Chapitre 5 (première partie)

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Inverie, 12 avril 1725

Nous avions quitté Dunvegan il y a trois jours. Je venais tout juste de fêter mes quinze ans quand mon oncle m'avait fait venir auprès de lui. Il voulait me confier la tâche de retourner avant l'hiver, pour quelque temps, à Inverie, d'y rencontrer son représentant et intendant et de revoir le domaine. Je devais aussi faire collecter avec l'intendant les redevances de l'année. Ce serait pour moi l'occasion de rencontrer la plupart des métayers et artisans qui travaillaient sur les terres d'Inverie. Hugues partit avec moi, ainsi que quelques hommes de confiance de mon oncle. Il avait un temps envisagé que mon cousin, Caleb, vienne avec nous, puis finalement, une convalescence liée à une mauvaise grippe, allongée par un printemps pluvieux, avait obligé Oncle Craig à demander à son aîné de le remplacer à Dunvegan pour certaines tâches.

Je laissais également derrière moi ma sœur, Jennie. Au moment de nous séparer, j'avais lu bien de la crainte dans son regard. Mais je savais aussi que cette crainte n'était pas pour moi : il n'y avait guère de risque à retourner à Inverie, ni à faire le voyage. Non, elle revivait à nouveau les événements qui nous avaient conduits à quitter notre maison. Je doutais alors qu'elle puisse y revivre un jour.

Au cours des années passées, j'avais arpenté l'île de Skye en tous sens, du moins, là où il était possible de passer, dans les vallées, le long des côtes et des rivières. Mais je ne l'avais pas encore quittée une seule fois. Ce voyage était donc l'occasion d'une certaine initiation et fleurait bon l'aventure.

Notre petite troupe était composée de quatre hommes, en plus d'Hugues et moi-même. Parmi eux se trouvaient deux cousins, deux joyeux drilles. L'un, Edward, était petit et sec, aux cheveux blonds, à la figure allongée. L'autre, Malcom, était grand et très costaud, rouquin, une force de la nature. Tous deux portaient, comme bien des hommes d'ailleurs, une barbe fournie et ils avaient les yeux clairs. Voyager avec eux, c'était cheminer en bonne compagnie. Ils avaient toujours quantité d'histoires à raconter, des plus grivoises aux plus imagées. Je savais que s'il subsistait toujours un fond de vérité, ils enjolivaient aussi beaucoup les choses. Mais les entendre faisait paraître la pluie moins froide, le vent plus doux et la brume moins dense.

Après la courte traversée du Sound of Sleat, il nous restait encore une journée de voyage avant d'atteindre Inverie. Nous décidâmes de dormir pour une fois à l'auberge du village. Là, nous fîmes bonne chère et bûmes notre content. Mais nos deux compères semblaient m'avoir réservé une petite surprise de leur acabit. Sans que je le remarque particulièrement, ils avaient su manœuvrer.

Dans les auberges, il était rare de pouvoir disposer de plusieurs chambres et, bien souvent, les voyageurs dormaient dans la salle commune, sur les bancs ou à même le sol, devant la cheminée, enroulés dans de chaudes peaux de bêtes que nous emmenions toujours avec nous, repliées soigneusement à l'arrière de nos selles. C'étaient d'ailleurs avec ces mêmes peaux que nous nous couchions sur la terre nue lorsque nous dormions dehors. Elles nous protégeaient de l'humidité montante, comme de la brume et de la rosée du matin. En plus de notre tartan qui nous servait aussi de plaid ou de couverture, cela faisait un couchage tout à fait acceptable. Plus d'une fois, lorsque j'allais servir sous les couleurs de l'armée française, j'allais regretter de ne pas avoir emporté une de ces peaux avec moi, car elle aurait été bien plus confortable que les couvertures pleines de poux ou de puces que l'intendance nous fournissait alors.

Mais ce soir-là, les quelques chambres de l'auberge n'étaient pas occupées. Il n'y avait pas de voyageurs suffisamment aisés pour en prendre une. Je pensais, naïvement, que nous ferions comme d'habitude : à savoir, partager la salle avec les autres, après avoir levé plusieurs chopines et joué aux dés ou aux cartes pour remporter quelques défis. Malcom me fit comprendre qu'une était pour moi. Un peu ivre et fatigué, je me dis que ce ne serait pas une mauvaise idée de dormir dans un bon lit, à la veille d'arriver chez moi. Je ferais sans doute meilleure impression. Je jetai un œil à Hugues qui me fixa d'un air impénétrable. Il était au courant du traquenard, mais n'en laissa rien paraître et ne fit rien non plus pour l'empêcher.

Alors que les convives regagnaient leurs foyers les uns après les autres, que le brouhaha ne cessait pas pour autant, je montai donc me coucher.

**

Lorsque j'ouvris la porte, je crus un instant à une erreur malencontreuse. Une jolie jeune femme blonde, aux cheveux ondulés retenus en une lâche tresse, se tenait assise sur l'unique fauteuil de la pièce, devant le petit feu de cheminée. Je restai interdit un instant, commençant à bafouiller de plates excuses pour m'être trompé de chambre, mais elle se leva avec un sourire bienveillant.

