Chapitre 4

7 minutes de lecture

Château de Dunvegan, 18 juillet 1723

- Quelle tête de mule ! Ecoutes-tu ce que je te dis, bon sang ?

Face à moi, le visage courroucé d'Hugues se voulait impressionnant. Et sans doute serait-il parvenu à impressionner bien plus que moi, mais j'avais désormais l'habitude de ses fausses colères, de ses sourcils broussailleux et de ses invectives. En bon Highlander, il était franc et entier, autant dans ses rires que dans ses fureurs.

Nous étions en sueur tous les deux, l'épée à la main. C'était lui que mon oncle avait désigné pour m'apprendre le maniement des armes. Il était un de ses meilleurs soldats et s'était battu à ses côtés à Sheriffmuir, en 1715. Il avait aussi vu tomber mon père et nous lui devions d'avoir pu ramener son corps jusqu'à Dunvegan, puis à Inverie où il repose désormais.

- Ce n'est pas en laissant de telles ouvertures que tu arriveras à battre le moindre troufion anglais ! Allez ! Assure ta garde !

Et il relança l'assaut. Je veillais à suivre ses conseils au mieux, mais à son grand désespoir, je ne semblais pas faire de progrès. Pourtant, je le sentais, je n'étais pas loin de réussir une touche. Mais il était vraiment un rude combattant. Las de ses remontrances, je me concentrai sur ce nouveau combat que nous venions d'engager. Les boucles rousses de mes cheveux étaient collées à mon front, mes pieds étaient couverts de poussière et les pans de mon tartan volaient autour de mes jambes. Je me battais en chemise dont j'avais remonté les manches jusqu'au coude.

J'avais treize ans et j'entamais tout juste ma croissance. Encore petit, il ne m'était pas facile de lutter en face à face, correctement, avec Hugues qui, s'il ne possédait pas la carrure large d'épaules de bien des Highlanders, était plutôt grand et élancé - et surtout très souple. Et alors qu'il allait une fois encore me démontrer la faiblesse de mes parades, je lâchai mon épée, plongeai violemment dans ses jambes que j'attrapai à deux mains et le fis tomber. Il poussa un grand cri de surprise, nous roulâmes un moment sur le sol. Puis je me redressai et le regardai avec un soupçon d'inquiétude. Son visage affichait une certaine stupéfaction, mais s'éclaira bien vite d'un grand sourire à travers sa barbe brune. Il se releva avec souplesse, me tapa sur l'épaule et me dit :

- C'est une bonne solution, en cas de difficulté. Mais cela ne doit pas t'empêcher d'améliorer ta garde. On reprendra demain. Viens ! Allons boire un coup !

Et, rangeant avec soin nos armes après les avoir essuyées, nous gagnâmes les communs où nous nous assîmes à une longue table, deux chopines d'une bière rousse et mousseuse à la main.

**

- Quelle tête de mule ! Entends-tu ce que je te dis ?

Oncle Craig faisait face à ma sœur, dans la pièce où je l'avais vu pour la première fois. Je n'assistais pas à la scène, mais Jennie me la raconta, plus tard. Elle avait peu de secrets pour moi et je veillais sur elle autant qu'il m'était possible.

- Jennie, soupira mon oncle. Tu vas avoir vingt-et-un ans. Il est vraiment grand temps de te marier. Alystair est un brave garçon, il a de bons revenus. Tu seras à l'abri du besoin et bien traitée. Que te faut-il de plus ?

- Je ne veux pas me marier, avait-elle répondu avec assurance. Ni avec lui, ni avec personne d'autre.

- Tu finiras vieille fille, alors ? A moins que tu ne veuilles entrer au couvent, c'est cela ?

- Je veux rester avec mon frère. J'irai où il ira et je veillerai à sa maisonnée.

- Alors, quand il sera en âge de reprendre les rênes d'Inverie, c'est là que tu iras. Tu le voudras ?

Autant il avait eu le ton ferme jusqu'à présent, autant il prononça cette dernière phrase avec une certaine douceur. Elle le fixa droit dans les yeux et répondit avec tout autant d'assurance que lorsqu'elle avait refusé cette nouvelle proposition de mariage :

- Oui.

- Très bien, répondit oncle Craig. Qu'il en soit alors ainsi. Je ne vais plus perdre mon temps à te chercher des prétendants. Cette question est close.

Et Jennie quitta la pièce, le regard assuré, mais le cœur battant. Non, jamais au grand jamais elle ne laisserait un homme la toucher ! Pas après ce que l'un d'entre eux avait fait. Elle ne supporterait jamais cela...

