4.III // Égaré, traqué

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Sybil fronça les sourcils et plaça sa main au-dessus de ses yeux en guise de visière, pour se protéger des cendres balayées par le vent. Elle n’avait pas rêvé : il y avait bien cinq lueurs vertes qui approchaient. Exception faite de celui qui accompagnait Edwige partout, cela faisait un an qu’elle n’avait pas vu de finils dans les parages. Léon, qui se tenait derrière elle, empoigna fermement son épée, sans toutefois la dégainer.

— Qu’est-ce qu’ils nous veulent, eux ? demanda-t-il. Ces trucs me rendent nerveux.

Pourtant, les finils avaient volontairement marché à l’approche du hameau de réfugiés, considérant qu’une arrivée en plein cœur du village par une téléportation subite risquait d’effrayer les humains, d’accroître leur nervosité et de déclencher chez eux des comportements agressifs, comme souvent lorsqu’ils avaient peur. Même s’ils étaient maintenant cinq, il n’était pas question de perdre un seul d’entre eux dans une altercation aisément évitable : s’ils pouvaient certes renaître au Berceau, celui-ci s’épuisait un peu plus à chaque résurrection prodiguée, rendant chaque finil bien trop précieux pour être ainsi gâché.

Les esprits de la forêt seraient les seuls en mesure de protéger l’âme de la planète si leurs frères malades venaient à s’y attaquer, et les artisans de son renouveau une fois les troubles passés. Ce monde était entre leurs mains, et ils n’avaient pas l’intention de prendre cette immense responsabilité à la légère.

— On va vite le savoir, répondit enfin Sybil.

L’aura des petites créatures apportait une rare note de couleur au milieu de la lande ravagée qui avait petit à petit remplacé la forêt. Cela réconforta un instant la jeune femme aux cheveux blancs, si bien qu’elle fit tout son possible pour chasser l’inquiétude de son esprit. Après tout, les finils ne s’étaient jamais montrés agressifs, et le rappelèrent par leurs propos lorsqu’ils furent à moins d’une paire de mètres de l’ex-milicienne.

Humaine, nous venons en paix, annonça télépathiquement celui qui s’était placé devant ses semblables.

— Qu’est-ce qui vous amène par ici, finils ? Je croyais que vous restiez en dehors des affaires des humains.

Elle aurait voulu être plus diplomate, mais sa méfiance avait parlé pour elle. Tant pis. Après tout, les finils n’y allaient jamais par quatre chemins, eux non plus.

Ce qui nous amène aujourd’hui ne sont pas les affaires des humains, justement, rétorqua froidement l’esprit de la forêt. L’un des nôtres s’est égaré et nous nous demandions s’il était parmi vous, à tout hasard.

Sybil donna un léger coup de coude à Léon, sans ajouter un mot, en espérant qu’il comprenne son message : il fallait informer Edwige au plus vite. Voir son ami tourner les talons et se presser vers le domicile de la concernée la rassura d’un coup. Heureusement, les finils n’était guère réceptifs à ce genre de langage gestuel.

— Pas que je sache, éluda-t-elle enfin. Et même si c’était le cas, serait-ce bien grave ? demanda-t-elle alors pour mieux comprendre les intentions des esprits, à défaut de réussir à les lire dans leurs regards mystérieux.

Potentiellement assez grave, oui, reconnut de manière évasive le finil.

Les esprits de la forêt ne savaient pas mentir, et peinaient à percevoir le mensonge chez leurs interlocuteurs. Le seul moment où l’un d’entre eux pouvait dire autre chose que la vérité, c’était lorsqu’il ne la connaissait pas lui-même.

— Auriez-vous un problème avec la notion de liberté ? demanda Sybil.

La petite créature marqua un temps d’arrêt. N’étaient-ils pas les êtres les plus nobles, les plus purs, exempts de tous défauts et empreints de chaque qualité ? Bien sûr que si ! Comment cette humaine pouvait-elle le faire ainsi douter du bien-fondé de leur mission, par une simple question ?

La liberté n’est pas un problème, humaine. L’usage qu’en font ceux qui en jouissent peut en être un.

— La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres, n’est-ce pas ?

Précisément ; il semblerait que nous avons affaire à un être plein de bon sens. Ce qui nous inquiète, c’est bel et bien ce que pourrait faire un finil qui vivrait parmi vous, et non sa seule présence au sein de votre communauté. Alors, maintenant que nous avons assez palabré, dites-nous : y a-t-il, oui ou non, l’un des nôtres parmi vous ?

— Aucun, asséna finalement Sybil. Retournez d’où vous venez.

Très bien, humaine. Mais nous allons tout de même procéder à une rapide vérification, comme il nous a été demandé, rétorqua le finil en se volatilisant au moment de finir sa phrase.

Ses quatre semblables firent de même la seconde suivante.

***

Léon, l’air grave, fronça les sourcils face à la mine inquiète d’Edwige.

