Chapitre 7:

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Chapitre 7 :

Gabrielle était tombée malade. Elle s'était réveillée chez elle, sans se souvenir d'être rentrée de chez Armand. Mais il y avait tout, ses affaires bien rangée. Parfois, elle revoyait fugacement la berline remuer autour d'elle, non on l'avait bien ramenée ici. La fièvre l'avait sûrement fait délirer quelques instants. Une sortie en robe de gala dans Montmartre, qu'elle idée aussi...

Le médecin lui avait recommandé du repos et de garder le lit pendant deux jours, après quoi il reviendrait la visiter. Son oncle fut aux petits soins pour elle, lui préparant des tisanes, des remèdes, lui faisant la lecture le soir venu. Mais Marguerite fut, comme toujours, celle qui s'occupa le plus d'elle. Son affection avait évidement réveillée ses douleurs, comme d'ordinaire. La moindre petite chose semblait être une étincelle sur un tas d'épines de pin dans son corps.

Pierre lui fit envoyer des fleurs, et vint la voir une fois, le soir assez tard. Ce fut comme si rien ne s'était passé, qu'il n'avait pas été s'éclipser avec la bonne. Il n'en pipa mot, n'agissant aucunement comme s'il se sentait coupable. Gabrielle repensait alors à ce qu'Armand lui avait dit. Il avait très probablement raison. Pierre était une personne socialement incroyable, il attirait le regard et les conversations semblaient toujours converger vers lui. Son esprit lui envoya l'image d'un pont, oui, Pierre était un magnifique pont de bois, mais vermoulu ; mieux valait ne pas poser le pied dessus.

***

Assise sur un tabouret dans l'officine de son oncle, Gabrielle regardait dans le vide, bercée par le bruit réconfortant des alambics qui ronronnaient dans l'arrière boutique. Son état s'était amélioré, elle allait pouvoir de nouveau sortir et reprendre ses activités habituelles. Mais en attendant, étant agacée de devoir garder le lit, elle avait décidé de venir ici, comme souvent.

Cela faisait un petit moments que personne n'était entré, et elle sursauta un peu quand Alphonse prit la parole, la sortant de sa rêverie.

« Est-ce que ça va ?

Gabrielle força un sourire.

— Oui, j'étais perdue dans mes pensées.

— D'agréables pensées ? Demanda Alphonse.

Gabrielle su toute de suite que cette question avait un but caché.

— Je ne saurais même pas vous dire !

— Tu n'avais pas l'air spécialement heureuse. Quelque chose te tracasse mon enfant ?

Alphonse s'était rapproché d'elle, il tira un autre tabouret pour s'asseoir près d'elle. Oh non...

— Non, je vous assure que …

Mais il lui coupa la parole.

— Pas à moi, Gabrielle. Ton visage est comme un livre ouvert. Dis-moi ce qui se passe.

Elle savait qu'elle ne pourrait y échapper, son oncle savait toujours comment la faire parler.

— Je... Je suis un peu inquiète, à propos de Pierre, elle regarda son oncle pour jauger la façon dont il allait appréhender la chose avant de poursuivre. Etes-vous sur de vous ? De votre choix de cet homme pour moi ?

Alphonse fronça les sourcils.

— Bien sûr, et puis, tu ne le connais pas depuis hier seulement. Vous avez pu entretenir une correspondance, c'est une excellente chose, cela a du créer un peu de lien entre vous. Beaucoup de couples n'ont pas cette chance.

— Oui, c'est vrai. Mais Pierre n'est pas trop le genre d'homme à s’épancher par écrit, je ne le connais pas si bien que vous pouvez le penser… et ... depuis mon retour, il... Elle commença à bafouiller, s'attendant à ce qu'Alphonse lui coupe la parole, mais il n'en fit rien. Son attitude évolue... Je n'ai pas l'impression de correspondre à ce qu'il attend de moi.

Voilà, elle avait réussi à formuler sa phrase de telle sorte que son oncle la croit se remettre en question, et non accuser Pierre directement. Elle voulait éviter de le braquer.

— Est-ce que tu peux me donner un exemple, je ne suis pas sûr de comprendre ce que tu entends par là ?

Gabrielle hésita rapidement sur ce qu'elle devait dire et raconter.

