Chapitre 6 (première partie)

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Château de Lures, septembre 1725

Bien campée sur la selle de mon cheval bai, tout au bout de l'allée qui traversait le parc de notre demeure et rejoignait la route menant à la ville, je regardais au loin les mouvements de la voiture qui emportait mon frère avant qu'elle ne disparaisse à un dernier tournant. Il partait rejoindre l'école militaire. Nous avions appris la nouvelle six semaines auparavant et, depuis, nous n'avions eu de cesse de préparer son départ, son équipement. Mon père et ma mère n'avaient pas été avares de recommandations de toutes sortes. Pour ma part, je ne lui avais dit qu'une seule chose : "Reviens-nous".

J'avais parcouru seule le trajet, avec lui, pour l'accompagner jusqu'à la limite de notre parc. Mes parents lui avaient dit adieu dans la cour du château alors qu'il montait en voiture. Ils avaient cependant bien compris mon désir de demeurer encore quelques instants avec lui et n'avaient fait aucune objection en me voyant venir des écuries avec mon cheval sellé. Alors que la voiture allait franchir la grande grille du château, il avait fait arrêter le cocher et, par la fenêtre ouverte, il m'avait dit :

- Prends soin de toi, petite sœur ! Ne fais pas de bêtises !

- C'est surtout à toi qu'il faut dire cela... Fais attention, François. Ne t'expose pas inutilement...

- Je serai prudent. Je tiens à revenir, tu sais. Pour l'heure, il ne faut pas s'inquiéter : je serai simplement à l'académie militaire, me sourit-il.

Et ce sourire et cette évidence achevèrent de me rassurer, du moins pour quelque temps.

**

Avec le départ de François s'instaura un étrange silence dans la maison. Ma mère était toujours aussi austère et mon père passait beaucoup de temps à s'occuper de ses biens. Si j'avais mis de longs mois à me remettre de mon accident, je pouvais désormais vivre une vie quotidienne quasi-normale. Bien entendu, je ne pouvais plus galoper dans les fourrés comme avant, ni même marcher normalement. Mais les douleurs violentes s'estompaient, ne revenant qu'épisodiquement et avec moins de force. C'était seulement lorsque je faisais des "poussées de croissance" que je souffrais vraiment. Et là, c'était insupportable.

En retrouvant une vie normale, j'avais aussi repris l'apprentissage de l'équitation, même si ma mère craignait une mauvaise chute qui aurait pu m'handicaper encore plus. Or je tenais vraiment à remonter sur un cheval et à acquérir ainsi une certaine liberté : ce que je ne pouvais faire à pied, je pourrais toujours le faire sur le dos d'une monture, c'était du moins ce que j'imaginais dans ma tête.

Le départ de mon frère fut rendu encore plus difficile à supporter quand, deux mois plus tard, juste à la veille de Noël, ma grand-mère décéda. Je la pleurai beaucoup, car elle avait été très présente durant toute ma convalescence, me posant inlassablement des compresses humectées de décoctions diverses pour apaiser mes douleurs, me racontant des histoires lorsque je ne parvenais pas à me concentrer sur une lecture, que je ne trouvais pas non plus le sommeil.

Ce décès me mit alors vraiment seule face à mes parents et il me sembla que notre grande maison se recroquevillait sur nous. La mort de sa mère rendit mon père plus secret et silencieux encore. Quant à ma mère, je n'aurais trop su dire comment elle vécut tout cela : elle ne montrait que peu son ressenti.

Je m'abîmais alors dans mes cours, mes lectures, restant parfois de longues heures devant la cheminée ou à regarder le ciel par la fenêtre, me demandant si toute ma vie serait aussi terne et vide qu'en ces tristes journées d'hiver.

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