2.VIII // Exil libérateur

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— Où est-ce qu’on va, Sybil ? Tu comptes vraiment te balader avec onze fugitifs partout dans Antelma ? T’as perdu la tête ou quoi ? On va forcément s’faire griller !

— Alors presse le pas ! On va juste voir une amie, répondit Sybil sans s’arrêter ni se retourner pour regarder Léon. À partir de là, on avisera.

Elle espérait que le fait de profiter de la nuit pour quitter la mine leur permettrait de passer inaperçus quelques heures de plus. Elle n’avait pas l’intention de s’éterniser davantage, de toute façon.

Ainsi, le Président avait fait emprisonner pas moins de onze personnes depuis son investiture. Cela faisait presque une tous les deux jours ! Il était facile de régner en maître sur une planète quand on mettait le moindre opposant deux kilomètres sous terre au premier mot de travers. Sybil avait hâte de pouvoir discuter avec toutes ces personnes et d’apprendre pourquoi elles s’étaient retrouvées enfermées. L’une des raisons était toutefois devenue évidente : Gaël était une ordure. Cette fois-ci, elle en était convaincue et ne lui accorderait plus jamais sa confiance.

Aucun des anciens détenus ne chercha à fausser compagnie à la jeune militaire. S’ils lui étaient de toute évidence redevables, ils n’avaient surtout aucun espoir d’échapper à la milice si jamais ils tentaient de reprendre le cours de leur vie là où elle s’était brutalement arrêtée quelques jours plus tôt. Cette femme constituait leur seul espoir. Alors, où qu’elle aille et quels que fussent ses projets, ils la suivraient.

Après une bonne demi-heure de marche à un rythme soutenu, Léon reconnut, non sans émotion, la placette où il avait pris l’habitude de terminer chacune de ses journées de travail en compagnie de Sybil, même si elle baignait en cet instant dans les ténèbres nocturnes. Pourquoi est-ce qu’elle les amenait ici ? Par nostalgie ? Pourquoi est-ce qu’elle… frappait à une fenêtre ?

— Edwige. Edwige ! Désolée mais il faut que tu te réveilles !

L’adolescente, encore à moitié endormie, se précipita pour ouvrir le battant.

— Sybil !? Mais… Qui sont ces gens ? Oh… Tu as retrouvé ton ami, dit-elle en reconnaissant Léon malgré l’obscurité.

— Edwige, écoute. On n’a nulle part où échapper à Gaël dans Antelma. Il faut… Il faut qu’on quitte la ville avant le lever du jour.

— Quoi ? Mais tu as perdu la tête, où veux-tu aller ?

— On doit partir d’ici, c’est tout ce que je sais. Battre en retraite pour mieux contre-attaquer. Tu veux combattre Gaël toi aussi, non ? Alors, viens avec moi.

— Et ma mère ? Non, je ne peux pas partir comme ça, ne dis pas n’importe quoi !

— Ta mère n’a qu’à venir avec nous. Va la chercher, on t’attend. Mais ne traîne pas.

Edwige secoua la tête puis écarquilla les yeux. Était-elle en train de rêver ? Non, tout cela était bien réel. Et la proposition de Sybil ? Elle n’était pas prête à décider. Pouvoir fuir l’immonde dictature de Gaël était tentant, mais… pour aller où ? Sybil n’était-elle pas en train d’agir de manière irréfléchie, sous le coup de la colère ? Elle n’avait aucun plan ! Et pourtant… Edwige avait envie d’y croire. Elle avait envie de construire ce plan avec Sybil, et de se venger de Gaël qui avait condamné sa mère à une mort lente et douloureuse.

— Très bien, je vais la réveiller, finit-elle par dire d’un ton convaincu.

— Fais vite, insista Sybil.

Edwige courut dans la chambre de sa mère. Cassandra dormait à poings fermés. L’adolescente se sentit terriblement gênée à l’idée d’interrompre le sommeil de sa mère malade, mais il le fallait.

— Maman… Maman ! Réveille-toi, c’est important !

— Qu’est-ce que… ? Edwige ? Il est quelle heure ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Écoute, sur la place derrière chez nous, il y a un groupe de… de gens qui veulent échapper à Gaël. Ils veulent quitter la ville cette nuit et nous demandent de nous joindre à eux.

— Quoi ? Mais comment nous connaissent-ils ? Pourquoi nous ? bafouilla Cassandra qui avait elle aussi l’impression de rêver.

— Je t’expliquerai tout ça, mais là il faut choisir vite. Si on veut se libérer de la tyrannie de Gaël et le faire payer pour ce qu’il t’a fait, c’est maintenant qu’il faut se décider !

Cassandra marqua un temps de pause. Elle se souvint d’un coup des paroles de sa fille à propos de Gaël. « Je vais le tuer, » répéta-t-elle dans sa tête. Ainsi, cette idée ne l’avait pas quittée.

— Mais pour aller où, Edwige ?

— Je n’en sais rien, mais loin d’ici.

— Et… tu en penses quoi, toi ?

— Je veux partir d’ici et qu’on se venge de Gaël pour tout le mal qu’il cause autour de lui, répondit l’adolescente après un temps d’hésitation, tout en serrant les poings.

