Chapitre II - Chris

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Nous nous ressemblons dans notre étrangeté. Le haut de son corps est aussi blanc et translucide que le mien mais le bas est plutôt d'une teinte verdâtre. Je reconnais là la couleur des uniformes du personnel de la RATP. L'homme, un peu plus petit que moi, est à genou les mains au sol, il peine à reprendre son souffle. Je vois par dessus son dos, à travers sa cage thoracique, ses deux poumons se gonfler et se dégonfler à un rythme de plus en plus lent. Je distingue également son cœur battre la chamade. Lorsqu'il lève enfin le visage vers moi, je vois le sang circuler à travers tout son crâne en faisant pulser frénétiquement ses tempes. En lui tendant une main pour l'aider à se relever, je l'assaille de questions :

« Mais c'est quoi ce délire ? Pourquoi on est si petits et si étranges ? J'ai eu l'impression de fondre littéralement tout à l'heure !! Vous avez vu ce qu'il se passe ici ?

— Punaise ! J'en étais sûr ! C'est sûrement la clim qui a lâché ! Depuis le temps que je leur dis de faire réviser cette merde… Hier déjà j'ai senti que c'était limite. Et bim ! Ça tombe la pire journée en plus ! répond-il, se parlant principalement à lui-même.

Une fois debout, je lui montre, à moitié hystérique, mes mains translucides :

— Et ça là ? Ça ne vous fait rien ?

— Oh ! Vous savez, ça fait presque vingt ans que je travaille à RATP, alors vous ne trouverez certainement pas quelqu'un de plus blasé que moi… Dites-vous au moins que vous êtes toujours vivant. »

L'air sincère du conducteur, en plus de la bonhomie, parvient à me calmer. Je regarde autour de moi. Tout semble démesurément grand à nos côtés : les sièges qui surgissent du sol comme d'immenses falaises de plastique et de tissu rêche, les titanesques barres centrales qui se dressent telles des lances métalliques incandescentes plantées ici par les dieux eux-mêmes, et enfin les fenêtres et le plafond de la rame qui forment la voûte inaccessible de cette cathédrale bizarroïde mille fois plus étendue que toutes celles que l'Homme ait jamais pu construire. Au loin, je distingue des formes qui me semblent encore assez humaines, mais plus près de nous, c'est une désolation de formes molles et liquides qui s'offrent à nos yeux. La chaleur a dû être plus intense de notre côté de la rame et c'est peut être pour cela que le conducteur et moi avons fondu les premiers. Je me rends compte subitement que mes raisonnements sont totalement loufoques; et j'arrête donc d'échafauder une théorie pour tenter d'expliquer ce qui se passe ici. Je regarde le chauffeur et je lui demande:

— Bon… Qu'est-ce qu'on fait du coup ? Comment on retrouve nos apparences normales ?

— Si c'est bien la clim, il faut aller à l'autre bout de la rame, au niveau du panneau de commande. Faut essayer de voir si c'est pas juste le disjoncteur qui a sauté.

— L'autre bout de la rame ?! Super… On va mettre une plombe pour y aller !

— Au fait ! Je m'appelle Christophe mais tout le monde m'appelle Chris. Et vous ?

— Oh ! m'exclamé-je en retrouvant un peu le sourire et en me rappelant les bonnes manières. Moi c'est Jay, et tout le monde m'appelle... Jay. Y'a pas plus court en fait ! »

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