Chapitre 6:

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Chapitre 6 :

A peine arrivés chez Armand, Louise la gouvernante de la maison vint les accueillir.

Dans le magnifique hall, Gabrielle s’attarda quelques secondes pour regarder les peintures accrochées, beaucoup de paysages, de forêts, de champs, parfois l’océan. Presque pas de portraits. Chose agréable, Armand n’avait a priori pas de portrait de lui-même, ce qui pourtant semblait être légion dans les maisons bourgeoises. Mais visiblement, Armand était bien au-dessus de la bourgeoisie. 

Louise refit son apparition afin d’inviter Pierre et Gabrielle à venir dîner. Elle demanda quelque chose à l’oreille d’Armand qui s’excusa avant de les laisser rejoindre la petite salle à manger. Louise fit retirer la troisième assiette avant de s'éclipser de nouveau. Un majordome vint leur servir leur repas: une entrée de crevettes et de fond d'artichaut. 

« Je suis désolé pour ce qui est arrivé tout à l’heure. Je ne pensais pas que tu partirais.

Pierre débuta directement la discussion alors qu’il s'apprêtait à manger. 

— J’étais vexée, je n’ai pas envie d’être traitée comme cela. 

Pierre sourit un peu. 

— J’oubliais à qui j’avais à faire. 

— En effet, Gabrielle vu une gorgée de vin, puis changea de sujet. Cette affaire semble très importante pour toi, pour quelle raison ?

— Je ne compte pas rester député toute ma vie, il faut que je me serve de cette affaire pour appuyer mes idées politiques, notamment pour ce qu'il s’agit de la sécurité de notre pays.

Alors qu’il finissait sa phrase, une bonne rentra pour leur servir du vin. Gabrielle la reconnu tout de suite, c’était la même jeune femme à qui Pierre avait peloté les fesses la dernière fois. Celle-ci vint servir Pierre de façon tout à fait inappropriée, se collant à lui. Mais le pire, ce fut le regard de Pierre, son fiancé levant les yeux vers elle pour la reluquer comme on regarde une catin. Plein de concupiscence, Pierre s'essuya nerveusement le coin de la bouche avec sa serviette. 

— Je vois.» Fit Gabrielle, platement. 

Oui, elle voyait très bien. Vraiment très très bien. Pierre n’avait pas du tout l’intention de terminer cette conversation, il n’avait même pas l’intention de terminer son repas. Il ne faisait qu’attendre que la bonne sorte de la pièce, et puis quelques secondes pour la suivre. Furieuse, Gabrielle ne put se retenir. 

« Moi qui pensais m’être fiancée avec un homme bien.

— Pense bien ce que tu veux, Gabrielle. Les hommes ont des besoins.»

Pierre lui avait répondu cela, debout devant la porte, lui lançant un regard dur; Plein de reproches et presque de dégoût. Puis il claqua la porte, laissant Gabrielle seule à table. Le silence envahit la pièce, ne laissant plus entendre que le léger bruit des ampoules électriques. 

Quelle humiliation, quelle honte!

Comme sonnée, Gabrielle n’avait pas bougé de la table. Des centaines de pensées envahissaient son esprit: Qu’allait-elle faire tout de suite? et pour la suite? Devait-elle aller le chercher? Fallait-il en parler à son oncle? Dans quelle situation s’était-elle mise?… Finalement, il n’avait rien de différent des autres. Ce n’était qu’un goujat aux manières de rustre dès que l’on grattait la couche de dorure… Et il couchait avec une bonne. C’était sûrement la seule pour laquelle elle était au courant, car maintenant qu’il venait de faire cela devant elle, qui sait de quoi il pouvait être capable?

La porte s’ouvrit, Gabrielle tenta de se redresser et se prépara à demander au valet de retirer son assiette. Mais ce fut Armand qui entra dans la salle à manger, il ne portait plus qu’un veston par-dessus sa chemise blanche. L’air contrit, il s’avança un peu.

« Si tu souhaites partir, je peux te faire préparer une voiture. Je suis désolé pour le comportement de Pierre. 

Gabrielle se leva d’un coup, repoussant sa chaise. 

— Vous vous pensez bien poli de venir vous excuser pour votre ami, mais vous acceptez cela sous votre toit alors que sa fiancée est toute seule à votre table en train de dîner? Me proposer une voiture pour partir ressemble soudainement à une insulte. 

— Effectivement, Armand soupira. Si vous le désirez, je peux également… comment dire cela… vous armer face à lui.

Gabrielle plissa les sourcils. A quoi est-ce qu’il était en train de jouer? Malgré tout, elle était étonnée car Armand semblait étrangement sincère et gêné pour elle.