— C’est… Cela me semble surréaliste, Edwige. On ne peut pas partir comme ça. On ne peut pas quitter Antelma sur un coup de tête.

— Et pourquoi pas, maman !? s’emporta l’intéressée. Parce que personne ne l’a fait avant ? L’immobilisme n’est pas la solution ! Gaël est en train de faire sombrer cette société. Il t’a déjà condamnée toi, par la maladie, et… et… il va faire pareil avec tout le reste ! On peut l’en empêcher, mais pas en restant ici !

— Je… Très bien, je vais m’en remettre à ton intuition. Après tout, tu as toujours été plutôt clairvoyante, jusque-là.

Cassandra se leva péniblement. Elle avait du mal à marcher, son cancer ne lui offrant aucun répit. Les douleurs lui rappelèrent de ne pas oublier ses médicaments dans leur fuite, mais ne la firent pas revenir sur sa décision. Si Edwige voulait partir, alors il fallait lui offrir cette opportunité : elle avait toute la vie devant elle, et il était préférable qu’elle la passe à se battre pour de bonnes causes plutôt qu’à devenir une victime de Gaël elle aussi. De toute façon, Cassandra se savait vouée à une mort certaine.

De quelles autres affaires aurait-elle vraiment besoin ? Peut-être de tout, sans doute de rien. Cessant d’y penser, elle enfila ses vêtements et rejoignit sa fille qui avait regagné sa chambre pour faire de même.

— Nous sommes prêtes, dit-elle alors à Sybil. Je ferme la fenêtre et on fait le tour pour vous rejoindre.

Si la nuit n’avait pas été aussi noire, Edwige et sa mère auraient sans doute remarqué que la fissure traversant la route devant chez elles s’était encore agrandie, devenant un gouffre béant qui plongeait dans les entrailles de Sagittari.

— On est là, Sybil, dit Edwige à voix basse tandis qu’elle s’approchait de la jeune soldate.

— Très bien, écoutez-moi tous. On ne va pas se mentir, il n’y a qu’une seule option : on traverse la forêt jusqu’à trouver une clairière où installer un camp. De là, on réfléchira à nos opérations. On trouvera de quoi manger et boire là-bas : il y aura forcément des fruits qu’on pourra cueillir et des petits points d’eau. On n’a pas besoin de plus. De toute façon, c’est ça ou rester prisonniers de Gaël. À vous de voir.

« Traverser la forêt ? » Edwige frissonna à cette idée. Comment réagiraient les finils ? Les laisseraient-ils au moins passer ?

— Je… Je dois vous dire, je suis déjà allée dans la forêt, et… dit-elle, prête à parler des finils.

— Déjà allée dans la forêt ? s’étonna Sybil, interrompant l’adolescente. Alors montre-nous, on te suit.

— Très bien, répondit Edwige, revenant sur sa décision de révéler l’existence des esprits de la forêt. Par là.

Elle guida alors la petite équipe vers l’orée de la forêt, par là où elle y était déjà entrée trois fois. Cette fois-ci, il n’y aurait pas de retour en arrière. Elle se mit soudain à trembler. Était-ce la peur ? C’est vrai, elle avait peur de tout abandonner. Son école, sa maison, ses habitudes… Son confort aussi. Mais elle savait que ce confort n’était pas voué à durer, et qu’il faudrait bien s’en séparer tôt ou tard, à cause de Gaël. Alors autant que ce fût tout de suite, cela lui laisserait davantage de temps pour se retourner.

— Ne traînons pas, insista Sybil, alors qu’Edwige s’était arrêtée devant les premiers géants sylvestres séparant la civilisation des étendues sauvages.

Sans dire un mot de plus, l’adolescente franchit les premières racines de la forêt. Comme la fois précédente, la mise en garde des finils commença à faire écho dans sa tête. Elle s’immobilisa à nouveau.

— Est-ce que… vous entendez quelque chose ? demanda-t-elle à l’attention du reste du groupe.

Tous répondirent par la négative, après quoi Sybil sollicita une nouvelle fois Edwige :

— Le jour commence à se lever. Allez, on ne doit pas rester ici !

Sous la conduite réticente de l’adolescente, les fugitifs s’aventurèrent lentement parmi la végétation colossale et les énormes fougères qui rendaient leur progression difficile. Les ronces épaisses comme des troncs prenaient des allures spectrales dans l’ambiance nocturne. Certains membres de l’équipe semblaient terrorisés, mais faisaient de leur mieux pour conserver leur sang-froid. L’absence de lumière ne jouait toutefois plus en faveur du petit groupe, qui peinait à avancer dans cet environnement encore plus hostile qu’en plein jour. Sybil avait bien une lampe torche, mais celle-ci ne servait pas à grand-chose : son faisceau se perdait dans la végétation en moins d’un mètre, et ne permettait donc pas d’observer les environs de façon efficace. La jeune femme ne perdait pas espoir malgré tout ; elle avait même l’impression de s’habituer à l’obscurité et de mieux distinguer les formes autour d’elle.

Ce n’était pas qu’une impression. De petites lumières vert pâle, quelques mètres devant elle, éclairaient les gigantesques troncs et donnaient du relief à cette végétation étouffante.

— Hé ! Là-bas. Regardez ça, dit-elle calmement à l’attention du reste du groupe en montrant les étranges lueurs vertes du doigt.

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