel est votre chargement, marchand ? Et où est ce que vous livrez vos produits ?

— Nous faisons commerce vers les Terres Riches…

La question semblait futile car l’objet de la marchandise encombrait la moitié de l’embarcation. Une grande caisse ouverte enserrait quatre œufs de dipcoy. La stabilité et l’amortissement des œufs étaient assurés par l’entrecroisement de tiges de roseau sur lesquelles ils reposaient. Le fond était tapissé de pailles et de sciure de bois. Le soldat pénétra dans l’étroite cale où reposait à l’abri les denrées utiles pour la traversée et deux jades des mers. Un sifflement d’admiration accompagna la vue des jades.

— Bah dites donc, le commerce d’œufs de dipcoy rapporte bien. Je devrais peut-être me reconvertir.

— Reste sérieux, trouves-tu autres choses de suspect.

Le soldat s’exécuta et sonda les sacs de graines et le tonneau d’eau potable. Rien d’anormal. L’homme qui menait la troupe reporta son attention sur la cargaison d’œufs de dipcoy. Ces œufs étaient aux deux tiers de leur maturité et mesuraient trois pas de circonférence. Il caressa la surface granuleuse de la coquille faisant mine de ressentir le pouls des fœtus. Il se baissa pour admirer la courbure parfaite et les sillons veineux noirs de la coquille. Le couple ne bronchait pas.

— Rien d’autre à déclarer mon commandant.

Le meneur se pencha à l’arrière du bateau pour contrôler qu’il n’y avait pas d’autre objet flottant amarré à l’aide d’une corde capable d’accueillir un bébé. Rien.

— C’est bon, quittons ce rafiot et allons aborder celui-ci à quelques pas de nous.

— N’obligeons pas celui-ci à rejoindre le port ?

— Pour quoi faire ? Il va plus encombrer le port qu’autre chose. Laissons-les voguer et bon débarras.

Le vieux sorcier observa le départ des soldats du petit bateau de commerce avec une satisfaction difficilement dissimulée. Il lâcha la rambarde marquée par l’empreinte de ses doigts et repris la direction du palais royal pour se rendre et déclarer son allégeance à Jiwé. Arriverait-il à l’amadouer pour garder une certaine influence au sein du royaume ?

L’épouse du marin s’assura que les fouineurs s’éloignaient bien de leur bateau pendant que lui hissait la grande voile unique. Un léger à-coup et l’embarcation accéléra. Le vent favorable s’engouffra dans la voile et l’engagea en haute mer laissant derrière eux les turpitudes des Terres du Sud. Le marin réalisa le dernier nœud qui maintenait le triangle de toile tendu et put souffler de son effort et de son stress accumulé. Il rejoignit sa femme autours de la cargaison précieuse. Ils se placèrent chacun d’un côté d’un œuf, le soulevèrent précautionneusement et le pivotèrent d’un quart de tour. Une découpe circulaire se révéla sur la coquille. La femme ôta la coupole. A l’intérieur de l’œuf, confortablement installé dans son couffin d’écaille matelassé de paille, un bébé amusé tendait les mains vers le ciel. La femme prit l’enfant dans ses bras et s’assura que tout allait bien. Royoba rigolait, visiblement diverti par les balancements dans sa capsule naturelle.

— Zaku soit loué ! le bruits de ses gazouillements ont été couvert par les flots, souffla l’homme.

— J’espère que notre traversée sera aussi bénie, rapide et calme pour le petit prince.

— Prions pour le sacrifice de notre dipcoy.

— Et la fortune qu’il nous apporte grâce au jades des mers.

— Comment faut-il le nommer maintenant ?

— Le grand sorcier nous a dit de l’appeler…

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