30 - retrouvailles

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En sortant de gare, trompé par le contre-jour ensoleillé de cette matinée d’hiver, je vis une apparition : William, dans sa splendeur, avançait vers moi. Mon cœur s’arrêta, mes jambes me lâchèrent. William se précipita pour me soutenir avant que je m’effondre.

— Jérôme, ça va ?

Je ne reconnus ni la voix ni l’odeur de mon bien-aimé dans ce fantôme.

— Viens !

En me soutenant, il m’introduisit dans le caboulot devant nous, avant de me pousser dans le fond.

— Jérôme, je suis heureuse de te revoir.

Mes synapses se reconnectèrent immédiatement.

— Clothilde !

Dix ans ! Dix ans depuis notre rencontre. Elle restait la copie de son frère et la luminosité m’avait trompé.

Dès son arrivée à Berck, les problèmes avaient commencé. Ses parents auraient voulu qu’il soit rapatrié près de Lyon. La démarche avait été menée à mon insu, et ce n’est que lorsqu’on me força à signer un papier, en tant qu’époux, que je découvris la machination. J’avais envoyé tout valdinguer, y compris des promesses pharaoniques de « dédommagements ».

Les premières visites avaient failli se terminer par une agression sur moi, par sa mère furieuse. L’équipe soignante avait du jouer les entremetteurs : je n’avais eu droit de visite que le samedi, de 0 h à 24 h. J’arrivais par le premier train et repartais par celui de 21 h, me permettant de rester douze heures auprès de lui.

La routine m’avait fait oublier ce protocole.

Clothilde parlait, sans que j’écoute , jusqu’à ces paroles :

— Jérôme, William m’avait dit son attachement total à toi, le bonheur de votre mariage.

Le rappel de cette période heureuse et insouciante me fit mal.

— Tu sais, le bonheur de mon frère a toujours été mon bonheur. Je lui en ai voulu quand vous êtes tombés amoureux, car j’avais un sacré béguin pour toi.

Encore assommé, je la laissai poursuivre. Jamais William ne l’avait évoquée devant moi. Pourquoi ?

— Le pire a été son affichage avec toi ! Tant qu’il sautait garçons et filles, il était admiré pour sa vitalité. Nous étions admirés ! Car nous le faisions ensemble, tu te souviens !

Notre rencontre au centre de vacances me revint, magnifiée par ma mémoire.

— Être homosexuel n’est pas une tare, du moment que l’homme est marié et père. Vivre avec un homme, en plus de basse extraction, excuse-moi, a déclenché un scandale ! Malheureusement, ou heureusement, nos parents nous avaient fait une donation à notre majorité. Quand on a dix-huit ans, on ne s’intéresse pas à ces questions, on obéit !

Pourquoi me déballait-elle leurs histoires de famille ?

— Comme les voix de William étaient indispensables pour les décisions, il y a eu une réconciliation de façade. William avait bien compris que ni ton nom, ni quoique ce soit sur votre vie ne devait être évoqué.

— Et toi, là-dedans ?

J’étais pris par ces révélations. Comme sur tous les autres points, William ne s’était jamais livré. Je n’avais pas non plus cherché à connaitre des détails qui m'importaient nullement.

— Après avoir été jalouse de lui, pour t’avoir pris, et m'être positionnée du côté des parents contre lui, nous nous sommes finalement retrouvés. On ne peut pas rompre un lien entre jumeaux ! Il me racontait tout sur vous. Je le voyais quand je montais à Paris. Je suis venue souvent chez vous.

Ça, il aurait pu me le dire ! Je n’étais donc pas grand-chose pour lui !

— Un modus vivendi s’est établi. Le calme était revenu. Tout recommença à la mort de notre grand-père, puisque tous les deux, nous devenions majoritaires. Nos parents voulaient être sûrs que, jamais, au grand jamais, tu ne serais concerné par nos affaires. Pas touche à la fortune !

— Et ?

— Cela fit rentrer William dans une colère indescriptible. Vous étiez pacsés, ce qui ne te donnait aucun droit.

— Ah bon !

— C’est pour ça qu’il t’a demandé en mariage.

— Je ne comprends rien !

Je me souvenais seulement de cette demande, qui m’avait étonné et réjouit. C’est là qu’il m’avait posé l’anneau à l’oreille, remplaçant celui que j’avais acheté avec mon premier revenu, un job d’été. Effectivement, nous étions passés devant un notaire, signant les papiers présentés sans les lire.

— Non seulement tu devenais incontournable, mais le contrat te mettait à égalité avec lui.

— Il ne m’en a jamais parlé !

— Tu n’étais pas concerné. C’était uniquement pour te protéger, tout en faisant chier les parents.

Il allait falloir que je m’intéresse à ces choses, moi qui fuyais tout ce qui était gestion et administratif.

— Les affaires ont obligé à revenir au calme. L’accident, dont on t’attribue l’entière responsabilité, a tout réactivé. Une armée d’avocats travaille sur le dossier !

— Ah !

— Jérôme, tu me diras ce qui s’est passé ? Réellement. Le rapport de police est vide et on ne sait rien des circonstances.

— Oui, je te raconterai tout. Depuis le début. On va le voir ?

— J’en reviens ! mais j’y retourne avec toi. C’est trop dur toute seule. Je n’ai pas pu rester.

J’avais la nette impression qu’il y avait encore autre chose, qu’elle ne voulait pas encore me dire.

L’entrée dans la chambre me faisait toujours le même effet : un élan irrésistible quand je le voyais et un besoin de fuir. Fuir sa souffrance, ou la mienne ? Celle de voir un rêve se terminer en drame.