— Pierre voit d'autres femmes. Je vous assure que ce n'est pas une déduction de ma part, ou mon imagination. C'est un fait, il a même fait des … des avances à une domestique de chez Monsieur de L'Estoile, devant moi avant de s’éclipser avec elle. Et, celui-ci m'a confirmé ce que j'avais déjà comprit. Pierre est un coureur..

Alphonse se tortilla sur lui-même, semblant gêné à plusieurs niveaux. Il soupira avant de répondre.

— Les hommes ont parfois des besoins... commença-t-il.

— C'est exactement ce que Pierre m'a dit.

— Je t'avoue que je suis un peu déçu, je pensais que Pierre saurait être respectueux envers toi à partir du moment où vous alliez vous afficher ensemble. Pas que je sois au courant, mais je pouvais imaginer et comprendre que durant ton absence, qui a duré un temps certain, Pierre ait eu des besoins.

— Il semblerait qu'en ma présence ou non, les choses n'aient que très peu changé à son propos.

— Tu as peur qu'il ne t'apporte du déshonneur ?

Gabrielle lâcha un petit rire gêné.

— Du déshonneur, ou la chaude pisse !

— Gabrielle, gronda Alphonse.

— Quoi ? Vous savez très bien que j'ai raison, s'offusqua-t-elle.

Alphonse se mit a compter sa caisse nerveusement, évidement qu'il se sentait mal à l'aise.

— Oui... avoua-t-il a demi mot. Je verrais ce que je peux faire.

— Vous en profiterez pour lui expliquer que me gifler ne me rendra pas plus agréable.

— Te gifler ? Qu'as-tu dis pour le mettre en colère ?

Gabrielle serra les dents, c'est exactement la réaction qu'elle attendait de son oncle.

— Rien... éluda-t-elle.

— Gabrielle, tu dois prendre sur toi. Pierre est un homme d'affaires qui travaille beaucoup, il a besoin de ta bonne humeur et de ta patience. Pas de reproches ou d'exigences.

— Je ne .. commença-t-elle à répondre.

— Tu vas être son épouse, s'il a manqué de patience envers toi, c'est que tu as du abuser de ta place, être trop ..

— Trop quoi ? Vous me connaissez mon oncle, vous savez comment je suis, je pensais que Pierre le saurait aussi.

— Certes, mais tu dois aussi faire des efforts, commença à gronder son oncle. Tu lui dois obéissance et respect, je veux que tu fasses des efforts. Et s'il faut que tu fermes les yeux sur certaines choses pour la paix de votre ménage. »

Gabrielle se leva promptement, contrariée. Elle savait que ça ne pourrait aller plus loin. Au final, elle ne savait pas pourquoi elle avait eu l'idée de lui en parler... Coupant court à la conversation, elle s'excusa pour rentrer à la maison, prétextant avoir besoin de repos. Son oncle n'était pas dupe, il savait bien qu'il n'y avait plus rien à tirer d'elle à présent et n'insista pas.

Faire des efforts... Fermer les yeux.

Elle était hors d'elle.

Pourquoi avait-elle eu l'espoir que son oncle puisse comprendre ce qu'elle ressentait et surtout prendre son parti ? Il portait des valeurs du mariage le plus traditionnel, et surtout le plus pieux possible. Si elle voulait savoir ce qu'il pensait, elle n'avait qu'à relire les saints Sacrements du mariage. Gabrielle devait obéissance à son mari et si elle été corrigée, c'est qu'elle l'avait surement méritée.

***

Gabrielle soupira, puis fit prise d'un vertige puissant, lui donnant l'impression de partir en arrière. Juste à côté d'elle, Armand lui attrapa le bras, la dévisageant.

« Est-ce que ça va ? Demanda-t-il.

— Oh mon dieu, je ne sais pas. J'étais dans mes pensées et d'un coup ça n'allait plus. »

Gabrielle regarda tout autour d'elle, se sentant étrangement paniquée. Quelque chose n'allait pas, mais elle n'arrivait pas à savoir quoi. Pendant deux ou trois secondes, elle eu du mal à remettre ses idées en place. Elle était assise sur un canapé, attablée avec seulement Armand au rez-de-chaussée d'un hôtel.

