Chapitre 16:

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Chapitre 16 :

Gabrielle avait rejoint Pierre, il était l’heure pour les convives de rejoindre leurs tables afin que le dîner soit servi. Certains partirent, seulement invités pour le vin d’honneur: en partie de la famille éloignée et des collègues de travail. Il restait environ soixante-dix personnes, toutes de bonne humeur, toutes joyeuses et riantes: après tout, c’était une belle journée; un mariage! 

Gabrielle, assise à la table d’honneur auprès de son mari, ne parla presque pas. La table ronde accueillait les mariés et les deux témoins, seulement eux. Ce qui voulait dire: Armand. Gabrielle évitait soigneusement son regard et sa conversation, mais il était fort compliqué de s’appliquer car Armand discutait tranquillement avec Pierre et sa sœur. Ils discutaient immobilier, investissements. Des sujets intéressants certes, mais Gabrielle ne pouvait presque plus rien dire. Se concentrer sur son repas pour manger était un gouffre d’énergie. Elle n’avait pas faim, pas soif, elle regardait les assiettes arriver les unes après les autres en priant pour que cela s’arrête. Tout l'écoeurait: les hors-d'œuvres, les poulardes, le saumon sauce crevette, les écrevisses, les sorbets… et ils n’étaient pas encore au plat principal. 

Gabrielle croisa le regard de Marguerite alors que celle-ci ramenait des boissons pour les tablées et comprit tout de suite que sa maitresse lui demandait de l’aide. Gabrielle s’excusa pour quitter la table quelques minutes, rejoignant Marguerite. A peine dans le couloir, elle attrapa le bras de sa servante. 

« Ça ne va pas?

— Je vais vomir.» 

Gabrielle ne pouvait pas aligner un seul mot de plus, se retenant comme elle pouvait de ne pas rendre son repas sur le tapis. Fort heureusement, Marguerite était vive et emmena Gabrielle vers les toilettes sans tarder. Elle resta devant la porte pour que personne ne la dérange ou la surprenne. Puis, Gabrielle rejoignit une salle de bain pour aller se rafraîchir. Marguerite ne parla pas, Gabrielle non plus. Cela ne dura qu’un fugace instant pendant lequel les deux femmes firent en sorte que rien ne paraisse. Se recoiffer, se remaquiller, rincer sa bouche. Marguerite savait, comprenait toujours ce qu'il fallait faire ou non.

Gabrielle retourna dans la salle pour tenter de finir son repas. Pierre était d’une humeur si joviale, que Gabrielle se demanda même si elle l’avait déjà vu une seule fois comme cela. Il était souriant, assez beau il fallait le dire. Mais comme tout le reste: même cela la dégoûtait. Elle ne pouvait penser qu’aux énormes défauts de cet homme et cela gâchait tout. 

Le repas continua à défiler, des pintades, de la salade, des canetons rôtis, des pommes de terres, des asperges et des cœurs d'artichaut en sauce… Puis du fromage, et enfin des desserts, des entremets, des coupes de fruits et de sorbets. Après s’être de nouveau éclipsée pour aller rendre son repas, Gabrielle revint et fit mine de ne plus avoir faim pour une cuillère de dessert. Cela durait des heures lui semblait-il.

L’ambiance s’était adoucie, dehors le soleil avait disparu depuis longtemps et la chaleur avait sensiblement baissé. Le vent ne s’était qu’à peine levé pour rafraîchir l’air, faisant à peine trembloter les flammes des bougies. Gabrielle ferma les yeux pour danser avec Pierre quelques instants, ouvrant le bal. On avait éteint les plafonniers pour profiter d’une atmosphère plus intime et festive à la fois, seuls les candélabres sur les tables, couverts de bougies, éclairaient la pièce. Les gens étaient venus danser, profitant d’une merveilleuse soirée d’été, pendant quelques secondes, Gabrielle arrivait à se calmer et profiter de l’instant; mais il y avait toujours quelque chose pour la faire redescendre de son petit nuage de bonheur. Une première fois, quelqu’un était venu rapporter à Pierre qu’en début de soirée on avait fait partir des journalistes qui avaient tenté de prendre quelques photos de Gabrielle et lui. Puis elle croisa le regard insistant de Armand. Ensuite, elle le vit en compagnie d’une jeune femme. Longtemps. C’était une torture, l’immonde douleur de la jalousie s’ajoutait à tout le reste, et Dieu sait qu’elle n’avait pas besoin de tout cela pour aller encore plus mal. 

