4.II // Le début de la fin

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— Je ne suis pas juste Roi…

Gaël, dont le visage virait au rouge écarlate tant il retenait sa respiration et serrait les poings, n’avait même pas relevé la présence de sa secrétaire quelques pas derrière lui.

— Je suis… l’Empereur ! Toute cette planète m’appartient, tous ceux qui foulent son sol sont mes sujets ! Ils plieront… ou mourront.

— Votre Majesté ? hasarda finalement la jeune femme qui ne savait plus s’il fallait appeler Gaël « Roi » ou « Empereur ».

— Qu’y a-t-il ? Pourquoi m’importunez-vous !? tonna l’intéressé.

— Je… Le général de la milice souhaite vous parler, heu… monsieur.

— Faites-le entrer.

La secrétaire, tremblante de peur face à l’attitude de Gaël, retourna vers la porte et invita le général à l’intérieur, avant de s’éclipser elle-même de la pièce, pour son plus grand bien. Le petit homme grassouillet entra, transpirant malgré le froid hivernal qui s’infiltrait de toutes parts dans le bâtiment du gouvernement. Il était de toute évidence dans un profond état de stress et ni l’attitude de Gaël ni l’état des lieux ne surent le rassurer. Au contraire même : le bureau de l’impitoyable dirigeant d’Antelma paraissait d’encore plus mauvais goût qu’un an plus tôt, ses symboles de richesse jurant comme jamais avec la désolation à l’extérieur.

— Général ! Vous êtes venu me dire que notre armée est prête à déferler sur ces mécréants du fin fond de la forêt !

— Eh bien, oui et non, monsieur… Bon, déjà, il n’y a plus vraiment lieu de parler de forêt, et c’est tant mieux : cela facilitera nos manœuvres militaires. Quant à nos troupes, elle pourraient certes être prêtes, mais…

— Comment ça, « mais » ? Il n’y a pas de « mais » qui tienne devant l’Empereur de Sagittari ! Je vous somme d’envoyer mon armée raser la résistance ennemie sur le champ !

— Excusez-moi, mais les hommes commencent à se demander jusqu’où tout cela va nous mener, reprit fébrilement le général qui craignait le courroux de Gaël. Nos ressources s’épuisent, la planète semble… condamnée, et…

— Quelle autre solution proposez-vous, général ?

— La fuite, Votre Majesté. Je veux dire… Des rumeurs courent comme quoi vous auriez fait construire une sorte de… de vaisseau spatial, qui nous permettrait de quitter cette planète.

— Un vaisseau spatial, dites-vous ? Mais à quelle époque vivez-vous donc, général ? Ce genre d’engin est dépassé ! Sa construction a été abandonnée ! Il n’y a pas le moindre vaisseau spatial sur Sagittari !

***

Le finil posa sa patte sur le tronc et laissa glisser ses petites griffes le long de celui-ci. Ces lieux seraient bientôt le dernier bastion de la vie sur Sagittari. S’il avait pu frissonner à cette idée, nul doute que c’eût été le cas, mais son âme restait néanmoins perturbée et son inquiétude se partageait avec tous ses semblables par le biais de leur intelligence collective. Comme l’avait exigé l’âme de la planète, les esprits de la forêt avaient quitté la surface et s’étaient tous rassemblés ici-bas afin de protéger les lieux. Mais cela suffirait-il, si leurs frères malades décidaient de s’attaquer à cet endroit ? Les finils ne manquaient pas de ressources, c’est vrai, mais de là à vaincre une armée de créatures assoiffées de mort...

Votre Grandeur…

Nous t’écoutons, gardien.

Nous ne sommes pas parvenus à localiser l’Égaré, malgré tous nos efforts. Nous avons pourtant suivi vos recommandations et fouillé la grande cité humaine de fond en comble. Mais ne pouvant pas nous connecter à l’esprit de celui que nous recherchons, sa localisation semble impossible. Nos yeux, aussi nombreux soient-ils, ne suffisent pas.

Alors, peut-être se trouve-t-il parmi les humains dissidents qui se sont séparés des leurs.

Nous allons donc retourner là-bas, votre Grandeur. Mais notre inquiétude est vive : si les humains persistent à se montrer agressifs envers nous, j’ai bien peur que nous ne puissions leur résister, à seulement trois…

À peine le finil eut-il terminé sa phrase, que deux filaments de lumière verte s’échappèrent de l’étrange formation immatérielle à laquelle ils appartenaient depuis toujours. Ils dansèrent un petit moment au-dessus, parfois même entre les bois de renne du petit être, qui demeura impassible face à ce spectacle magique. Après cette courte chorégraphie aérienne, ils vinrent s’écraser de part et d’autre de l’esprit qui faisait toujours face, statique, à ce qu’il appelait le « Berceau ». En un éclair, deux nouveaux finils apparurent là où les filaments avait stoppé leur course.