Passant la main derrière mon dos, elle referma soigneusement la porte et me dit :

- Il n'y a pas d'erreur, mais vous avez des manières de gentilhomme, j'apprécie.

Elle se tenait vraiment très près de moi, je pouvais voir briller ses yeux d'un joli vert tendre et son sourire était des plus engageants. Je devais avoir l'air vraiment stupide, ou était-ce un peu de ces brumes que la bière avait fait monter à mon cerveau ? Toujours fut-il que je ne comprenais toujours pas ce qui se passait.

Elle tendit la main vers moi, la posa sur la broche qui retenait mon tartan, sur mon épaule. Elle dit :

- Je vous ai vu arriver ce soir. Vous êtes bon cavalier. Et si j'en crois l'épée et le poignard que vous portez... Vous devez être déjà bien au fait du maniement des armes.

- Eh bien..., finis-je par réussir à articuler. Ma foi, je m'en débrouille. Mais j'ai encore beaucoup à apprendre...

- Pour devenir un homme ? Certes !

Et son rire léger résonna dans la pièce. Ces paroles me faisaient un effet étrange, de même que sa présence.

- Il est des choses que les hommes apprennent entre eux et que nous, pauvres femmes, n'entendons guère. Pourtant il en est d'autres... qu'il n'y a que nous, pour vous apprendre... Venez...

Et elle m'attira plus avant dans la pièce, me prenant la main. C'était une main de fille habituée aux rudes tâches du quotidien. Elle n'avait rien d'une demoiselle des salons de Londres ou d'Edimbourg, elle n'était pas non plus une catin des faubourgs miséreux de ces mêmes villes. Elle avait du bon sens et de la générosité, ce qu'elle allait bien vite me prouver.

Sa main se glissa sous les plis de mon tartan, défit la broche et les premiers pans de mon vêtement tombèrent au sol. Puis elle porta la main vers son corset, dénoua les lacets, et sa robe rejoignit bien vite mes propres affaires. Sans hésitation aucune, elle retira ensuite la chemise blanche qui la couvrait encore avant de me dévoiler son corps nu et déjà un peu lourd. Elle avait des seins magnifiques, ronds et doux, aux larges aréoles brunes. Elle sourit devant mon air ébahi et la rougeur qui enflamma mes joues n'avait rien à envier à celle de mes cheveux.

- Tu n'as jamais vu de femme nue ? me demanda-t-elle avec une certaine douceur.

Je déglutis, chassant le souvenir de Jennie étendue sur son lit, après le viol. L'image que la jeune femme me présentait était bien différente.

- Non, répondis-je avec sincérité.

- Et tu n'en as pas encore touché, n'est-ce pas ? Viens... Tu peux.

Je levai alors une main hésitante vers la pointe de son sein et je puis dire que je n'oublierais jamais l'étrange sensation que je ressentis à cet instant. Quelque chose de très léger caressa l'intérieur de ma paume et je songeai que je n'avais jamais rien éprouvé d'aussi doux. Ses mains remontèrent vers mon visage, l'attirant vers le sien et elle m'embrassa profondément. Là aussi, c'était nouveau pour moi et je fis de mon mieux. Quand elle s'écarta un peu, elle souriait encore :

- Et tu n'en avais même jamais embrassé...

- Il faut bien un début à tout, répondis-je en ayant désormais retrouvé tous mes esprits et en étant bien décidé à profiter de ce cadeau qui me semblait tout droit tombé du ciel.

Et je l'embrassai à mon tour.

Elle m'entraîna alors vers le lit, tout en défaisant ma ceinture et me dénudant totalement. Assis sur le bord, je me déchaussai de mes bottes avant de l'y rejoindre. Sa peau me paraissait chaude et dorée, à la lumière du petit feu et des quelques bougies allumées dans la pièce. Et s'il n'y avait point de clair de lune pour éclairer cette nuit, je trouvai cependant mon chemin parmi les méandres de son corps, car elle sut aussi me guider comme il se devait.

Quand je m'éveillai au petit matin, elle était partie et, un temps, je crus que tout cela n'avait été qu'un rêve comme j'en faisais parfois. Songeur, je demeurai dans le lit encore un moment. Si je n'étais désormais plus puceau et que, ma foi, il me semblait avoir percé au cours des heures précédentes quelques mystères féminins, il me restait cependant certaines questions.

Alors que le jour devenait plus clair, je me décidai à me lever, me rappelant que nous avions encore de la route à faire jusqu'à Inverie et que c'était quand même là le but premier de ce voyage. Je frissonnai en remettant mes vêtements, car la pièce était froide désormais, le feu s'était éteint. Et je n'avais plus de chaud corps de femme à mes côtés pour me réchauffer.

En rejoignant mes camarades attablés - au point qu'il me vint à l'esprit de me demander s'ils avaient seulement quitté la table depuis la veille au soir -, je compris cependant que je n'avais pas fait un rêve cette nuit, mais que Malcom et Ed étaient bel et bien à l'origine de ce "cadeau". J'essuyai sans broncher quelques-unes de leurs plaisanteries, dévorant l'assiette qu'Hugues avait glissée devant moi. Lui n'avait pas prononcé le moindre mot. Une chose était certaine : si les moqueries de mes amis étaient plaisantes, ce ne serait pas à eux que je poserais les questions qui me taraudaient encore.

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