L'Empereur regardait l'horizon, le poing fermé, la mâchoire serrée. Le soleil levant faisait briller ses cheveux d'or et ses beaux yeux de pierre précieuse. Jamais, non jamais, il n'avait subi un tel affront. Et poussé dans ses retranchements les plus sombres, il sentait le sang bouillir dans ses veines, sa fierté hurlant vengeance. Son père avait conquis une grande partie des terres de l'Est, et lui-même avait pris la relève. Aucun pays n'avait résisté face à son armée implacable et pourtant, il avait su être magnanime. Il n'avait jamais tué inutilement. Et si certains le voyait volontiers comme un enfant gâté et tyrannique, imbibé d'alcool et de femmes s'ennuyant dans son trop grand château, c'est qu'ils n'avaient rien compris. Car il était l'Empereur, fils du Soleil et des Etoiles, que personne ne pouvait défier. Ni ce barbare, ni ces chiens, ni même cette fillette aux cheveux rouges. L'Empereur mordit sa lèvre, rosée et parfaite. Cette fille... Il avait été trop gentil avec elle. Il avait espéré trouver une alliée dans ce palais trop sage, une demoiselle aventureuse et peu impressionnée par ce qu'il était. Il n'avait pas eu le temps d'en profiter. Sur les nerfs, il posa sa tête contre son bras, appuyé sur la vitre de sa terrasse. Il le regrettait. Comme il regrettait sa soif de victoires et de pouvoir. Mais il n'y pouvait rien ; il n'était pas ambitieux, il était grand. C'était ce que voulait son sang. Tout simplement.

Il soupira et fit un petit sourire.

"Très bien"

La guerre avait officiellement été déclarée. Si tant soit peu qu'il y ait plus officielle que notre fuite. Rentrés à la Cité des Drakes, les seigneurs du nord se préparaient au combat. Tous le disaient : plutôt mourir que de plier encore une fois. Et si fin il devrait y avoir, elle sera forcément sanglante. L'Empereur semblait d'accord au moins sur ça : un matin, plusieurs messagers avaient ramené un panier dégoulinant, qu'ils ouvrirent devant l'assemblée. Plusieurs têtes coupées se décomposaient là, affichant des visages tordus par la souffrance. C'était tout ce qui restait des captifs de Northem, servant d'otages depuis des années. Les autres n'avaient pas hésité à se donner la mort pour libérer le roi de leur vie. Du moins c'est ce que m'avait dit Jolün. Je tremblai, admirative devant leur foi. Leur abandon le plus total à leur souverain. La mort ne semblait de toute façon pas les effrayer.

"J'ai peur pour toi, Eris... Tu n'es pas faite pour ce pays, je te l'ai déjà dis".

Jolün secoua la tête d'un air désolé. Je haussai les épaules, dépassée. Pour Haldan, je crois bien que j'étais prête à quelques sacrifices...

On frappa à la porte, qui s'ouvrit aussitôt. Je vis l'oeil malicieux de Raor, toujours son sourire tordu accroché aux lèvres. Un sauveur ? J'avais du mal à imaginer que l'arrivée in extremis d'Haldan avait été l'un de ses plans. Pourtant, il n'hésitait pas à me le souligner, me rappelant la dette que j'avais envers lui.

"Que fais-tu encore à mon petit oiseau ?!" Il lança un regard inquiétant à Jolün, qui aussitôt se recroquevilla. Je n'étais pas la seule à qui il faisait peur, celui-là. Il plissa ses yeux noirs, se pencha à travers l'ouverture pour mieux nous voir.

"Notre roi te demande."

Il me lança un regard coquin, comme si lui aussi raffolait de ces nuits torrides entre Haldan et moi. Bizarre. Je grelottai quand il m'accompagna à la travers le couloir glacial.

"Peut-être que je devrais t'appeler "reine"?"

Il fit un petit rire moqueur, que je crus plein de promesses. Je fis la moue, mais sa voix résonnait dans mon crâne encore troublé. Quoi? Reine de ce royaume gelé, de ce palais noir et macabre, où le hurlement des malheureux messagers résonnait encore ? Reine, alors qu'une guerre meurtrière pourrait nous détruire d'un instant à l'autre, alors que notre seule force résiderait dans cette unique ville encore sauve? Je secouai la tête, pensive et frissonnante.

S'il me le demandait, je ne dirais pas non.