— Écoute, ils viennent pour ton ami, finit-il par dire. Je sais que j’ai pas été l’plus accueillant avec lui au départ, mais… quand même, ça m’fait flipper. Faut que vous vous cachiez, et vite.

— Mais où ? paniqua la jeune femme. On n’a pas le temps ! Non, s’il faut combattre, je le ferai ! ajouta-t-elle en posant la main sur la poignée de son arme.

Tu n’as aucune chance contre eux en employant la force, Edwige. Tu n’as certes pas le temps de te cacher, mais moi, si, finit par déclarer son mystique compagnon qui ne s’était pas exprimé jusqu’alors.

La seconde d’après, il avait disparu. Et cinq autres, identiques en tous points, le remplacèrent dans la foulée.

Navrés de nous imposer de la sorte, humains, s’excusa l’un d’eux. Nous venons en paix. Nous cherchons simplement l’un des nôtres, qui s’est égaré. Force est de constater qu’il n’est pas ici non plus.

— Un finil qui vivrait parmi les humains ? s’étonna faussement Edwige. Pourquoi donc ferait-il cela ? Vous ne vous êtes pas montrés très enclins à nous venir en aide, jusque-là.

Nous ne le sommes toujours pas, humaine. Ce finil s’est déconnecté de l’intelligence collective ; il a donc un comportement anormal. Puisqu’il est totalement imprévisible, nous avons supposé qu’il pourrait être parmi vous.

— Désolée, mais je n’ai vu aucun de vos semblables depuis plus d’un an, avant votre intrusion perturbante, mentit une nouvelle fois Edwige.

Nous allons prendre congé. Nous ne sommes pas venus pour discuter avec vous, déclara finalement le finil avant de se téléporter à nouveau, suivi par ses congénères.

Les esprits de la forêt allèrent ainsi d’habitation en habitation, propageant par là même une certaine anxiété dans le hameau, si ce ne fut de l’angoisse chez ceux qui n’avaient jamais vu de telles créatures auparavant. Certains empoignèrent même leurs épées, prêts à se battre contre les finils ; mais ces derniers surent tempérer chaque situation, et quitter les lieux avant tout recours à la violence.

Leurs recherches n’aboutirent toutefois pas : ils ne trouvèrent jamais leur semblable, lequel s’était téléporté dans un des rares bosquets encore vivaces à quelques kilomètres de là.

Leur vaine inspection terminée, les finils se décidèrent à quitter le hameau, et se rassemblèrent à quelques centaines de mètres de celui-ci. Les cinq s’alignèrent face au lac dans lequel les compagnons puisaient leur eau, dont le niveau avait cruellement baissé ces derniers mois, et observèrent avec dégoût ce qu’était en train de devenir leur planète.

Il n’est pas là non plus. Nous devrions accepter le fait qu’il est peut-être mort, et cesser de perdre notre temps, exprima l’un d’entre eux à ses camarades.

Mort ? Si une telle tragédie s’était réellement produite, il aurait ressuscité au Berceau, et nous ne nous serions pas vus confier cette mission.

Qui sait si un déconnecté ressuscite vraiment comme un autre ? La situation ne s’est jamais produite ; nous sommes donc incapables d’affirmer si tel est le cas.

Sage remarque que celle-ci. Nous devrions retourner au Berceau pour soutenir nos frères, maintenant. Nous avons assez perdu de temps à traquer l’Égaré.

***

— Pourquoi donc te cherchaient-ils ? demanda Edwige à son ami finil.

Celui-ci avait attendu plusieurs heures, camouflé dans son bosquet, que ses semblables quittent les lieux. Ne pouvant pas localiser leurs esprits plus qu’eux ne pouvaient localiser le sien, il avait préféré limiter le risque en restant un maximum de temps à l’écart du village. Ce n’était qu’à la tombée de la nuit qu’il avait consenti à se téléporter de nouveau auprès de la jeune femme qui était devenue sa seule référence.

J’ai été déconnecté du réseau, je ne fais plus partie de l’intelligence collective… Je crois que c’est à cause du piège grâce auquel les humains de la cité m’ont attrapé. Malgré tout, je reste un finil, et je suppose qu’un finil libre les inquiète beaucoup.

— Un « finil libre » ? Les autres ne le sont-ils pas ?

Pas vraiment, non, puisqu’ils sont tous liés les uns aux autres, et à l’âme de la planète.

— Alors tu as bien de la chance d’être déconnecté, je crois. Rien ne vaut la liberté de penser et d’agir de son propre chef. Même si on fait des erreurs, on ne peut s’en prendre qu’à soi-même, et faire le nécessaire pour les réparer.

Des erreurs… Oui, tu as sans doute raison, Edwige. Merci d’être là pour moi. Sans toi, je serais seul à me cacher tant bien que mal sur cette planète, rejeté par les miens.

La jeune femme hocha la tête et adressa un sourire attendri à son ami à plumes. Même s’il était bien incapable de lui rendre, le petit être sut lui témoigner sa reconnaissance par le biais de quelque regard expressif, chose peu évidente pour les siens.

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