Puissent ces nouveaux alliés te permettre de faire face à ceux qui retiennent l’Égaré, s’ils cherchent à user de la force.

L’esprit de la forêt posa son regard impassible sur ses deux nouveaux frères ; l’un, puis l’autre. Après un hochement de tête de consentement, tous disparurent sans laisser la moindre trace.

***

— Un discours !?

Celui qui se pensait Empereur, de nouveau furieux, ne parvenait pas à digérer la proposition du général de la milice. Bien que cela fût rare de sa part, il détourna un instant le regard, se retourna et maugréa face à sa baie vitrée réparée à la hâte : la zone fracassée par Edwige un an plus tôt avait été bouchée de manière rudimentaire à l’aide quelques planches de bois grises et fragiles. Gaël n’avait jamais voulu l’admettre, mais il voyait bien que son environnement s’effritait inexorablement tout autour de lui, et cette réparation à la hâte en était une nouvelle preuve des plus disgracieuses. Ce n’était pas seulement les arbres qui tombaient en poussière, mais la planète toute entière, emportant dans sa chute chaque trace de civilisation humaine.

— Notre monde se meurt, Votre Majesté. Le moral des troupes est au plus bas. La milice ne sait plus pour quelle raison elle se bat, surtout contre nos semblables. De plus en plus de citoyens quittent les lieux, probablement pour rejoindre les rangs des fugitifs. Les soldats risquent eux aussi de finir par déserter. Seules des paroles bien senties de votre part pourraient faire la différence.

— Très bien, général, très bien. Vous avez peut-être raison. Je vais tâcher de m’abaisser au niveau de ces poltrons, afin qu’ils parviennent à entendre ma parole, grogna finalement Gaël en serrant les dents, sans se retourner. Faites rassembler toutes les troupes et la plèbe sur la grande place.

Face à lui, l’horizon était d’une laideur à nulle autre pareille. Un an plus tôt, les ruines de pierre blanche avaient encore quelque chose de beau, sous la végétation invasive qui leur donnait des airs d’antique cité maya ou aztèque. Aujourd’hui, ladite végétation avait fini par pourrir sur place, esquissant d’affreuses veinules noirâtres qui couraient sur les flancs des bâtiments couverts de poussière.

De l’autre côté, les cultures avaient rendu l’âme. Le général avait raison ; la cité vivait sur ses réserves. Cela devait arriver tôt ou tard, mais n’en restait pas moins un véritable problème : si la famine venait à frapper Antelma, le peuple se soulèverait en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, et son statut d’Empereur ferait de lui la première cible de cette révolte.

À vrai dire, nul n’aurait souhaité régner sur un tel endroit, et dans de telles circonstances : Gaël lui-même se demandait parfois pourquoi il persistait dans cette direction. Peut-être parce qu’aucune autre que celle-ci ne lui semblait possible, ou du moins compatible avec son arrogance naturelle. Il ne baisserait pas les bras, ni face aux ridicules fuyards terrés au fond de ce qui restait de forêt, ni même face à la planète qui semblait vouloir dévorer toute trace d’humanité encore à sa surface.

« D’abord ces misérables planqués au fond de mon empire, et ensuite, le Berceau, » songea-t-il les sourcils froncés, avant de se retourner et d’adresser un hochement de tête de politesse à l’attention du général.

***

Étendue sur son lit à attendre que la mort vienne la cueillir, Cassandra respirait lentement, incapable de dire le moindre mot. Elle avait l’impression de ne pas avoir vu sa fille depuis une éternité, mais était bien consciente que ce pouvait être sa mémoire qui lui jouait des tours. À propos de conscience, elle se rendait compte à quel point sa situation était paradoxale : si elle était prête à mourir, sa volonté de rester en vie restait trop importante pour que la Faucheuse ne parvienne à franchir le pas de la porte. Et pourtant, à quoi bon ? Tel qu’on lui décrivait l’extérieur, il n’y avait guère de bonne raison de vouloir continuer à vivre sur cette planète.

— Je vais retrouver les autres, murmura finalement Victor en se relevant. Je dirai à Edwige de passer te voir : j’imagine que cela te ferait plaisir.

L’ancien majordome jeta un dernier regard à Cassandra, l’air grave. La pauvre n’avait vraiment plus que la peau sur les os : c’était à se demander comment elle faisait pour rester en vie.

— Tiens bon. Je suis certain que ton combat n’est pas vain, ajouta-t-il en quittant la pièce.

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