Après une petite demi-heure de danse, Pierre attrapa Armand qui passait non loin, pour lui laisser Gabrielle. 

« Tiens, Armand, je te laisse danser avec ma femme, je dois aller m’entretenir avec Monsieur Duval là-bas. 

— Mais je… Commença Gabrielle, prise au dépourvu. 

— Je veux que tu t’amuses, je ne veux pas gâcher ta soirée en te délaissant, danse avec Armand, je reviens plus tard. Et si tu n’es pas sur la piste de danse, les invités ne vont plus venir non plus… » 

Gabrielle n’eut le temps de rien ajouter que Pierre était parti rejoindre ce monsieur elle-ne-savait-plus-trop-comment. Elle tourna alors la tête vers Armand, fermée. 

« Je vais aller m’asseoir, déclara-t-elle. 

— Non, reste avec moi s’il te plait. 

Armand l’attrapa par le poignet, l’empêchant de partir. 

— Je n’en ai aucunement l’envie. 

— Pierre t’as demandé de danser. Alors danse avec moi. S'il te plait… »

Il l’attira à lui, doucement, mais fermement. Posant une main sur sa taille, Armand prit sa main pour mener la danse. Gabrielle n’arrivait pas à dire non, elle sentait qu’il ne l’aurait pas laisser partir comme cela, et ne voulait pas attirer l’attention sur elle avec des éclats de voix… Ça aurait été très mal vu et Dieu sait à quel point Pierre était attentif à ce genre de choses depuis quelques semaines... Alors, elle dansa avec Armand, une valse. 

« Gabrielle, excuse moi pour tout à l’heure… 

— Je crois que tu n’as pas bien entendu ce que je t’ai dit. Je ne veux plus te parler Armand, si je suis là c’est uniquement parce que Pierre m’y a forcé et que je ne veux pas te gifler au milieu de tout le monde… 

Armand ne détournait pas le regard, il la regardait sans ciller, et peu à peu c’est comme s’il n’y avait plus personne autour d’eux. 

— Tu n’aurais pas osé… 

— Devant tout le monde? Non. Mais ce n’est pas l’envie qui me manque, dit—elle avec dureté. 

— Je suis sincèrement désolé. 

— Tu peux te répéter autant de fois que tu le veux Armand, mais je crois que tu ne te rends pas compte d’à quel point tu m’as fait du mal. Tu es un être manipulateur et égoïste… Tout ce que tu sers, ce sont tes propres intérêts. Tu as fait cela sans te demander si j’allais souffrir ou non. Comme un caprice à assouvir. 

Armand sourit un peu, ce qui enflamma la colère de Gabrielle. 

— Tu as raison, je ne peux le nier… C’était une erreur incroyable. Mais les choses n’auraient pas dû se passer ainsi… Et me voilà, avec toi me détestant comme châtiment. Je le mérite. Mais toi, tu ne mérites pas tant de malheurs. Le moment était mal choisi et je ne sais plus quoi te dire pour que tu puisses seulement me pardonner. 

— Armand, commença Gabrielle. 

Elle se rendit compte qu'elle serait sa main gantée dans la sienne, fort, si fort. Il la faisait chavirer. Encore. 

— Tu t’es joué de mes sentiments pour toi, agissant comme un enfant trop gâté. Il y a encore quelques minutes tu flirtais avec une autre femme, lors de ta réception à Varengeville, tu fricotais avec une invitée pendant que j’avais le dos tourné et après tu oses me dire éprouver quelque chose pour moi? Tu veux tout avoir, Armand. Mais tu ne peux pas, je ne suis pas un jouet auquel tu n’as pas le droit de toucher. Tu as déjà tout: l’argent, le pouvoir, la beauté et l'intelligence, tu peux avoir toutes les femmes que tu veux et c’est moi qui t’aimais que tu blesses? 

Armand l’écoutait, sans s’arrêter de danser. Leur conversation était totalement inaudible pour quiconque dansa près d’eux. 