— Je connais Pierre mieux que personne, je sais donc comment t’aider à t’en sortir avec lui. 

— Pourquoi jouer contre lui? Vous semblez être un bien mauvais ami en agissant de la sorte. 

— Vous êtes ce qui est arrivé de mieux à Pierre et ce qui pourra assurer son avenir. C’est dans notre intérêt à tous que votre mariage réussisse, expliqua Armand. Suivez-moi, Gabrielle.»

Armand referma la porte derrière Gabrielle. Il l’avait amené jusqu’au petit salon. La cheminée était éteinte, le piano fermé. 

Gabrielle s’installa dans un des fauteuils, face à Armand qui fit de même. Personne ne vint prendre commande de leur boisson, la porte était fermée, et elle sentait que personne ne viendrait les déranger. 

« Bien, par où commencer… Armand soupira, tout en croisant les jambes largement. Pierre est ce qu’il est. C’est un homme qui aime les femmes. Qui les aime beaucoup, insista t-il. Une bonne, une serveuse, une secrétaire, une femme de bonne famille, une religieuse… peu importe, si c’est une belle femme, il usera de son influence pour l’attirer dans ses filets et la garder pour lui. Malgré ces multiples aventures, Pierre n’est jamais tombé amoureux, n’a pas cherché à fonder de famille jusqu’à ce que plusieurs facteurs entrent en compte. Ses parents ont commencé à faire pression pour qu’il trouve une épouse, puis ton oncle lui a proposé de te rencontrer. Ça s'est fait très naturellement et c’était comme si tout était tracé pour lui. 

Armand jouait avec sa montre, l’ouvrant et la fermant encore et encore, regardant Gabrielle dans les yeux sans s’en détourner une seconde. 

— Il s’est relativement bien conduit avec vous malgré son caractère. 

— Vraiment? Je n’ai pas spécialement eu cette impression, tiqua Gabrielle. 

— Je le comprends. Mais à ce jour, il commence à se montrer tel qu’il est. Vous passez beaucoup de temps ensemble et ne pas pouvoir vous toucher avant le mariage est un problème pour lui. Ce soir, je pense qu’il était … à bout. 

Cette fois-ci, Armand avait levé les yeux au ciel. 

— Et vous? Etes-vous aussi ce genre d’homme? Vous êtes avec lui tout le temps, il loge chez vous presque chaque nuit, vous devez avoir beaucoup de points communs?

— Pas vraiment, éluda t-il.

— Si vous n’avez pas de point commun pourquoi êtes vous amis alors? 

— Je suis avant tout son conseiller. Je suis là pour l’orienter dans ses choix, pour l’aider à rencontrer les bonnes personnes, à aller aux bons endroits. C’est un homme ayant du charisme et du talent dans son métier. Il pourra aller loin en politique. Moi pas, je suis très bien là où je suis et avoir quelqu’un dans la lumière me permet de faire mon travail tranquillement. 

— Vous avez des intérêts à servir et vous vous servez de lui si je comprends bien? Demanda Gabrielle. 

— En quelque sorte, c’est un échange de bon procédés. Il a besoin de moi et j’ai besoin de lui. Avec le temps nous sommes devenus proches, à force de passer du temps ensemble au travail, cela crée des liens. 

— Pour être très honnête avec vous, je ne comprends pas comment vous avez pu devenir ami avec un homme comme lui. Il est très expansif, et vous êtes discret. Il semble être guidé par ses pulsions et vous avez l’air d’être relativement indifférent à tout ce qui porte un jupon, bien que l’on m’ai dit le contraire. 

Armand eut un petit sourire tout en baissant les yeux. 

— Je sais me contrôler. 

— Et lui non?

— Il semblerait que non, et visiblement se contenir, même devant sa fiancée, devient trop compliqué quand une femme l'aguiche. Je suis presque soulagé que vous ne fûtes que deux lorsqu’il a fait cela. Il doit garder une réputation.

Gabrielle ne put se retenir de rire, nerveusement. 

— Une réputation? Je pense au contraire que beaucoup de personnes savent très bien de qui il s'agit réellement. Les gens parlent, ils parlent beaucoup car ils n’ont que ça à faire. La réputation d’une personne tient à très peu de choses; et je pense que dans votre milieu c’est encore plus le cas. 

— Vous avez sûrement raison. Je me fais peut-être des illusions, dit Armand, évasif. 

— Je pense que vous me mentez en ce moment même. Vous n’êtes pas un idiot, je suis sûre que vous connaissez très bien la réputation de Pierre. 

Encore une fois, Armand eut ce petit sourire. 

