3.IV // Entraînement déterminé

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Edwige, qui avait attaché ses cheveux en deux longues tresses filant le long de son cou, fixait sa cible d’un regard d’acier. Ses mains moites peinaient à maintenir convenablement la poignée de son épée. À défaut de cuir, on enrobait celles-ci de tissu blanc qu’on fabriquait à base de plantes : cela permettait d’absorber un minimum de transpiration et d’assurer un certain maintien, pour qui ne paniquait ni ne s’épuisait aussi rapidement qu’Edwige, en nage dès les premières minutes de combat.

— Allez, t’arrête pas ! cria Léon.

Prenant élan de sa jambe droite, la jeune femme souleva son arme et asséna une frappe solide que l’ancien soldat arrêta à l’aide de son bouclier métallique. Ce dernier profita alors de sa parade réussie pour repousser Edwige qui chancela un court instant avant de s’effondrer au sol, sur le dos. Sans un mot, elle se releva et courut à nouveau vers Léon pour tenter de lui placer une estocade dans le bas-ventre. Celui-ci n’eut malgré tout aucune peine à parer encore cette attaque, avant de placer la pointe de sa propre lame quelques centimètres devant la poitrine de la jeune femme.

— Ce n’est pas juste ! protesta-t-elle. Je ne peux rien faire contre ton bouclier !

— Parce que tu crois qu’les miliciens vont s’soucier de s’battre à armes égales ? Qu’les warzeuls vont r’tenir leurs coups !?

Edwige baissa les yeux et soupira. Léon était trop dur avec elle, mais il avait sans doute raison : ses futurs adversaires seraient sans pitié. Découragée, la jeune femme laissa tomber son épée au sol.

— Je ne suis pas faite pour ça.

— Peut-être que t’es juste faite pour mourir, alors ?

Edwige foudroya Léon du regard. Même si elle avait conscience du fait qu’il la provoquait afin qu’elle exprime toute sa colère au combat, elle ne supportait plus ses remarques. D’ailleurs, elle ne ramassa pas son arme et se contenta d’accepter sa défaite, non sans peine.

— Donne-la à quelqu’un qui saura s’en servir.

— Très bien, répondit l’intéressé en ramassant l’arme après avoir déposé son propre équipement.

L’ancien milicien s’approcha alors d’Edwige et lui tendit à nouveau l’épée, pointe vers le sol. La jeune femme haussa les épaules sans toutefois reprendre celle-ci.

— J’insiste, lança Léon d’un ton ferme.

— Quelqu’un qui saura s’en servir, j’ai dit.

— C’est du futur, non ? Alors prends-la.

Edwige jeta un nouveau regard sévère à l’attention de son interlocuteur, mais il était difficile de savoir s’il exprimait de la détermination ou de la colère. Elle se saisit malgré tout de la lourde épée et hocha la tête en silence.

— Continue à t’entraîner. On a tous besoin les uns des autres, ici. Alors évite de mourir trop facilement.

Tandis qu’Edwige s’éloignait, Sybil, qui observait la scène de loin, s’approcha de son ancien collègue milicien.

— Ne sois pas trop dur avec elle, d’accord ? Si tu brises son moral, on va tous y perdre.

— Désolé. J’ai jamais vraiment été l’bon pour la psychologie, t’sais.

Sybil s’amusa de la remarque de son compagnon. C’est certain, il n’avait jamais été le plus diplomate ni le plus subtil dans ses réflexions. Mais une chose était sûre, c’est qu’il n’avait jamais non plus été cruel ou malhonnête avec les autres. S’il disait compter sur Edwige, c’est qu’il le faisait vraiment.

— Tu es certain de ne pas pouvoir remettre mon fusil en état, Léon ?

— Ce n’est pas tant le fusil le problème : je pense même qu’il fonctionne encore, mais tu n’avais presque pas de munitions et je suis incapable d’en fabriquer. Même si nous arrivions à faire de la poudre à canon, on ne forge pas des balles comme on forge une épée.

— C’est sûr… Alors peut-être une arme plus petite ? Un poignard ?

— Si l’arme qu’elle utilise est plus courte qu’une patte de warzeul, elle n’aura pas le temps de porter un seul coup qu’elle sera morte. Laisse-lui le temps de s’entraîner, Sybil. Déterminée comme elle est, elle finira par y arriver. Cette fille a une rage de vaincre hors du commun.