— Tu insultes mes sentiments…

— Moi?! j’insulte tes sentiments? Tu devrais sombrer dans la honte pour avoir osé dire cela. 

Gabrielle le lâcha, trop en colère pour pouvoir supporter de continuer à danser et garder son calme et éviter qu’on les entendent parler. Elle le lâcha, puis le regarda d’un air dégoûté avant de partir. 

— Gabrielle!» 

Fuyant, Gabrielle se fraya un chemin à travers les danseurs pour rejoindre le couloir, monter les escaliers et aller se cacher quelque part, n’importe où ou personne ne la chercherait. Les mains tremblantes et le souffle court, elle ouvrit une porte au hasard, débouchant sur un petit salon de lecture. Mais au moment de claquer la porte, Armand retient celle—ci pour rentrer avec elle. 

« Non mais ce n’est pas possible! Pour l’amour de Dieu laisse moi tranquille Armand, laisse moi! 

— Jamais.»

Armand l’attrapa, avec force et l’embrassa.

Ses bras autour de son corps la serrait, et Gabrielle n’eut le temps de rien faire d'elle-même, de ses mains: elle se retrouva juste plaquée contre son torse. Une bouffée de chaleur la prit toute entière, comme si Armand lui transmettait quelque chose, comme si d’un seul coup, ils ne faisaient qu’un. Le baiser était dur, passionné, merveilleux. Gabrielle ne put lutter une seule seconde, elle ne put le refuser car la rage qu'elle ressentait s’était muée en désir brut. Elle finit par bouger, posant ses mains sur son visage. Le parfum d’Armand lui faisait tourner la tête, ou bien était-ce le baiser, ou encore de le sentir tout contre elle. 

Armand la poussa vers la bibliothèque, où il la plaqua pour mieux s’appliquer, semblait-il, au baiser. Gabrielle entendait son souffle fort, son cœur qui battait dans sa poitrine; si fort que le sang pulsait dans ses tempes. Et cela montait en elle, comme un raz-de-marée : l’envie, puissante. 

« Oui, ah !» 

Gabrielle lâcha un petit cri alors que Armand commençait à embrasser son cou, tout en défaisant le col de sa robe. Plus aucune pensée concrète n’arrivait à son cerveau, seulement un abandon total à ses mains qui la retenaient et la déshabillaient en même temps. Il ne fallut que quelques secondes à Armand pour lui retirer sa robe. Gabrielle se sentait incroyablement vivante, remplie de chaleur, d’intensité, de désir, de vie. Le contact d’Armand contre elle était à la fois brûlant et glacé, ses lèvres peinaient à se réchauffer. Hésitante, elle dénoua le ruban qui retenait ses cheveux, puis passa ses mains dedans, pour s’y tenir, pour profiter. Sa beauté lui coupait le souffle, son regard noir l'enflammait totalement. Avant de complètement lâcher prise, comme si quelque chose l’aidait à se laisser faire, que son esprit était embrumé, totalement drogué par la sensation de jouissance qui l’emplissait. Armand soudainement s’arrêta, et tous deux ouvrirent les yeux. L’immensité. C’est ce qui vint en tête de Gabrielle, à quel point l’amour pouvait être immense, puissant, mais aussi dévastateur. Comme l’océan.

Sans un mot, Gabrielle lui donna son autorisation pour qu’il continue. Alors Armand ne se fit pas prier, il attrapa Gabrielle avec fermeté et la retourna contre la bibliothèque. Et il adora: tout son corps, glissant ses mains, dos à elle sur sa poitrine, puis sa taille, ses fesses; qu’il embrassa son cou, son dos, et en descendant le long de son corps il retira sa culotte longue, faisant sauter les jarretelles qui retenaient ses bas. Gabrielle n’était plus que soupirs et tremblements. Elle peinait à se retenir aux étages du meuble en bois, la tête posée en avant contre un montant, les fesses projetées en arrière, se laissant aller aux mains entreprenantes d’Armand. 