— Peut-être.

— A votre guise.

Armand se leva pour allumer la cheminée. Gabrielle le regarda faire, sans relancer la conversation, agacée par sa façon de noyer le poisson. 

— Il faut absolument que vous vous mariez avec lui. Cela serait excellent pour sa réputation. 

— Ahhh nous y voilà. Je suis donc le sauf conduit d’un homme de petite vertu. Je n’avais que peu d’ambition avec ce mariage, mais il arrive néanmoins à me décevoir, fit Gabrielle, amère. 

— Peu d’ambition?

— Armand, je suis la pupille estropiée d'un pharmacien très pieu, avec un héritage pharamineux. Depuis que je suis née, je suis vouée à un mariage arrangé, je sais que le mariage d’amour ne sera jamais pour moi. Qui voudrait de moi de toute façon ? J'ai passé des années enfermées dans ma chambre, ou a l’hôpital, je n'ai même pas les bonnes manières nécessaires pour faire illusion. Je n'ai pas d'amis, pas de relations. Mais j'espérais peut-être, au moins tomber sur un homme bien, que je pourrais peut-être finir par aimer... un jour.

Armand se redressa, alors que le feu était en train de prendre, crépitant à tout va. 

— Vous me rendez triste, avoua t-il, d’une voix parfaitement honnête et douce. 

— Ne le soyez pas. J’ai une vie que j’adore. Je vis pour l’art, pour la lecture, pour les coucher de soleil au bord de l’eau, pour les chants d’église d’une foule priant, Je vis pour les balades à cheval en forêt, pour le bruit de la mer ou un opéra. J'ai été privée de toutes ces choses si souvent. Je vis pour ces petits détails, c'est tout ce que j'avais quand j'étais au fond de mon lit à pleurer de douleur.

Face à elle, Armand ne disait plus rien. Il ne souriait plus non plus. Il était là, debout devant la cheminée à la regarder d’un air mélancolique. Après un long moment, il finit par s’asseoir. 

— Vous êtes une bien trop belle personne pour Pierre. 

Gabrielle se sentit rougir et bafouiller. Pour la première fois, Armand semblait réellement sincère et ça l'a désarma. 

— Merci, souffla-t-elle, ne sachant pas vraiment quoi répondre. 

— Vous allez lui être très utile, et s'il savait y faire, vous auriez pu être une épouse formidable pour lui. Mais je pense que vous allez beaucoup souffrir, ce n’est sûrement que le début.

Une boule vint s’installer dans la gorge de Gabrielle. Voilà, il venait de confirmer ce qu’elle pensait. 

— Les closes de rupture de fiançailles sont bien trop onéreuses pour qui que ce soit.

— Je sais, je l'ai lu... Armand hésita quelques instants avant de reprendre. Ce mariage vous apportera sûrement beaucoup. Vous vivrez dans une belle maison, avec beaucoup de domestiques, de beaux enfants, posséderez une maison au bord de la mer ou à la campagne. Vous allez être quelqu’un. Il vous suffit de … laisser couler. Garder tout cela caché.

— C'est bien plus facile à dire qu'à faire, surtout quand on est pas dans la situation, rétorqua Gabrielle.

— Je suis d'accord. Mais de toute façon, vous n'avez pas de choix. Il va falloir composer avec tout cela en se disant que c'est un défi à relever. On s'habitue à tout, à la douleur du deuil, à la pauvreté, à la douleur aussi j'imagine ?

Gabrielle répondit sans un mot, d'un lourd mouvement de tête.

— Pour le moment vous découvrez encore tout ce qu'il est, et il n'a pas fini de vous en faire voir. Mais dites vous bien, que malgré cela, ce fiancé odieux vous apportera une vie confortable. Vous ne le verrez sûrement presque plus à partir du moment où vous aurez des enfants, laissez le travailler à outrance. C'est son second plaisir. Le pouvoir. Laissez le monter en politique, vous aurez juste à vous montrer pendant quelques mois, puis vous pourrez vous retirer avec vos enfants dans une maison de campagne, loin de Paris. Pierre se trouvera des maitresses et vous serez tranquille.

— Vous semblez bien sûr de vous, souffla Gabrielle qui n'arrivait pas à se défaire du noeud qu'elle avait dans la gorge.

— Je connais Pierre. Vous êtes sa nouveauté du moment, il adore cela. Mais ne pouvant vous toucher, il garde encore de l’intérêt pour vous. Une fois le mariage passé, tout ira mieux.

— Et si j'étais stérile ? Demanda Gabrielle.

Armand leva les yeux vers elle, prit au dépourvu.

