21 - la reprise

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Nous retrouvâmes nos habitudes et nos jeux. Je n’avais qu’une crainte, qui, bien sûr, se réalisa rapidement.

— William, tu te souviens… On peut recommencer ?

L’interpellé ne se fit pas prier. Il prit son temps pour la préparation, sachant que l’esprit panique plus vite que le corps, permettant de décupler la sensation dès son début. Arthur nous fixait, souriant et détendu. Je me fermai le visage, pour ne pas laisser paraitre ma colère, ma déception, mes regrets. J’avais peut-être aidé Arthur, mais, surtout, je l’avais conduit sur un chemin qui n’était pas le sien.

Depuis que je fréquentai le club, j’avais compris que chacun des adeptes portait une blessure qui le poussait à souffrir ou à faire souffrir. Je m’étais rendu compte que l’absence du père n’avait jamais été comblée par l’amour de ma mère. Si mon père m’avait fui, c’est que je n’en valais pas la peine. Je devais être puni pour cette faiblesse. Ali4s, il reviendrait ! Je savais cette construction hasardeuse et erronée, mais je ne pouvais m’y soustraire. Parti dans cette direction, je me shootais aux endorphines, dont j’avais appris le rôle protecteur. Comme tout camé, j’avais besoin d’augmenter les doses, jusqu’à ce que ça pète.

En discutant avec les uns et les autres, j’avais découvert leur faille, souvent visible et connue par l’intéressé. J’avais plus de mal à comprendre ceux que nous appelions les maitres. La source de leur victimisation apparaissait parfois comme insignifiante ou ridicule. Très souvent, ils étaient également des victimes et la vengeance les animait. Un seul échappait totalement à mon analyse, car trop proche de moi et trop en résonance avec moi.

Je ne voulais pas qu’Arthur reste pendu plus d’un quart d’heure, car il découvrirait alors l’état second auquel on parvient. Je crois que William me l’avait imposé en l’ignorant, aveuglé par sa vengeance. Il était en vendetta permanente et avait reporté sur moi sa haine. Je savais mon innocence, et la puissance de cristallisation que j’avais pour lui. Quelle était la cause primaire de cette souffrance, qui l’obligeait à la déverser sur moi ?

En y repensant, je crois que le transfert s’était produit petit à petit. Comme moi, dont le besoin d’expier grandissait, insatiable puisque sans résultat. Nous nous aimions, alors que nos monstres grossissaient pour se rencontrer.

Tout ce charabia disparaissait au premier coup, à la première douleur. Notre harmonie multipliait le danger. Arthur, je ne le connaissais pas assez, mais il était différent de nous tous. Une autre motivation le poussait et je voulais le protéger avant qu'il ne soit emporté.

J’avais tenté de partager ces réflexions avec William. Ce n’était ni dans son caractère, ni dans ses centres d’intérêt. Très intuitif, il avait deviné qu’en se contenant, cela pouvait, in fine, empêcher sa détestation et sa violence de s’échapper, avec le risque d’une explosion dévastatrice, contre lui ou contre les autres. La soupape devait s’ouvrir régulièrement.

Arthur avait la tête penchée en avant, commençant à bleuir. J’ai dit la difficulté à respirer, qui tire sur les bras, jusqu’à ce qu’on préfère étouffer, alors qu’un réflexe nous oblige à endurer encore plus.

Il usait le peu d’air qui lui restait pour radoter un : « Vert » de plus fn plus faible. William attendait, apparemment insensible à la souffrance réelle de notre jeune amant. Pourtant, c’est avec rapidité et douceur qu’il le décrocha, dès que la voix s’éteignit. Il mit son doigt sur la carotide d’Arthur et jugea inutile de me dire son état. Assister de l’extérieur à ce que j’avais si souvent subi était étrange. Mon empathie totale me vrillait les épaules et je souffrais autant que mon petit frère.

William paraissait distant, montrant peu de compassion pour celui qu’il venait de casser. Il voulait autre chose. Il me regardait étrangement. Quand il me proposa la poulie, après avoir sorti le fouet, je compris l’horreur de la situation. Le supplice d’Arthur ne l’avait pas contenté. Seule ma souffrance l’apaisait. Cela démontrait mon importance irremplaçable dans sa vie et j’en étais profondément touché. Cela confirmait que sa rédemption passait par ma destruction. J’avais décidé d’accepter mon sort. Mais, présentement, un obstacle m’empêchait de l’aider.

J’ignorai sa proposition si tentante. Je pris mon petit frère, l’étendis sur le lit et, avec une douceur infinie, je le fis revenir par des massages et des caresses. William était sorti de sa transe et vint me seconder. Arthur nous sourit, mélangeant une grimace à chaque micromouvement. J’étais choqué : William était allé jusqu'au bout, attendant sans doute un déclic semblable à ceux que je lui apportais. Arthur était allé jusqu’au bout : pourquoi ? Je me sentais exclu de leur comportement extrême, alors que j’étais pleinement responsable de la situation.

C’est alors que l’imbécilité de nos actes m’apparut. Aucun de nous trois, mus par nos glandes et nos névroses ne s’était comporté en adulte. Arthur était arrivé quelques jours avant son embauche. Tout à nos folies, nous avions oublié cette échéance. Je mettais un jour à m’en remettre, alors que les premières fois, il m'en fallait plusieurs. Arthur ne pouvait pas être présent le premier jour de son travail !

Malgré les refus d'Arthur, j’obligeai William à rester auprès d'Arthur le lundi matin, pour courir prévenir les RH et Jeremy qu'Arthur aurait quelques jours de retard et que moi-même, je serai absent également. Je pus rejoindre rapidement mon petit frère souffrant et libérer William, plus en colère de m’avoir obéi que gêné par les remords.