L’endroit était étonnamment élégant, de grandes colonnades blanches, sûrement factices, formaient une allée qui rejoignait le bar. De chaque côté, des tables étaient disposées, de petites bougies ainsi que des fleurs sur chacune, contre les murs, des tables avec des banquettes en velours rouge faisaient tout le tour de la pièce. Non loin du bar, un escalier de marbre blanc grimpait à l’étage, en bas, un homme en barrait l’accès. Une lumière chaude et presque orangée baignait la grande salle, une odeur d’orange amer flottait dans l’air se mêlant aux effluves d’alcool, de cigarettes et de cigares. De l’autre côté du bar, un orchestre jouait discrètement des airs connus. Elle était arrivée ici accompagnée de Pierre et avait du rejoindre Armand pour qu'ils puissent rencontrer une personne. Mais Pierre ne lui avait rien dit, n'avait rien expliqué et s'était éclipsé à l'étage de l’hôtel.

« Alors qu'y-a-t-il a cet étage qui vaillent tant de secret? Demanda-t-elle de nouveau.

Armand sourit un peu, il avait malgré tout l'air sur le qui-vive, mais Gabrielle n'arrivait pas comprendre pourquoi.

— C'est un endroit discret pour faire... ce que tu veux. Opium, prostituées de luxe, je t'épargne les détails sordides.

— Mais nous sommes pourtant dans un établissement tout ce qu'il y a de plus commun non ?

— C'est ce qui fait sa réputation. La discrétion c'est un atout considérable. Ceux qui viennent ici savent qu'il ne faut pas en parler, et ceux qui s'y reconnaissent font semblant de ne pas se connaître.

— Comment connais-tu un tel endroit ?

— C'est très pratique pour échanger des informations sensibles, expliqua Armand. J'ai proposé à Pierre et son interlocuteur de venir ici pour que nous puissions parler sans détour. Certains documents ne devraient pas être en notre possession, rien de bien incroyable, mais cela pourrait mettre à mal la procédure judiciaire.

— Cela semble bien ennuyeux tout compte fait... soupira Gabrielle.

— Tu aurais préféré qu'il te fasse monter pour te faire regarder d'autre...

— Oh Armand s'il te plait, le coupa Gabrielle, bien trop amusée et choquée de son air satisfait. Ce ne sont pas des choses pour moi.

— Nous avons tous nos "choses", comme tu le dis.

Armand avait souri, mais pas de façon moqueuse. Il semblait amusé par le comportement de Gabrielle.

— Et ces choses sont celles de Pierre ?

— Oui, pas mal d'entre-elles, soupira Armand.

— J'aurais préféré être avec un homme trop absorbé par son travail, ou même parieur. Mais ses intérêts sont tout autres… Bien trop portés sur tout ce qui est illégal. Ce qui est étonnant pour un homme de loi.

— Plus les hommes ont accès au pouvoir et à l'argent, plus ils ont de facilités à tomber dans ces travers. Le jeu, l'alcool, la drogue, le sexe… énuméra Armand.

Gabrielle hésita un petit moment avant de poser sa question, ayant peur de laisser paraître une facette trop curieuse d'elle-même … bien qu'elle l'eût réellement été.

— Et toi, quels sont tes travers Armand? Je trouve ton image un peu trop lisse pour ce milieu et pourtant c'est toi qui connaît cet endroit et qui sait comment y rentrer.

— J’ai d’autres intérêts, souffla-t-il, souriant légèrement.

— Qui sont? insista-t-elle, souriant elle aussi.

— Ce ne sont pas des choses que l'on dit devant une dame.

Gabrielle se sentit rougir un peu plus quand les yeux d'Armand glissèrent fugacement le long de son corps. D'instinct, elle serra les cuisses, en proie à une montée d'un désir très inattendu. Face à elle, les yeux d'Armand semblaient s'être un peu assombris. Qu'est-ce qu'il venait de se passer?

— J'espère ne pas t'avoir mise mal à l'aise… sourit Armand, de nouveau joueur.

— Oh, je t'en prie, fit-elle, un peu outrée. Je ne suis pas une nonne non plus.

— Ça, je ne sais pas! J'ai toujours du mal à trouver une position confortable pour tout le monde. Les hommes semblent se complaire dans le vice et vous les femmes souffrez d'hystérie.