— Pourquoi le seriez-vous ?

— Plusieurs médecins m'en ont déjà parlé... avec ma maladie, je pourrais être stérile, ou trop fragile pour mener à terme une grossesse.

Il ne répondit rien à cela, mais sembla se perdre dans ses pensées. Gabrielle se senti gênée d'avoir abordée ce sujet avec un homme.

— Je suis désolée, je n'aurais pas du parler de ça.

— Ne vous excusez pas. C'était une question légitime et je comprends votre inquiétude.

Gabrielle soupira longuement, sentant sa poitrine se dénouer.

— Pourquoi faites vous cela pour moi ? Demanda-t-elle.

— Quoi donc ?

— De m'aider, de parler avec moi ? J'ai bien compris que ce qui était dans l’intérêt de Pierre était aussi du votre... Mais étant pieds et poings liés dans ce mariage, aucun risque que je ne m'enfuie...

— C'est juste que vous êtes quelqu'un de bien je pense, j'apprécie votre compagnie et vous méritez d'avoir au moins un soutien dans cette maison.

Gabrielle en oublia de fermer la bouche tant la réponse fut inattendue.

— Ce n'est pas ce que vous avez laissé paraître jusque là, s'empressa-t-elle de répondre.

— J'aime jouer avec les gens, c'est une façon comme une autre de se divertir, mais aussi, ça m'aide à voir quelle genre de personne ils sont. Les réactions que l'offense et la colère soulèvent sont parfois très interessantes. Je pensais que vous seriez passive, gênée... Mais vous me répondez, j'aime beaucoup ça.

— Je ne suis pas votre jouet, objecta Gabrielle.

— Non, en effet.

Ce n'est qu'après quelques secondes de silence que Gabrielle réalisa qu'ils ne s'étaient pas quittés des yeux, se fixant.

— Je peux être ton ami. Si tu veux, bien sûr... finit par dire Armand, d'une voix calme.

Encore une fois, elle n'avait pas anticipé cette réponse, et ne sut pas comment réagir sur le coup.

— J'ai du mal à y croire, répondit Gabrielle.

— Pourquoi ? Je ne peux pas t'offrir mon amitié de façon sincère ?

Il fallait bien qu'elle réponde à ça, mais quoi ? La question l'avait désarmée, prise de court. Mais c'est Armand qui répondit à sa place.

— Tu n'es pas uniquement le faire-valoir de Pierre. J'ai bien le droit de t'apprécier ? Ou au moins d'avoir envie de mieux te connaître, non ?

— Je .. je, bafouilla Gabrielle, je trouve ça déplacé, et …

— Tu sais, parfois les gens s'entendent bien. Sans raison apparente. Tu n'as jamais rencontré quelqu'un avec qui tu te sentais à l'aise sans explication, de façon spontanée ?

Gabrielle se mordit la langue en se disant qu'elle avait ressenti tout l'inverse en rencontrant Armand. Mais elle était toujours là devant lui, et malgré tout ce qui avait pu se passer, elle avait envie de rester là.

— Je ne sais pas..., souffla-t-elle, ne sachant quoi répondre.

— Tu avais raison, répondit soudainement Armand. Tu n'es vraiment pas douée avec les gens.

Se retenant d'éclater de rire face au sourire malicieux de son vis-à-vis, Gabrielle détourna le regard. Puis enfin, elle se laissa aller, sentant les spasmes de son amusement secouer quelque chose en elle.

— Essayons cela, alors... sourit-elle maladroitement en peinant à relever les yeux.

— Est-ce que tu as faim? demanda Armand soudainement, se levant. Soif ?

— Oui, soif un peu. 

D’un pas léger, il sonna pour appeler un domestique. Gabrielle se surprit à suivre Armand du regard, détaillant sa démarche élégante.

— Si tu veux, je pense demander à Pierre de passer quelques jours dans ma résidence secondaire, à la campagne. Vous pourrez passer du temps ensemble, loin des mondanités parisiennes. Je recevrai peut—être quelques amis. Tu pourrais nous accompagner.

— Pourquoi pas. Gabrielle sourit un peu. Ta résidence secondaire, hé bien..

— Oui, une maison de famille près de Dieppe.

— Dis-moi un peu qui es-tu Armand de l’Estoile? Pour, si jeune, être à la tête d’une telle fortune et devenir conseiller politique des autres. 

Une domestique vint prendre leur commande avant de repartir discrètement.

— Cela t’intéresse vraiment? Sourit Armand avant d'aller s'installer devant son piano.

— Pourquoi le demanderai-je, sinon ? Je sais rien de toi.