Soudain, elle sentit une douleur fugace à l’intérieur de sa cuisse, mais son esprit refusa d’y prêter attention. Puis, Armand remonta contre elle, la redressant pour se coller. Rapidement, il retira ses gants, ses mains étaient froides. Gabrielle gardait les yeux fermés, et se laissait aller. Elle sentit une main glisser entre ses jambes, la caressant, un gémissement lui échappa en sentant le plaisir monter sans se faire attendre. C’était presque intolérable, elle n’arrivait quasiment pas à rester debout, mais Armand la retenait, ça faisait presque mal tant le désir était fort… Se sentant honteuse d’y prendre tant de plaisir, Gabrielle se perdait dans des pensées incohérentes hors de propos. Mais chaque seconde qui passait la rapprochait un peu plus du but. Armand caresserait, avec fermeté et précision, comme s’il savait ce qui lui ferait du bien, comme s’il pouvait lire en elle. Il la retenait, la serrant fort contre lui. Si intimement, que Gabrielle pouvait sentir aussi à quel point son amant avait envie d’elle… Il embrassait son cou, respirait à son oreille. Sans rien dire, sans plus rien demander. A nouveau la douleur s’invita dans sa nuque, mais ne dura pas, à moins qu'elle ne fut effacée par le début de l’orgasme qui montait en elle. 

« Respire …» Souffla Armand, d'une voix rauque. 

Gémissante, Gabrielle avait les jambes qui tremblaient dangereusement, mais Armand posa une main sur sa bouche pour l’empêcher d’attirer l’attention et la poussa encore plus au plaisir, l'amenant à la jouissance dans une montée sans fin. Gabrielle n’en pouvait plus, son corps lâchait prise et elle oscillait entre les larmes et les cris, sentant son corps balloté par les vagues de l’orgasme. Doucement, Armand s’arrêta, la laissant respirer, reprendre ses esprits quelques secondes. Avant de la retourner contre lui et reprendre le baiser. Gabrielle n’en avait pas eu assez et s’accrocha immédiatement à lui. Des mois qu'elle ne pouvait que rêver tout cela, quelle n’osait qu’à peine imaginer un moment comme celui-ci, ne sachant de quoi il serait fait, ne sachant à quoi ressemblait le plaisir. 

Cette fois, Gabrielle ouvrit les yeux et regarda Armand. Son visage était teinté de rose, sa bouche rougie par les baisers et ses yeux… Ses yeux, si verts, s’étaient comme assombris, comme s’il était devenu un animal qui chassait une proie… Gabrielle caressa son visage, l’empêchant de l’embrasser de nouveau, écartant une mèche de ses yeux. Mais Armand l’emmenait avec lui, vers le sofa pour l’y faire basculer et venir au-dessus d’elle. Il retira sa veste et tira sa lavallière, Gabrielle ne pouvait s’empêcher de le dévisager. Il était à elle, en cet instant, il n’était rien qu’à elle: et dans ses yeux, elle espérait lire un peu plus que du désir. 

Mais Armand reprit les choses en main, il se pencha vers Gabrielle pour l’embrasser de nouveau. C’était comme de l'électricité, comme une évidence lorsqu’il l’embrassait: une alchimie si forte que le moindre geste la bouleversait et la faisait décoller… Elle le laissa faire: quand il l’embrassa, quand il descendit sur sa poitrine encore prisonnière de son corset, elle le laissa faire et son cerveau ne réagit aucunement quand elle vit les crocs d’Armand s’enfoncer dans son sein. Presque aucune douleur et aucune réaction, elle voyait, mais c’est comme si sa tête ne savait pas quoi faire de l’information, elle voyait sans interpréter. Elle voyait le sang qui coulait entre ses seins, sur ses vêtements, elle voyait d’un œil sa jambe couverte de sang. Mais rien. Juste le plaisir. 

Armand s’arrêta, reprenant son souffle, semblant lutter atrocement pour reprendre ce qu’il faisait. Ses yeux étaient toujours plus noirs. Il revint vers Gabrielle, la prenant dans ses bras et l’embrassant. Elle ferma les yeux pour mieux profiter et sentit entre ses jambes que Armand baissait son pantalon et allait venir en elle. L'anticipation faisait monter l’envie et la peur. Elle le sentit venir, doucement, très doucement. Puis le sentit trembler de la tête aux pieds... gémir et souffler, comme s'il souffrait. Derrière elle, Gabrielle entendit un craquement de bois, c’était la main d’Armand, accrochée au bord du canapé qui l’avait broyée. Cette fois, son esprit sembla commencer à reprendre le dessus, comme si un voile se levait devant ses yeux. Mais seulement pendant quelques secondes. Comment Armand pouvait-il avoir la force d’écraser du bois à main nue?

