Chapitre III - Pluie de neutrinos ?

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Alors que l'on finit de faire connaissance en faisant quelques pas, j'entends comme une lente mélodie provenant de ma droite. Je découvre, à une bonne distance, qui ne devait pas faire plus d'un mètre trente quand j'y repense, comme un bulbe blanc autour duquel évoluent des individus. Et en effet, au fur à mesure que Chris et moi nous rapprochons du groupe, ce sont bien cinq personnes qui sont réunies autour du grand dispositif blanc qui est la source de la musique au faible tempo. Deux d'entre elles sont en train de valser pendant que les trois autres se meuvent doucement comme dans une chorégraphie synchronisée de shamans en transe. Je jette un coup d'œil à Chris qui fronce un peu les sourcils mais n'a toujours pas l'air de partager ma perplexité. Il dodeline simplement de la tête en déclarant d'un air de réprobation, encore une fois sans vraiment s'adresser à moi: "Ces jeunes, pff…".

Je les hèle à distance mais pour toute réponse, je n'obtiens que le mouvement de bras du seul qui ait daigné se retourner et qui nous invite à les rejoindre. Ça m'agace un peu, je tente de rester zen : tout les individus nus et miniatures que j'ai croisé jusqu'ici semblent à côté de leurs pompes aujourd'hui. D'ailleurs, je les vois leur pompes. Elles sont encore presque toutes par paire, peut-être à une centaine de pas du centre de la scène de danse improvisée. Elles sont énormes tout comme les pans de pantalons, jupes, robes, débardeurs et t-shirts qui pendent, comme de gigantesques cascades colorées de tissus figés, du haut des assises des sièges qui avaient été occupés par les passagers ; ceux-là même qui se trémoussent maintenant tout riquiqui devant moi.

Arrivé plus près d'eux, je reconnais la bande de trois jeunes qui étaient assis à ma droite avant la fonte. Les couleurs bizarrement bariolées de leur vêtements, style pseudo-années-90, ont également teint leurs peaux. Ils s'étaient un peu tassés pour faire de la place au couple de personnes âgées qui s'étaient assis en face d'eux dans le carré de quatre places assises. Franchement je me demande qui a choisi ce motif géométrique de l'arrangement de l'espace de la rame : c'est clairement sous-optimal mais bon... je n'ai pas envie de digresser, j'ai une vie normale à retrouver moi !

Les écouteurs sans fil de l'un des jeunes ont sûrement dû tomber lorsque sa tête est devenue molle – enfin plus que d'habitude je veux dire – et l'un d'entre eux sert maintenant d'enceinte géante. En examinant le couple de valseurs, je comprends un peu choqué qu'il s'agit des vieux qui peinaient à se mouvoir lorsque je me suis écrasé contre la porte de la cabine du chauffeur pour leur permettre de passer. Ils dansent de manière si fluide et déliée qu'ils semblent n'être pas plus âgé que moi désormais. Les cinq individus sont aussi étrangement transparents que Chris et moi mais cela n'a toujours pas l'air de déranger qui que ce soit. Je m'adresse alors à celui qui m'avait fait signe :

« Salut ! Vous avez une idée de ce qu'il se passe ici ? »

A vrai dire je n'attends pas vraiment de réponse élaborée de la part du jeune mais pour l'écouter, je réprime quand même d'un mouvement de la main le maugréement de Chris qui a tout juste le temps de lâcher un "je vous dit que c'est la clim, bordel…"

« Salut ! J'en discutais justement avec mes amis et on penche pour le scénario d'une éruption solaire. Un flot inouï de neutrinos est peut-être en train de nous traverser altérant la matière, et apparemment le temps comme vous l'aurez aussi constaté, d'une manière susceptible de corroborer certaines théories tendant à réconcilier la relativité générale et la physique quantique... »

Sa copine lui coupe la parole:

« Si les neutrinos sont dans une phase d'oscillation de saveur majoritairement tauïque bien entendu, sinon ça n'a vraiment pas de sens !

— Honnêtement, moi, je comprends rien à ce qu'ils racontent mais ils me font tellement délirer ! conclut le dernier de la bande en souriant. »

Je déglutis difficilement. Je ne me suis jamais senti aussi débile que durant ces trentes dernières secondes. D'une part, parce que je n'ai rien pigé à ce que viennent de dire les deux premiers et d'autre part, parce que je les ai considérés très injustement comme des mollusques pas finis sans même les connaître. Note pour plus tard à moi-même : ne plus jamais sous-estimer les mollusques ! Je reste tourné vers le dernier, qui semble être mon seul recours pour comprendre la langue des deux premiers:

« Excusez moi mais qui êtes vous ?

— Je m'appelle Jeff et les deux autres c'est Igor et Grichka ! »

Ils explosent tous trois de rire et j'entends même Chris pouffer derrière moi. J'observe avec amusement leurs muscles abdominaux et leurs diaphragmes s'agiter en cadence.

« Mais non ! Il déconne ! Faites pas attention à lui c'est un blagueur. entonne la jeune femme dans un refrain rieur bien rôdé. Moi c'est Lyne, et mon frère jumeau c'est Mat. Nous sommes tous deux doctorants en astrophysique à la fac d'Orsay.

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