Chacun d’un côté du lit, nous lui tenions les mains. Comme d’habitude, son visage était crispé. Les seuls muscles qu’il pouvait activer lui servaient à exprimer sa colère, sa haine, ou tout autre sentiment négatif. Son aphasie restait inexplicable, entre un choc au cervelet, invisible par les examens, ou un blocage psychologique.

Clothilde lui racontait la vie extérieure, la politique, la culture. J’étais étonné, car il ne se préoccupait jamais de l’actualité. Je lui racontai nos « amis » communs, ma visite à la maison, la cérémonie pour Arthur. Je pesais chaque mot, pour ne rien révéler de la vérité à sa sœur. Je me promettais de tout lui dire, mais avec le contexte, la progression. Je ne voulais pas de son jugement. Pour l’instant, je la voyais trop attentive à mes propos. De longs moments de silence s’établissaient. Nous sommes descendus manger à la cafétéria. Le personnel connaissait toutes les familles, les habitués qui venaient visiter leur légume. Ce n’était pas le lieu pour parler de William et de l’accident. Je la branchai sur sa vie.

Elle avait poursuivi ses études et ses aventures sexuelles, en solo après notre rencontre. Elle m’avoua très simplement que filles ou garçons lui plaisaient, du moment que c’était hard et sans sentiments inutiles. Elle termina en disant que, depuis notre aventure, elle n’avait jamais trouvé quelqu’un avec lequel ou laquelle elle avait eu envie de vivre. L’ambiguïté de sa formulation m’interrogea.

Nous sommes revenus ensemble. Elle me fit remarquer que William paraissait très en colère aujourd’hui. Moi, je n’avais jamais vu de différence. Donc sa colère s'amplifiait avec moi. Cela confirmait mon impression. Sans un mot, elle me suivit à l’appartement, comme un vieux couple qui rentre chez lui. Nous avalâmes un morceau, ne parlant que de banalités. Elle se dirigea vers la chambre, se déshabilla et se mit à gauche, la place habituelle de William. Je l'imitai.

— C’est quoi, ça ?

J’y étais tellement habitué que je n’y avais pas prêté attention.

— C’est un truc, entre William et moi, répondis-je simplement.

— Un truc de malade ! Je crois que je dois apprendre des choses… Tu vas le garder longtemps ?

— C’est William qui me l’a mise. Lui seul peut la retirer.

— Jérôme, William ne bouge plus et ne bougera plus jamais un doigt !

— Tant pis ! C’est sa marque. La seule chose physique de lui que j’ai encore.

— Et tu vas mourir avec ?

— C’est ce qui était prévu.

Mes réponses démontraient la folie qui me gouvernait. Clothilde me regardait. Je ne sentais aucun reproche, aucune interrogation. Elle le prenait comme c’était. Ou alors, comme son frère, son travail intérieur ne transparaissait jamais, jusqu’à l'ordre ou au geste auquel on ne pouvait se soustraire.

— Jérôme, moi, je vais te délivrer, au nom de mon frère, au nom de William.

Ils avaient le même ton autoritaire. Je retrouvai immédiatement la soumission.

— Bien sûr, si tu le veux !

Cette réponse l’irrita. Elle m’injuria, avant de me lancer :

— Moi, je ne veux rien, et certainement pas te forcer. Tu vas, toi, me demander de le retirer.

— Je ne peux pas décider, ce n’est pas à moi…

— Jérôme, je ne sais pas ce qu’il y avait entre vous, et je m’en fous ! William n’existe plus.

— Ce n’est pas vrai ! Il est vivant, il a toujours toute sa tête !

Elle frissonna.

— Oui, sans doute. Toute sa tête pour profiter de son état ! Jérôme, tu prends soin de lui. Je sais que tu l’aimes encore, je l’ai vu. Mais, tout ça, c’est fini ! Tu dois arrêter !

— Ce serait casser mon dernier lien avec lui.

— Justement ! Casse-le ! Pour toi, mais surtout pour lui. Si tu le casses, il pourra partir, et c’est ce qu’on peut lui souhaiter de mieux !

Elle se mit à pleurer. Je m’approchai d’elle. Ce fut notre premier contact physique.

— Je ne sais plus. Tu crois vraiment ?

— Jérôme, redeviens une personne, s’il te plait.

Je savais qu’elle avait raison. Il fallait que ma relation avec William évolue, pour moi, pour lui.

— Je ne peux pas le faire moi-même. Il faut qu’un autre coupe le lien. Tu m’as proposé de le faire…

Je pris ma respiration.

— Vas-y !

— Où est la clé ?

— Mais je ne sais pas…

Déjà, je regrettai ma demande. Je venais de rompre avec celui qui occupait ma vie.

Elle farfouilla dix secondes dans la table de nuit. Je me souvenais à présent du changement précédent.

— Viens !

Je me positionnai devant elle, redoutant d’affronter le vide, le monde. Je sentis le poids s'en aller. Mon cœur battait, attendant la bouffée d’angoisse.

— Pouah ! Va laver tout ça !

Rien, je ne ressentais rien, sauf une impression de légèreté dans mon bas ventre.

Une fois sous la douche, je ne bougeais plus. Je n’avais pas le droit de me toucher.

— Jérôme, ça va ? Ça fait dix minutes que l’eau coule.

Elle comprit devant ma statue. Elle me savonna, me rinça. Je ne sentais pas ses gestes, j’avais perdu toute sensibilité dans mon sexe.

En m’essuyant, elle vit les cicatrices sur mes poignets, stoppant son mouvement une fraction de seconde.

Elle me tira dans le lit, se coucha contre moi, me fit poser la tête sur son épaule. Elle caressait doucement mes cheveux. J’étais apaisé quand elle murmura :

— Où êtes-vous allés ? Avec quoi avez-vous joué ? Jérôme, je suis là, maintenant.

Je m’endormis sans répondre.

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