Mais il ne se passa plus rien dans sa tête, et elle se concentra de nouveau sur ce qu’il se passait. Le plaisir et la douleur se mêlèrent en elle, alors qu’un homme la prenait pour la première fois. Mais cela ne dura que quelques secondes, car de nouveau, Armand avait mordu son cou et gémissait de plaisir. Tout près de son oreille, Gabrielle pouvait entendre déglutir…

Tout autour d’elle commença à devenir sombre, comme si elle fermait les yeux doucement. Mais elle se sentait partir, une douce vague de chaleur avait remplacé le plaisir, la douleur, la colère… juste l’apaisement. Et entre ses paupières entrouvertes, elle vit Armand se redresser soudainement, paniqué, puis sortir de son champ de vision, mais l’entendant toujours.

« Non, non, non!» 

Ce fut les derniers mots qu’elle entendit avant de s’endormir sans douleur. Là, allongée à moitié nue sur un sofa d’un hôtel, couverte de son propre sang, des morsures au cou, la poitrine, les cuisses, les bras. Non loin, elle entendit des éclats de verre puis quelque chose se poser contre sa bouche, un bras? une main? Et enfin, un liquide chaud et épais coula dans sa bouche, le goût métallique lui rappela celui du sang… 

***

Gabrielle n’avait pas réussi à trouver le sommeil. Elle était debout devant la fenêtre de sa suite nuptiale, regardant le ciel, le calme parfois brisé par les légers ronflements de Pierre. Tournant la tête, Gabrielle regarda l’homme endormi dans le lit, se remémorant avec … perplexité sa nuit de noces. Après s’être disputée avec Armand, Gabrielle s’était enfuie dans un petit salon et était restée là pendant peut-être un quart d’heure, juste le temps de se calmer et espérer voir Armand s’en aller. Mais quand elle regagna la salle de réception, Pierre discutait avec son témoin et ami: tous deux l’avaient regardés, à la fois contrariés et soulagés. Sans attendre, Pierre l’avait réprimandée pour s’être absentée si longtemps sans prévenir qui que ce soit, puis s’était radouci. Gabrielle n'avait pas osé lui parler de ce qu'elle a appris avec Marguerite, à vrai dire, elle n'avait aucune idée de comment aborder les choses...  Puis, Pierre proposa à Gabrielle de se retirer tous les deux pour profiter de leur soirée. Aucune autre réponse possible qu’une positive n’était envisageable. 

Une fois tous les deux, Gabrielle ferma les yeux, se laissant faire, tentant comme elle pouvait de s’évader dans sa tête pendant que son mari faisait sa besogne. Tout en elle s’était alarmé, détestant ses mains sur son corps, ne supportant pas son souffle à son oreille ou sa bouche sur la sienne. La douleur n’avait été que légère quand il vint en elle, c’était un problème de moins pour elle, car l’angoisse avait été bien là. Depuis toujours elle avait entendu à demi mots les femmes évoquer des moments difficiles à passer. Mais son problème majeur fut le temps que cela dura… De longues minutes, sans plaisir, sans envie, où le désir de repousser Pierre montait de secondes en secondes: elle aurait voulu qu’il accélère, qu’il en finisse, mais cela ne venait pas ne faisant qu’attiser encore plus son agacement. Puis enfin, il vint, la laissant tranquille; avant de s’endormir. 

Et voilà, Gabrielle était debout, réveillée en plein cœur de la nuit, ne ressentant aucunement la fatigue. L’ennui la gagnait, mais le spectacle auquel elle assistait valait sûrement de rester debout un peu plus longtemps. Des étoiles filantes striaient régulièrement la voûte céleste, laissant des traînées brillantes pendant quelques secondes. C’était la première fois que Gabrielle en voyait, et elle se rappela qu’il fallait faire un vœu quand on apercevait une étoile filante… Longuement, elle réfléchit se demandant ce qui valait vraiment la peine d’être souhaité, et ce qui était également de l’ordre du possible. 

