31 - Clothilde

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Elle s’installa simplement. Elle poussa les affaires de William pour poser les siennes. Je ne dis rien, estimant qu’elle avait les mêmes droits que moi.

Un soir, elle revint avec des cabas.

— Aide-moi !

Nous avons entassé tous les vêtements de William. Je gardais quelques sous-vêtements et chemises. Elle disparut avec. Elle voulut faire de même avec ses affaires de toilette. Je mis précieusement de côté son parfum, leur parfum. Le jour où je m'en vêtirai, je serai guéri. Si ce jour arrive…

Christopher fit sa connaissance lors d’un de ses passages. Je n’avais pas eu l’occasion de lui parler de la jumelle de William. Heureusement, ce soir-là, il ne faisait que passer, comme pour s’assurer que j’étais toujours là. Nous conservions cette curieuse dépendance, indépendants mais constamment en connexion.

Clothilde fixa longuement ses poignets. Il le remarqua. Un silence gênant s’installa.

— Christopher, on mange ensemble demain midi ?

Sur le seuil, je le pris contre moi.

— Tout va bien. Il faut que je progresse. Tout va bien.

Pour la première fois, il me passa la main dans les cheveux.

Clothilde ne fit aucune remarque sur lui. Elle attendait que je sois prêt.

Ce soir-là, nous nous couchâmes selon notre habitude, nus, côte à côte, sans nous toucher. Il arrivait que la nuit nous rapproche, sans autre conséquence.

Je commençai : ma vie avant, notre rencontre avec William, l’absolu immédiat, notre fusion, malgré une distance irréductible, dont je ne percevais l’importance que maintenant.

Je déroulai ma dérive, rencontrant celle de William, l’amplification par le club, jusqu’au délire final. Cette histoire, elle en connaissait déjà des bribes. En la reprenant dans sa durée, elle m’apparaissait autre.

Je parlais avec plusieurs voix, sans pouvoir les associer ou les réconcilier. Il y avait d’abord l’historien, qui posait froidement la chronologie et les faits. Intervenait aussi l’émotif, qui tremblait à l’évocation de certaines scènes, déversant ses sentiments absolus. Puis apparaissait la bête, l’instinct, le corps, à la recherche de l’essentiel, du fondamental. Le psychologue commentait, tentant de débrouiller l’inexplicable. Le récit passait de l’un à l’autre, de façon heurtée.

Clothilde écoutait intensément, sans rien exprimer. Arrivé à la fin, à l’accident, je m’arrêtai, ivre d’horreur et de bonheur, encore et toujours emporté par le maelstrom qui me gouvernait. Elle profita de ce répit pour se positionner à côté de moi. Comme la première fois, elle me fit poser ma tête sur son épaule, avant de l'enlacer. Tout en me serrant, elle caressait la cicatrice de mon poignet. Je me sentis partir, prêt à tout déposer à ses pieds et à m’envoler, enfin libre.

Puis, tout retomba. Ce n’était pas pour moi, ce ne serait jamais pour moi.

Clothilde avait-elle senti ce qui venait de se passer ? Son étreinte se resserra. Elle déposa un baiser sur ma bouche. Au lieu de m’abandonner au plaisir de son offrande, je me demandai à quand remontait le précédent que j’avais partagé, avec qui. Je refermai brutalement cette pensée, car apparaissait le visage de celui dont je lui avais tu le nom.

Quand serai-je capable de le regarder en face ?

Clothilde se défit, me chevaucha et s'empala sur ma virilité. Je n’avais ni senti ni remarqué cette érection. Elle voulait me redonner de l’espoir en me faisant retrouver du plaisir, se donnant entièrement à moi.

À nouveau j’entrevis ma libération lors de mon explosion. La porte était ouverte, je voyais l’autre côté, mais des chaines invisibles m’interdisaient la vie.

Elle se repositionna en prenant ma tête. Le premier mot qu’elle prononça fut mon nom, avec un ton qui portait tout, qui portait trop.

Cette première fois fut suivie par d’autres, emplies de tendresses et de délicatesses, sans que jamais je ne me hisse assez haut pour réapercevoir la porte ouverte. Le paradis ne m’avait été montré qu’une fois, interdit pour moi.

Clothilde me raconta leur famille, leur enfance, leur lien indestructible. C’est ensemble qu’ils découvrirent les plaisirs intimes, par facilité, puis par affection, ne cessant de les partager qu’avec mon apparition. Ils se repassaient leurs amants ou amantes, leurs sex-toys, avant de se retrouver. Mon arrivée avait bouleversé leur relation. Il l’avait abandonné pour moi, et moi, je n’avais pas répondu à son attente : elle était prête à l’abandonner pour moi. Apprendre ce que je n’avais pas fait, apprendre mon imbrication incontournable dans leur relation me terrassa. Je n’avais rien d’exceptionnel, hormis un petit charme. J’avais représenté le messie qui vient révéler la vérité, moi, le mec sans histoire. Ils m’ont mis au centre de leur destinée !

La hargne de Clothilde avait alors dépassé celle de leurs parents. Quand William était revenu vers elle, car il ne pouvait retrouver avec moi la même paix, ils se réconcilièrent, tellement indispensables l’un à l’autre. Elle me rapporta aussi les colères violentes de son frère, qui le dévastaient, avec une longue période de traitements psychiatriques, au début de son adolescence. Il n’y avait qu’une chose qu’elle ne supportait pas chez lui : sa cruauté. Les épisodes furent très peu nombreux, mais il avait torturé à mort des animaux. À l’école, il avait harcelé des camarades, avec une telle violence que cela avait déclenché un scandale. Il avait été discrètement changé d’école. Après son adolescence, tout ceci paraissait s’être effacé.

Entendre cela me terrifia : j’ignorais absolument tout de celui auquel j’avais confié mon existence. Pourtant, je ne parvenais pas à regretter ma soumission, elle m’avait tellement comblé !

Clothilde s’installa. Jamais, elle n’exprima le moindre sentiment, pas plus que moi, incapables que nous étions de qualifier cette relation qui m’apportait, et je crois à elle aussi, de l’apaisement. Notre histoire était ancienne, lointaine, et nous attendions de voir si elle allait se réactiver, malgré le fantôme de William.

Christopher continuait à venir. Elle s’effaçait alors discrètement. Elle n’était jamais revenue sur le drame et son déroulement. Je pense qu'elle avait rangé et cadenassé cet épisode. Elle s’écartait, sachant la participation de Christopher, craignant sans doute que nous abordions le sujet. Pourtant, nos échanges portaient sur notre vie, nos changements, ses recherches. Le calvaire s’éloignait et nous ne voulions pas regarder en arrière.

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