Chapitre 13 (première partie)

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Château de Lures, 14 mai 1734

Pour une fois, un bal allait se révéler très instructif pour moi et la soirée serait finalement plaisante. J'étais enchantée de pouvoir fêter ainsi le retour de mon frère, mais sans la présence de Kyrian, je savais que j'aurais redouté les invitations à danser. Je ne pouvais pas toutes les refuser, et j'avais déjà bien imaginé comment j'allais procéder. Je pourrais en accepter deux, voire trois d'affilée, pas plus, et je pourrais alors prétexter de le retrouver pour qu'il ne se sentît pas isolé.

Mes parents avaient lancé quantité d'invitations, à des amis, des proches. Je crois bien que toute la noblesse de Blois et des environs allait être présente ce soir-là. Ma mère avait surtout veillé à ce que plusieurs jeunes filles de haute naissance soient invitées : elle voulait déjà envisager un mariage pour mon frère. Je compris vite aussi qu'elle n'avait pas perdu l'idée du mien, maintenant que François était de retour et que mon argument pour ne pas entendre parler de noces ne tenait plus. Jean de Richemond faisait partie des invités, ainsi que quelques autres partis susceptibles de me convenir. Quand je m'en rendis compte, j'en pris un peu ombrage, mais je parvins à ne pas le montrer, du moins, je le croyais. Car il fut au moins une personne à sentir quelques-unes de mes réticences et quand j'allais le découvrir, j'allais en être bien étonnée.

Le début de la soirée se déroula cependant tel que je l'avais imaginé. Si j'acceptai certaines danses, dont une avec mon frère, je pus facilement en refuser et demeurer auprès de Kyrian. Celui-ci n'était pas pour autant esseulé, car nombre de personnes étaient curieuses de le connaître et je remarquai rapidement que plusieurs jeunes filles censées être là pour mon frère s'intéressaient en fait plutôt à lui. Cela me causa un sentiment peu agréable, de déplaisir et de jalousie que je ne connaissais pas. Certaines aussi venaient nous parler car j'étais le moyen d'approcher François, j'en avais bien conscience.

Au cours d'un de ces échanges, nous nous trouvions là, Kyrian et moi, en présence d'Eléonore de Gamier, Sophie d'Astruc et Maud de la Valière. La première n'avait pas la langue dans sa poche et se montra plutôt directe avec Kyrian.

- Monsieur, vous nous arrivez donc d'Ecosse à ce que l'on dit... J'ai déjà entendu parler de votre pays par un de mes cousins...

- Ah oui ? répondit poliment Kyrian.

- Oui... Et vous avez des coutumes bien étranges à nos yeux !

- Il en est des vôtres qui paraîtraient tout autant étranges aux nôtres, très certainement, sourit-il en réponse.

J'observais cette discussion,trouvant judicieuse la réponse de Kyrian.

- On m'a dit que les hommes portaient un costume de femmes, voyez-vous cela ! Est-ce vrai, Monsieur ?

- Ce n'est pas un costume de femmes. Il s'agit d'un kilt, c'est fort différent d'une robe. Je ne me vois pas évoluer dans une de vos tenues, Mesdemoiselles, bien qu'elles soient toutes fort seyantes. Il me serait difficile de tirer l'épée ou de monter à cheval avec, sans compter de participer à divers travaux des champs.

- Les nobles écossais seraient-ils donc des paysans ? demanda Maud avec une sorte de dédain.

- La vie dans mes contrées est plus dure que les vôtres, répondit Kyrian. Il faut savoir tout faire et, parfois, c'est vrai, aider les métayers à certains travaux.

Je m'étonnai moi-même de cette réponse. Cela renforça encore mon intérêt et ma curiosité et, contrairement à Maud et à nos deux autres interlocutrices, je ne trouvai pas cela rebutant : il faut bien dire qu'elles, elles n'avaient jamais dû se rendre dans un village, ni assister à des moissons ou aux soins que les paysans pouvaient apporter à leurs animaux.

La conversation se poursuivait pourtant :

- Possédez-vous ici un de ces costumes, Monsieur ? demanda Sophie qui semblait soudain vivement intéressée - un peu trop à mon goût.

- Oui, j'en ai un dans mes bagages. Mais je ne l'ai pas porté depuis longtemps. Sans doute ne le remettrai-je pas avant de retourner en Ecosse.

- Vous comptez y repartir bientôt ?

- Avant l'automne, oui. Le voyage est long et je voudrais revoir les miens avant que l'hiver n'arrive.

Eléonore ramena la conversation vers le kilt et le tartan, ce qui semblait vraiment piquer sa curiosité :

- Figurez-vous, mes chères, dit-elle en parlant de nous trois, que mon cousin m'a raconté que... ces messieurs, ajouta-t-elle en désignant Kyrian comme s'il était le représentant de tous les siens, ne porteraient rien sous leur kilt...

Je vis les joues de Maud et de Sophie rougir violemment. Quant à moi, je fus aussi perplexe que Kyrian devant une telle franchise. Certes, Eléonore était délurée, mais de là à aborder aussi nettement la question des dessous masculins... et de leurs parties intimes... Un grand rire éclata qui mit fin à ce trouble qui s'était emparé de nous. C'était Kyrian qui prenait finalement la remarque d'Eléonore de la façon la plus intelligente qui fût :

- Eh bien, Mademoiselle, votre cousin a vraiment été curieux... au point d'aller voir sous le kilt d'un de mes compatriotes ! Ma foi, je garderai le secret sur ce point, si vous le permettez. Je ne pense pas que ce soit une question du plus grand intérêt.