**

Je n'ignorais rien des raisons profondes qui poussaient ma sœur à refuser toute épousaille, et ce n'était qu'une raison de plus à la haine brûlante que je vouais depuis ce jour fatal au capitaine Luxley. Nous le savions en poste à Fort William, maintenant l'ordre dans cette région. Mais il ne venait jamais sur Skye. Rares d'ailleurs étaient les Anglais à oser s'aventurer sur les îles, à cette époque, et Skye était suffisamment peu engageante pour faire renoncer les plus audacieux. Si les velléités jacobites avaient été quelques peu émoussées après Sheriffmuir et la désastreuse tentative espagnole de Glen Shiel, quatre ans plus tôt, le sentiment de haine vis-à-vis des Anglais n'en demeurait pas moins présent. Mais si les Lowlands et la région d'Edimbourg s'étaient anglicisées au fil du temps et des défaites, il en allait tout autrement dans les Highlands. Le système clanique perdurait, même s'il avait subi quelques adaptations et que l'on devait désormais l'impôt à la Couronne. Mais les lairds avaient conservé leurs prérogatives et tout homme du clan pouvait toujours bénéficier de sa protection.

Oncle Craig avait fait parvenir une lettre au commandant de la garnison de Fort William, pour lui faire connaître les exactions commises par Luxley. Cette lettre était restée sans suites, de même que d'autres plaintes provenant d'autres familles. John Luxley faisait régner l'ordre à sa manière, et il obtenait sans doute ainsi des résultats satisfaisants aux yeux de ses supérieurs, aussi ne fut-il pas inquiété. Il semblait que la justice ne viendrait jamais des autorités militaires anglaises, et que ce serait, un jour, à nous de l'obtenir par nos propres forces.

C'était ainsi du moins qu'Hugues voyait les choses et tentait de m'en convaincre. C'était aussi une des raisons pour lesquelles j'étais si assidu à ses cours.

Il était devenu plus qu'un maître d'armes, mais un véritable protecteur et ami. Un confident aussi, et il n'ignorait rien de mes inquiétudes pour Jennie. Mais, avec le bon sens qui le caractérisait, il disait aussi qu'il fallait accepter ses choix. Même s'ils pouvaient nous sembler mauvais. C'étaient les siens. De mon point de vue, Hugues et Craig remplacèrent à eux deux mon propre père, parti trop tôt et que j'avais à peine connu.

**

Si je passais tous mes après-midis à apprendre le maniement des armes avec Hugues, mes matinées n'étaient pas oisives pour autant. Mon oncle avait décidé que je reprendrais les terres d'Inverie, quand je serais en âge de le faire. Et se battre n'était pas suffisant pour savoir administrer un domaine. Le matin donc, comme mes deux cousins - ses fils -, je suivais l'enseignement d'un précepteur et d'un homme de loi que mon oncle avait fait engager afin de nous former au mieux à ces autres tâches. Ce fut ainsi que Caleb, Manfred et moi-même apprîmes à lire, à tenir des comptes, et même à parler français. Mon oncle était plutôt partisan du prétendant Jacques Stuart qui revendiquait le trône d'Angleterre et il savait que les Français lui apporteraient finances et soldats le jour venu. Même si nous ne savions pas encore quand la Restauration serait possible, il fallait s'y préparer.

Caleb était l'aîné de mes cousins, il avait l'âge de Jennie. C'était un beau jeune homme aux cheveux aussi roux que les miens et ayant les mêmes yeux verts que moi. Son visage était plus allongé alors que le mien était anguleux. Sa mâchoire était fine, la mienne plus carrée. Notre sourire était parfois le même, avec une petite fossette qui se creusait lorsque nos regards pétillaient d'amusement. Nous étions bien, tous les deux, du même sang.

Manfred, quant à lui, avait trois ans de plus que moi. Même si je n'avais pas encore beaucoup grandi, je faisais pourtant déjà la même taille que lui. Il fallait croire que Caleb avait reçu à sa naissance toute la force des MacLeod, car Manfred était chétif, plutôt maigrichon. Il avait peu d'appétit, malgré tous les efforts de Madame Barach'n pour lui apporter de la nourriture saine. Il ressemblait, physiquement parlant, beaucoup à sa mère, ma tante Elisabeth, fille du clan des McDonnell. Il était aussi brun que nous étions roux, Caleb et moi, et ses yeux étaient marron foncé. Il avait le visage d'un angelot et s'il n'avait été le fils du laird, il aurait certainement essuyé de nombreuses moqueries quant à son physique. Mais ce que la nature ne lui avait pas apporté dans les muscles, elle le lui avait mis dans la tête et, de nous trois, il était certainement le plus assidu aux leçons du matin. Très vite, d'ailleurs, nous ne fûmes plus que tous les deux à les suivre, car Caleb secondait son père dans l'administration du clan et des terres. Pour l'heure, il n'était pas question de succession et, ma foi, il aurait été difficile de dire lequel des deux frères serait le meilleur laird après mon oncle.

Je m'entendais bien avec mes deux cousins. Caleb me rappelait souvent Alec, mon frère. La plus petite différence d'âge et le fait que nous passions toutes nos matinées ensemble, Manfred et moi, nous rapprocha aussi beaucoup. Et si certains enseignements me paraissaient fastidieux, il avait le don pour rendre les choses intéressantes et, finalement, je m'ennuyais bien moins que je ne le laissais penser à écouter Ted Scott, l'homme de loi, ou Robert McTosh nous enseigner la meilleure façon de percevoir les redevances ou de faire de jolies phrases, en anglais, en français ou en gaëlique.

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