Arthur avait passé une bonne nuit. La douleur avait disparu au repos, mais tout geste des bras lui était impossible. Je lui fis sa toilette, avec délice, le rasant. Pour ressembler à William, il s’était épilé le pubis, jusqu’à la cage. Je terminai l’intégralité du sexe, qu’il n’avait pu atteindre. Je pris le temps de savourer cette tâche, l’obligeant à se tendre. Il s’amusait de mes petits soins.

Pour le distraire, je lui racontai une anecdote avec Jeremy, son nouveau chef, qui était un de mes camarades de promotion. La boite regorgeait d’anciens élèves de notre école ! Jeremy avait été un de mes passeurs, un de ces camarades proches qui m’avaient suivi dans les changements. Aucun de ces passeurs n’était gay, mais tous assez intimes pour connaitre ma nature. Simon m’avait accompagné du collège au lycée, Tristan du lycée à la prépa, Yann de la prépa à l’école et Jeremy de l’école au boulot. Chacun, sans malice, avait porté et divulgué l’information de mon orientation. Je n’avais donc jamais eu à faire de coming-out. L’avantage était que cela accélérait les rapprochements et facilitait les conquêtes, car si je n’affichais rien, j’assumais pleinement ma nature, accueillant toutes les approches, même discrètes. L’inconvénient était de réveiller les homophobes qui ne manquaient jamais les provocations, voir le harcèlement, trop heureux d’avoir une de leurs cibles préférées sous la main. Le premier, Tony, au lycée, était si grossier dans ses attaques, que je devinai immédiatement le refoulement, la rage de ne pouvoir vivre sa nature. La jalousie de me voir l’assumer ouvertement déclenchait une haine nauséabonde. Un jour, après une remarque blessante, je lui étais tombé dessus. Pris par surprise, j’avais pu le démolir, alors que normalement, il n’aurait fait qu’une bouchée de moi. Se faire battre par un pédé lui cloua le bec, sans doute plus que les cinq jours d’exclusion, que nous partageâmes. La peur rétrospective me fit trembler toute ma punition, me faisant promettre de ne plus jamais me battre. Tony arrêta ses attaques et, quelques mois plus tard, tenta une ouverture amicale vers moi. Aujourd’hui, je regrette de l’avoir ignoré : je pense qu’il voulait simplement savoir. Mais il n’était pas du tout mon genre.

Je racontais tout à Arthur, pour le distraire, et, car il buvait mes paroles. Je le nourris à la petite cuillère, lui tins le verre. Prendre soin de lui était un plaisir, même pour les toilettes. Lui aussi pouvait tout me demander !

Je repris mes petites histoires.

— À l’école, ce fut plus dur, car ils étaient toute une bande d’abrutis, ne manquant pas une occasion de m’humilier par des plaisanteries sexistes. Je n’étais pas leur seule victime, puisque la moindre différence déclenchait leurs quolibets. Leur leader était également un de ceux qui ne s’acceptent pas. Un soir, j’eus la chance de le croiser dans un couloir désert. Une fois à sa hauteur, j’attendis une de ses remarques déplacées qu’il n’osa pas : seul, il était moins fier. Je saisis son bras, le plaquai au mur, lui labourant la bouche et la figure de mes lèvres et de ma langue, tandis que ma main lui malaxait le sexe, immédiatement en tension. Sidéré, ou dégouté, il ne réagissait pas. J’abusai un peu trop longtemps de l’instant, avant de lui lancer : « Si tu me fais encore chier, je dis à tout le monde que tu m’as embrassé. Et que tu as aimé ! Regarde ton froc ! » Ce con s’était mouillé !

Arthur rigolait doucement, pour ne pas raviver la douleur.

— Et Jeremy ?

— C’est un ami. Tu vas voir, c’est quelqu’un de bien. Tu vas apprendre rapidement.

Je lui passais un petit incident, très personnel. Jeremy, une année, avait organisé dans son jardin, une petite réunion d’anciens, notre ancienne bande. Il y avait notamment Medhi, avec lequel j’avais eu une aventure très suivie et très intense. J’étais déjà avec William, mais, à cette époque, nous ne pouvions nous voir que certains weekends. À l’école, si je m’affichais, sans ostentation, Mehdi était, et exigeait, une discrétion absolue. Puis, nous nous étions perdus de vue à la sortie, et William m’avait fait oublier le passé.

Lors de cette réunion, nous nous retrouvâmes immédiatement. Mehdi restait distant vis-à-vis de moi, mais son trouble ne me trompait pas. Dans l’après-midi, alors que je sortais des toilettes, il était là, à m’attendre. Il me prit par la main, me tira au premier étage, ouvrit une porte : le bébé de Jeremy dormait tranquillement. Il me poussa dans la pièce voisine et, immédiatement, nous nous sommes intensément retrouvés. Cela faisait trop longtemps ! Nous avons fait tourner les rôles, avec frénésie. Nous ne pouvions rester trop longtemps absents. Nous sommes redescendus, l’air de rien. Nos camarades nous regardaient, goguenards. La femme de Jeremy se retenait de rire. Apparemment, ils s’étaient bien amusés pendant notre courte absence. Cinq minutes après, un vagissement nous fit comprendre qu’ils avaient suivi l’intégralité de notre échange dans le baby-phone. J’éclatai de rire, tandis que Medhi cherchait la meilleure façon de disparaitre. Je lui saisis la tête et lui roulai un magnifique baiser, ce que nous n’avions pas eu le temps de faire. La journée se poursuivit, sans une remarque, dans cette chaude camaraderie.

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