Je compris qu'Eléonore allait nous gratifier d'une nouvelle réplique dont je n'osai imaginer la teneur, quand un toussotement léger se fit entendre à mes côtés. Je me retournai et vis alors Jean de Richemond qui s'était approché. Sa présence eut pour effet de mettre fin à ce sujet de conversation. Je ne pus dire si je fus contente de le voir. Soulagée, certainement, car nous allions pouvoir parler d'autre chose, tout en reconnaissant que je n'avais pas particulièrement envie de passer un moment avec lui. Au moins, je pouvais être sûre d'une chose : lui aussi ne demanderait pas à danser avec moi.

- Mademoiselle du Breuil, Mesdemoiselles, Monsieur... Permettez que je vous interrompe pour vous saluer. Je ne vous avais pas encore vue, Mademoiselle, ajouta-t-il cette fois en s'adressant uniquement à moi.

Je lui répondis par un simple sourire. Certes, il était un homme aimable, discret, mais dès que je le vis, je sentis à nouveau l'ennui m'envahir. Comme il était différent de Kyrian ! Autant je me sentais vivante en présence du bel Ecossais, autant je sentais comme une grisaille moite me coller à la peau quand Jean de Richemond se trouvait à mes côtés. Je me montrai cependant polie et m'empressai aussi de le présenter à Kyrian et réciproquement. Deux autres jeunes gens le suivirent de peu et, bien vite, Eléonore et Sophie furent invitées à danser. Maud resta avec nous.

Et ce fut elle que Jean de Richemond invita à danser, non sans avoir tenté d'échanger avec moi un regard qui se voulait complice. Ce regard n'échappa pas à Kyrian, je le sus bien plus tard...

**

Comme il faisait très beau ce soir-là, les grandes fenêtres de la salle de bal avaient été ouvertes. Elles donnaient sur les jardins dont les premières allées avaient été, pour la circonstance, éclairées par de nombreuses lanternes. Quelques invités avaient pris leurs quartiers sur la terrasse, qui pour y parler plus tranquillement, qui pour y trouver un peu de fraîcheur. D'autres encore, peut-être, cherchaient dans les ombres lointaines un moyen de s'isoler un peu plus...

Alors que Maud s'éloignait au bras de Jean de Richemond, Kyrian se pencha vers moi et me dit discrètement :

- Voulez-vous sortir un peu, Mademoiselle ? Pour ma part, j'irais bien prendre un peu l'air et admirer les jardins qui me semblent bien beaux, avec toutes ces lanternes...

- Volontiers, Monsieur, répondis-je. Cela me permettra de ne pas avoir à refuser l'invitation pour une prochaine danse du jeune homme que vous voyez en face de nous, là-bas, dis-je en le désignant discrètement d'un mouvement du menton. Maintenant que Monsieur de Richemond s'est éloigné, je le devine impatient de pouvoir traverser les danseurs !

- Ah ? fit-il simplement. Très bien alors, venez.

Il se leva alors et me tendit le bras. Je quittai mon fauteuil et nous fîmes le tour de la salle pour en sortir par une fenêtre éloignée de Monsieur de Champreau. Ce dernier n'était vraiment, mais vraiment pas à mon goût. La seule fois où j'avais dansé avec lui, il avait les mains moites, ses yeux n'avaient pas quitté la naissance de ma poitrine et je trouvais peu agréables ses regards lubriques. Il avait aussi pour réputation de pincer facilement les morceaux de chair féminine qui pouvaient passer à sa portée... Bref, sans donner plus d'explications à Kyrian, je ne voulais pas avoir à passer ne serait-ce qu'une minute en la présence de cet homme.

Ce soir de mai était très doux. L'air embaumait de tous les parfums des fleurs de cette saison, à commencer par celui, suave, des seringas et, plus doux, des premières roses. Si la terrasse et le jardin étaient fréquentés, il y avait cependant beaucoup moins de monde que dans la salle de bal et je compris aisément que nous allions pouvoir passer là un moment tranquille et agréable. Si des fauteuils avaient été installés sur la terrasse, plus aucun n'était libre et je proposai alors à Kyrian de faire quelques pas dans les allées et trouver un peu plus loin un de ces bancs de pierre ou de bois qui agrémentaient les allées.

J'avais passé mon bras sous le sien et je prenais grand plaisir à marcher ainsi, dans le silence et les parfums de la nuit, à ses côtés. Je n'avais pas envie de parler, de rompre ce silence qui nous entourait, protecteur. J'étais tout simplement bien. Et je pensais, avec raison, que lui aussi, car je ne doutais pas un seul instant que si cela n'avait pas été le cas ou qu'il avait ressenti le besoin de dire quelque chose, il l'aurait fait. Depuis que j'apprenais à le connaître, j'avais pu remarquer que la franchise était une de ses qualités. J'apprendrais aussi, par la suite, que c'était une des caractéristiques du caractère écossais.

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