De son côté, la concernée ne savait plus où elle en était. Léon avait beau croire en elle, elle-même n’y parvenait pas, et cela la rendait furieuse. De grosses larmes se mirent à couler le long de ses joues crasseuses, laissant des traînées roses pâle sur son visage couvert de poussière.

« Il faut que j’y arrive, » bouillonna-t-elle intérieurement tandis qu’elle s’était approchée de l’orée de la forêt. « Je dois y arriver ! »

Elle asséna un violent coup d’épée sur le premier arbre à sa portée, entaillant sévèrement son écorce. Puis un second, et encore un. Malgré sa vue troublée par les larmes, elle ne manqua pas de repérer le finil qui l’observait depuis un petit talus, non loin. Ses pensées se transformèrent alors en paroles malgré elle.

— Et vous là, vous ne pourriez pas nous aider !? hurla-t-elle.

Le finil ne fit pas le moindre mouvement malgré la sollicitation agressive de l’humaine qu’il toisait de ses yeux émeraude.

— Bien sûr que non, vous n’allez pas nous aider ! C’est tellement plus facile de regarder le monde s’effondrer et de se dire qu’on avisera après !

Pourquoi ferait-on autrement ? demanda le petit être directement dans l’esprit d’Edwige, après s’être rapproché d’elle en une fraction de seconde.

— Peut-être parce que nous menons le même combat ? Parce que vous, comme nous, ne souhaitons que protéger Sagittari ?

Mais n’as-tu pas compris ? Sagittari n’a pas besoin de vous. Elle est d’ores et déjà condamnée, mais en même temps immortelle. Lorsque toute vie aura disparu de sa surface, elle renaîtra une nouvelle fois, car son âme est éternelle.

— Et dire que je me trouvais fataliste, mais par rapport à vous…

Ne confonds pas fatalisme et réalisme, humaine.

— Alors vous n’allez pas nous aider ? insista Edwige.

Jamais. Vos querelles d’humains nous indiffèrent au plus haut point et votre combat contre les malades est voué à l’échec, quand bien même vous auriez notre soutien.

Edwige serra la poignée de son arme de toutes ses forces. Le finil l’agaçait tellement qu’elle avait envie de lui asséner un violent coup d’épée. Seul un petit fragment de raison vint l’en empêcher : il aurait été absurde de se faire encore plus d’ennemis sur cette planète où tout semblait déjà se dresser contre elle et ses amis.

— Et si vous aussi, vous disparaissiez ? tenta-t-elle pour effrayer l’esprit.

C’est impossible, humaine. Nous sommes des fragments d’essence de la planète, nous ne pouvons pas nous éteindre.

— Comment pouvez-vous en être certains ? Vous ne savez peut-être pas tout des warzeuls ! Qui sait s’ils ne vont pas carrément consumer l’âme de Sagittari ?

— … Non. Ils ne peuvent pas. Nul ne le peut. Assez parlé, retourne parmi les tiens, maintenant.

Il avait marqué un temps de pause. Le finil avait hésité. Pour Edwige, c’était un indice important : cela signifiait qu’ils n’étaient pas omniscients, et qu’ils ne pouvaient donc pas prédire l’avenir de Sagittari. Peut-être était-il encore temps de faire quelque chose pour sauver ce monde. Sans ajouter un mot, elle s’exécuta et fit demi-tour pour respecter la demande du petit être.

Tandis qu’elle approchait du village, Sybil l’interpella :

— Alors, défoulée ?

L’ex-soldate, qui faisait bien entendu référence à la façon dont Edwige avait exprimé sa rage contre l’arbre, n’avait visiblement pas repéré sa conversation avec le finil. Elle n’avait toutefois pas manqué de remarquer les yeux encore humides de la jeune femme ainsi que les traces claires sur ses joues, et fit la moue en réalisant que son amie avait pleuré.

— C’est bon. Comment ça va ? demanda Edwige pour changer de sujet.

— Tout va bien. Je me fais du souci pour Victor et les autres, mais bon, il n’y a pas de raison qu’il leur arrive quoi que ce soit.

— Ils sont retournés à Antelma, c’est ça ?

— Oui. J’espère qu’ils reviendront avec du monde, cette fois. On manque vraiment de nouvelles têtes pour être efficaces ici. Pour l’instant, aucun warzeul ne nous a attaqués, mais…

— Tant qu’ils ne ramènent pas de traîtres qui iraient vendre notre position à Gaël…

— Sois un peu moins négative, veux-tu ? Ça va aller.

— Puisque tu le dis, grommela Edwige.

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