— Je ne suis pas hystérique! s'offusqua Gabrielle.

— Ce n'est pas ce que j'ai dit, objecta Armand. Je dis juste qu'il y a un fossé entre les hommes et les femmes.

— Pourtant, tu es un homme, tu devrais savoir comment te comporter en leur présence? Et je doute que tu sois de ceux qui aient du mal à comprendre les femmes.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça? demanda Armand.

Gabrielle rougit de nouveau.

— Hé bien… Tu .. tu discutes beaucoup, et tu .. enfin quand je parle tu m'écoute, peina t-elle à expliquer.

Armand la regarda, sans intervenir, Gabrielle continua alors.

— Les hommes ne nous écoutent pas. Notre discussion est forcément superficielle, alors… Nous ne parlons pas.

— Le silence est pourtant une vertu, à force de ne rien dire, tu dois voir des choses auxquelles certains ne feront jamais attention.

— Si tu savais, sourit Gabrielle.

— J'ai tendance à préférer la présence de certaines femmes. Non pour les mêmes raisons que les autres hommes. Vous êtes moins dominées par vos besoins, moins colériques, plus attentives et fines d'esprit. C'est pour cela que j'apprécie ta présence.

Gabrielle sourit à son vis-à-vis, touchée par ses mots.

— Tu ne ressembles en rien à Pierre, comment peux-tu être ami avec lui….

— La force de l'habitude. Et parfois les opposés s'attirent.

— Je n'en crois pas un mot. Les opposés ne s'attirent pas.

— C'est peut-être vrai… Réfléchit Armand. En règle générale, on devient plutôt complémentaire. En amour et en amitié.

— As-tu déjà été amoureux? demanda Gabrielle, osant.

— Oui. souffla-t-il, après une petite hésitation.

— Comment est-ce?

— Tu n'as jamais aimé? s'étonna t-il.

— Non.

— Hé bien … Armand baissa les yeux. C'est comme mourir un peu, et parfois c'est toucher à la félicité.

— Cela ne donne pas vraiment envie…

— Non. C'est une souffrance intolérable pour bien peu de bonheur, la perte de contrôle, l’abandon... Expliqua Armand, remettant en place la manche de sa chemise.

— Tu en parles comme si tu n'avais jamais été heureux en amour.

— C'est tout ce que je connais, sourit amèrement Armand.

Gabrielle ne répondit pas, réfléchissant à ce qu’il venait de dire. Elle voulut répondre quelque chose mais Armand reprit la parole, changeant de conversation.

— Est-ce que tu voudrais m’accompagner voir un ballet la semaine prochaine? J’ai été invité à y aller et je pensais que cela pourrait te plaire.

— Avec plaisir! Sourit Gabrielle, surprise qu'il pensa à elle.

— Je suis beaucoup trop souvent invité partout pour honorer tout le monde et avoir des personnes pour m’accompagner, expliqua Armand.

— Et ta bonne amie?

Armand l’interrogea du regard.

— Elisabeth, je crois, non?

— Ah oui, Elisabeth. Elle n’est pas souvent là.

Gabrielle n’insista pas, car la réponse laconique d’Armand n’appelait pas à poursuivre. Nerveusement, elle jouait avec sa bague de fiançailles.

— Un jour il faudra que tu me parles de toi. Vraiment, dit Gabrielle, repensant à la discussion sur l'amour.

— Si tu veux, mais il n’y a rien d’intéressant à dire de plus que ce que tu sais déjà.

— Laisse-moi en douter.

— Je passerai te prendre mardi soir, et cette fois, tu pourras trouver une tenue adaptée.

— On verra, peut-être aurais-je envie d’être aussi séduisante qu’une vendeuse de boutons, glissa Gabrielle.

Armand détourna les yeux, arborant un sourire qui lui fit l'effet d'un coup de poing dans le ventre.

— Et toi, parle-moi de toi, demanda Armand.

La jeune femme poussa un soupir et joua avec sa bague de fiançailles. Elle remarqua que son bras lui faisait étrangement mal...

— Par quoi dois-je commencer ?

— Ce que tu veux, je t'écoute.

Gabrielle prit une gorgée de son verre sur la table.