— Peut-être parce qu’il n’y a rien de bien intéressant à dire. J’ai 25 ans, je suis seulement un héritier bien placé dans une famille qui disparaît. 

Armand ouvrit le piano pour commencer à jouer, quelque chose de calme. 

— Comment cela? Est-ce tout ce qu’il y a à dire? 

— En effet. 

— Je n’en crois pas un mot. Sourit Gabrielle, changeant de fauteuil pour se rapprocher de lui. 

— Et pourtant. 

— Dans quoi ta famille a-t-elle fait fortune? Pour en arriver là. 

— Les investissements bien placés, répondit Armand, par dessus les accords mélancoliques du piano.

— Tu es conseiller et homme d'affaire ?

— Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

Le silence se fit alors qu'on leur amena à boire, une tisane pour Gabrielle et quelques biscuits. Gabrielle laissa tomber son châle qu'elle serrait contre elle depuis des heures, commençant enfin à se réchauffer. Elle prit entre ses mains la tasse chaude et soupira de bonheur. Puis voulant reprendre la conversation, elle voulu s'adresser à Armand qui n'avait cessé de jouer. Une main de fer lui enserra la poitrine alors qu'elle surprenait Armand la fixant d'un regard sombre. Elle serra imperceptiblement les cuisses, et les yeux d'Armand se baissèrent en même temps. Une bouffée de chaleur se répondit en elle, mélange de honte, de surprise, de …

— Et tes parents? Où vivent-ils? S'empressa-t-elle de demander d'une voix blanche.

— Ils sont décédés depuis très longtemps.

Il regardait à nouveau son piano.

— Je suis désolée. s’excusa Gabrielle, se calmant dans son envie d’en savoir plus. 

— Phtisie. J’avais 4 ans, je ne m’en souviens qu’à peine. Il n’y a pas de mal.»

Gabrielle n’osait plus rien demander, elle profitait seulement du morceau que jouait Armand. C’était sûrement la première fois qu’elle l’écoutait réellement jouer, jusque là chaque fois qu’elle arrivait, Armand s’arrêtait. Mais maintenant, elle réalisait à quel point son hôte était un musicien accompli qui n’avait rien à envier à ceux de l’Opéra ou de n’importe quel orchestre. Ce moment était agréable, calme. Et lui faisait du bien. Ce n'était pas habituel, elle aurait pu s'habituer à tout ça. C'était plaisant. Armand lui plaisait. Gabrielle ferma un instant les yeux, juste pour essayer de calmer son esprit. Ça allait beaucoup trop vite en elle pour qu'elle puisse réussir à suivre, pour qu'elle puisse s'arrêter. Bien sûr, c'était ridicule. Il suffisait qu'un homme lui accord un temps soit peu d'attention pour qu'elle se laisse aller à imaginer tout ça ? Mais quoi d'abord ? Non, elle n'imaginait rien du tout, c'était juste ça, cette chose en elle. Quelque chose semblait avoir prit vie dans sa poitrine, et prenait plaisir à la torturer sans qu'elle s'y attende.

Voilà qu’elle ne le quittait plus des yeux, le regardant jouer. Il semblait tellement absorbé par son morceau, le vivant, le ressentant. Presque comme si elle aussi finissait par s'imprégner de l’émotion qu’il y mettait. Son jeu était parfait, pas une fausse note, pas un temps raté. La première gnossienne de Satie rendait merveilleusement bien, la plongeant dans un état de transe.

Puis la deuxième gnossienne, la troisième, quatrième… Gabrielle avait glissé sur l’accoudoir du fauteuil, posant sa tête dans ses bras. Le sommeil était soudainement trop difficile à réprimer. La musique la laissant dans un état entre veille et sommeil. Pas réellement endormie, mais pas du tout éveillée. 

Le silence se fit, la plongeant plus profondément dans le noir, loin. Elle s’allongea sur le fauteuil, ou peut-être que quelqu’un le faisait pour elle? Son corps était incroyablement lourd et agréablement détendu. Une fraîche caresse effleura sa nuque. Une étreinte délicate autour de sa taille. Elle n’était déjà presque plus là. 

Une douce douleur s’étendit dans son cou. Puis une montée de désir, immense, lui donnant chaud. La musique était à nouveau tout en elle, la faisant vibrer, l’emportant encore plus loin qu’elle n’était dans un sommeil plus lourd que la mort. Si loin qu’elle ne sentait plus son corps, plus son esprit. Elle n’était plus que notes de piano délicates et parfum de myrte, d’eucalyptus, de santal, d’ambre... 

Le froid envahit soudainement tout son corps et elle sombra. 

A suivre...

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