Gabrielle laissa glisser sa main contre la vitre fraîche, refermant le rideau avant de retourner se coucher auprès de son mari. Son esprit ne put formuler qu’une idée à la fois folle et parfaitement cruelle: que la créature qui était à sa poursuite réserve le même sort à Pierre que celui de ses parents et qu’elle soit enfin libre. Libre de vivre. De partir. D’aimer. Ou même juste de mourir avec lui. 

***

Dès le lendemain du mariage, Pierre avait commencé à faire déménager leurs affaires de chez Armand à la maison de famille Deslantes. On avait également fait amener des malles, des cartons depuis la maison des parents de Pierre à Fontainebleau. Gabrielle se souvenait à peine avoir parlé avec eux durant les noces: des personnes très simples et réservées, sans prétentions mais également sans grand intérêt. Il était assez étonnant qu’une personne comme Pierre soit le fils de ces gens. Ses sœurs étaient bien plus agréables, bien que loin d’être les futures meilleures amies de Gabrielle. 

Rue Murillo, où habitaient désormais Monsieur et Madame Loiseau il y eu du passage pendant de plusieurs heures, des camions faisant des aller et retour. Pierre ne possédait que peu de choses, mais n’avait non plus jusque-là été réellement locataire ou propriétaire d’un endroit bien à lui. Gabrielle supputait que dans les mois à venir il n'hésiterait pas à faire redécorer la maison. C'était sûrement une bonne chose pour elle, car tout était chargé de souvenirs. Rien que l’idée de les nommer de cette façon était douloureux; tout était si proche dans sa mémoire, cela ne pouvait être déjà un passé révolu. On avait fait nettoyer la maison, de fond en comble, on avait fait disparaître la moindre trace d'un massacre. Et Gabrielle supportait assez mal de devoir vivre ici, mais Pierre avait été très clair: reprendre cette maison était la meilleure façon de pouvoir garder des fonds pour sa campagne électorale, et puis également pour pouvoir refaire à leur goût toute la maison sans dépenser des fortunes. Bien que cela lui semblait logique, Gabrielle n'arrivait pas à l'accepter et l'intégrer. L'idée de revenir vivre si vite ici, et d'y vivre comme si de rien n'était… C'était à peine supportable. 

Après avoir discuté, avoir refait cent fois la soirée de mariage avec Marguerite, Gabrielle resta seule dans sa chambre un long instant sans bouger, sans toucher à rien, juste à regarder le vide. Elle se sentait bloquée dans cette chambre, ne se sentant pas d’en sortir pour tomber nez à nez avec Pierre, ou encore avec les souvenirs de sa vie d’avant…

Revenir vivre ici était la pire des idées que Pierre avait eu, mais dans les faits, ils ne pouvaient faire autrement. Jamais personne n’aurait pu acheter cette maison, sachant qu’un massacre y avait eu lieu, elle aurait fini sur les petites lignes du journal dans une vente aux enchères… Gabrielle n’aurait su voir partir de cette façon la maison qui l’avait vu naître et grandir. Mais y vivre était un tout autre calvaire, car maintenant elle allait devoir endurer chaque jour de voir ces murs, ce sol, d'imaginer comment les domestiques y étaient morts... Et le pire, c'était la salle de réception. Les images du massacre qui s'y étaient produit étaient encore si vivaces dans son esprit... Elles revenaient comme des pensées intrusives, faisant irruption au milieu d’une conversation, d’une lecture ou une discussion. La nuit elle ne faisait que voir en boucles les corps sans vie, imaginait leurs hurlements de terreur, ressentait presque sur elle le sang chaud couler sur ses mains et ses vêtements. Depuis, elle ne pouvait passer une journée sans être partagée par fatigue intense et peur de fermer l’oeil… 

Gabrielle n’arrivait pas à sortir de sa chambre, tout ce qui l'attendait dehors était terrifiant. Quand Marguerite frappa à sa porte pour venir la chercher, Gabrielle sursauta et se retint de pleurer. Les choses allaient être très compliquées. 

A suivre...

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