Chapitre I - La fonte

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La rame de RER berce de gauche à droite ses passagers qui lui répondent avec des dodelinements mous de têtes. Il fait chaud en cette fin juillet, la climatisation peine à gagner son combat contre les rayons ardents du soleil de fin d'après-midi. D'autres passagers entrent dans la rame. Et encore d'autres à la station qui suit. Les gens s'entassent. Le train roule, bondé. Les lumières se mettent à clignoter, puis le faible courant d'air climatisé s'éteint. Les passagers luisant de sueur fondent sous mes yeux. Là-bas, à l'autre bout du wagon, une personne s'effondre. À peine ai-je le temps de cligner des yeux, qu'elle est suivie d'une deuxième pas très loin de moi. Quelques personnes tentent de les secourir mais elles manquent d'espace. Celles et ceux qui tendent leur bras pour déclencher le signal d'alarme se rendent compte avec douleur que toutes les parties métalliques de la rame sont bouillantes. Le métal commence même à émettre de la lumière, comme s'il allait entrer en fusion.

Mais que se passe-t-il ?! Je n'entends plus très bien, la chaleur et la masse des corps semblent étouffer les sons. Le silence est devenu roi dans cet enfer de moiteur. Hommes, femmes et enfants s'effondrent tous un à un, dégoulinant lentement vers le sol et sur les sièges comme des pantins de cire dans un four sur rails.

Je me sens moi-même couler contre la paroi sur laquelle je suis adossé. Bizarrement, plus ma fonte avance et plus le temps semble ralentir. Ma conscience se rapetisse. Toute la rame prend des proportions gigantesques. Je fonds en moi mais mon esprit se contracte pour ne pas finir dilué. Je sombre dans mes baskets géantes. Je devine la chute de mon t-shirt et de ma casquette tels des pans de montagnes se décrochant au ralenti en une formidable avalanche. Puis, au moment où je pensais avoir atteint l'état de liquidité absolue, je me sens heurter durement le sol.

Je me relève péniblement et je constate progressivement que mes mains, mes bras et tout le reste de mon corps sont devenus translucides. Je vois le réseau de mes artères et de mes veines. Je vois les tissus de mes muscles se contracter et se détendre en fonction de mes mouvements. C'est très étrange ! Au-dessus de la ceinture, ma chair est d'un blanc laiteux transparent alors qu'en dessous elle est d'un violet aubergine légèrement plus opaque, comme si les tissus de mes vêtements avaient déteint sur moi. En plus je suis minuscule ! Un demi-centimètre à tout casser… Soudain, j'entends du bruit à quelques pas derrière moi et comme un râle humain. Ça vient de la porte de la cabine du conducteur contre laquelle j'étais appuyé il y a quelques instants, qui me semblent une éternité à présent. Je peine un peu à marcher sur l'immense drapé formé par mon t-shirt, qui recouvre certainement mon pantalon, mais je rejoins rapidement la forme que je vois se débattre vainement. Je tire de toutes mes forces sur le bord du col de l'énorme vêtement et je parviens finalement à libérer l'individu.

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