— Hé bien … J'ai vingt-trois ans, je suis née ici à Paris. Mes parents sont décédés tous les deux quand j'avais deux ans, à la suite d'un accident de train. Mon oncle m'a relaté que le train de passagers est rentré en collision avec un autre train de marchandises roulant sur la même voie, en sens inverse. Une véritable catastrophe...

— Tu ne t'en souviens pas ?

— Pas du tout. Ma tante m'avait dit que j'étais chez moi, avec ma nourrisse. Que mes parents ne sont juste jamais rentrés de leur voyage. Mon père avait un testament désignant son frère, Alphonse Deslante donc, comme mon tuteur légal en cas de drame. Lui et son épouse se sont donc retrouvés parents adoptifs d'une enfant de deux ans quant eux-même n'avaient pu avoir les leurs. Ils étaient déjà assez âgés. Avec le recul, je me rend compte que j'aurais très bien pu finir à l’assistance publique et je suis bien contente qu'ils m'aient recueillie.

— N'était-ce pas trop difficile ?

— Non, ils étaient adorables, aux petits soins pour moi. Comme si j'avais été leur propre fille. Ma tante a été comme une mère, jamais on ne m'a caché qu'ils n'étaient pas mes parents, il n'y a jamais eu de non-dits.

— Je n'ai jamais croisé ta tante... remarqua Armand.

— Non, elle est décédée il y a quelques années, au plus grand désespoir de mon oncle. Il aimait sa femme comme au premier jour. J'ai grandi en voyant cet homme très pieu et rigide, adorer cette femme comme si elle avait la Vierge même. A son départ, il a été fou de chagrin et s'est d'autant plus réfugier dans la foi, y trouvant un réconfort. Pour lui, il sait qu'elle l'attend là-haut, alors il n'a pas peur de la mort, ni du temps qui passe.

— Quelle chance... soupira Armand, parfaitement sincère.

— N'est-ce pas ? Sourit Gabrielle. Je ne pourrais pas en dire autant. Enfin, si. Mais je n'ai pas peur de la mort en elle-même, qu'un Paradis m'attende ou non, il n'y aura plus de souffrance après. C'est ça qui me terrifie, je sais que je mourrais dans la douleur... Je … pardon, s'exclama Gabrielle, réalisant ce qu'elle était en train de dire. C'est très déplacé.

Armand secoua la tête.

— Non, non, je t'assure que tu peux parler. Si quelque chose m'avait gêné, je t'en aurais fait part.

— Philosopher sur la mort, ce n'est quand même pas un sujet très interessant, ni réjouissant.

— Non, mais je vois surtout qu'en disant cela tu essayes de partager un peu de quelque chose qui te pèse.

Gabrielle fut envahit de mélancolie.

— Oui...

— Pourquoi penses-tu que tu ne pourrais pas mourir à 90 ans dans ton lit, pendant ton sommeil ?

Elle rit jaune avant de répondre.

— Ma maladie n'est pas mortelle, mais je sais qu'avec le temps, j'aurais de plus en plus de mal à supporter la douleur. J'ai bien failli ne pas remarcher il y a quelques mois encore. Et je n'ai pas encore 30 ans. J'essaye de ne pas y penser, et de profiter de la vie au jour de jour, mais … Je ne pense pas que mon avenir soit radieux. En mettant de côté Pierre et tout le reste évidement.

— Aucun soin ne te soulagerait ? Aucun traitement ?

— A ce jour non, tout est seulement temporaire. La maladie s'est déclarée juste après le décès de mes parents, je suppose que cela à fait subir à mon corps a déclenché cette maladie. Mon oncle m'a dit que quelques personnes en avaient été affligés dans notre famille, dont ma grand-mère. Mais pas à ce niveau de gravité.

— J'espère que tu te trompes à propos de l'avenir, dit doucement Armand.

— Moi aussi ! »

Ils se regardèrent un instant, souriant un peu. Mais la douleur dans son cœur la força à baisser les yeux... Pas une seconde qu'elle passait en sa compagnie n’améliorait ce qu'elle ressentait... Il lui plaisait, il lui plaisait terriblement. Sans qu'elle ne se l'explique. Sa simple présence l'embrasait, lui donnait l'impression d'être vivante. Même si c'était par la colère, la jalousie, l'admiration. Il n'y avait rien qui ne lui déplaisait en lui. Dès le premier jour où elle l'avait vu, elle aurait du le savoir. C'est comme si l'univers lui avait envoyé un message. Juste sa silhouette dans un carrosse avait éveillé quelque chose en elle. Il y avait quelque chose d'irrationnel dans cette attirance, de l'ordre de l'évidence simple. Mais au delà du simple coup de foudre qui aurait pu s'effacer bien vite, en voyant qu'Armand pouvait être un imbécile bruyant et odieux, elle aimait tout de lui. Son silence attentif, ses questions posées avec sincérité, ses remarques acerbes, sa manière de jouer avec elle pour la mettre sur la brèche, sa clairvoyance, sa façon de marcher, l'inclinaison de sa bouche, ses yeux qui transperçaient son âme... Il représentait malgré tout tout ce qui était interdit, et peut-être était est-ce ça qui ne faisait que raviver l'incendie au fond d'elle …

« M'sieur dame, la bonne aventure ? Demanda soudain une voix à côté d'eux.

De concert, ils tournèrent la tête vers la femme qui leur avait adressé la parole. Elle avait un âge certain, mais sa tenue ne dénotait pas dans l'établissement.

— Ici ? Demanda Gabrielle, principalement étonnée par sa présence.

— A l'étage Madame, allez amenez votre mari, je suis sûre que vous voulez savoir un peu plus sur votre avenir !

Gabrielle commença à bafouiller quelque chose pour rectifier la femme, mais elle senti Armand lui donner un coup de genoux.

— Allez ma chérie, tu n'es pas curieuse ? » Sourit-il, l'air complice.

Elle se mit à rougir au surnom. De toute évidence, il avait bien envie de se prendre au jeu.

Il n'était pas vraiment intéressé par ces bêtises ? Il sembla bien que si, alors Armand se levait et lui tendait son bras à Gabrielle pour l'inciter à le suivre. Au fond d'elle une petite voix lui murmura qu'elle pouvait toujours se prendre au jeu, qu'est-ce qu'elle risquait ? Ce n'est pas avec Armand qu'elle risquait quoique ce soit. Même si cela comprenait le fait de ce rendre à ce fameux étage....

Gabrielle finit par se lever et ils suivirent la femme jusqu'à l'escalier, puis dans un couloir desservant plusieurs chambres. Un hôtel tout ce qu'il y avait de plus normal, en somme... Elle les guida pendant un long moment.

« La bonne aventure vraiment ? Lui murmura Gabrielle.

— On peut s'amuser de temps en temps... Au pire, elle va nous raconter des banalités et j'ai hâte de voir ce qu'elle pourra bien dire sur notre prétendu couple ! Je suis certains que tu vas me tromper et demander le divorce. »

Gabrielle se retint de rire. Non, vraiment faire ce genre de chose n'était pas dans ses habitudes, mais pour le moment cela ne lui déplaisait pas ! La femme devant eux s'arrêta enfin devant une porte identique à toutes les autres, puis toqua deux fois. Mais après être entrés l'ambiance changea radieusement. Une voix s'éleva à l’intérieur, les autorisants à entrer. La femme écarta un pan de tissus pour faire entrer Gabrielle et Armand, puis referma derrière eux avant de quitter la chambre. A nouveau, le silence se fit, comme si derrière, il n'y avait plus rien.

Au fond de la pièce était installée une femme, en fait non, une adolescente. Plus Gabrielle avançait, précédée d'Armand plus elle réalisait sa jeunesse. Elle était… Gabrielle la regarda longuement, avant de comprendre ce qui retenait son attention. Ses yeux étaient couverts d'un voile blanchâtre. Elle était aveugle.

« Bonjour à vous deux, je vous en prie, prenez place, dit-elle d'une voix délicate. Je m’appelle Joséphine, et vous comment vous appelez-vous ?

Armand fit avancer Gabrielle jusqu'à ladite Joséphine et les présenta tous les deux. Elle était assise presque à même le sol, juste posée un minuscule siège, très bas, comme un coussin. Et autour d'elle s’amoncelaient des bougies, posées sur des meubles en bois sombre, sur des guéridons, d'anciennes tables de chevets, ou même par terre. Le sol était couvert d'un parquet de fortune où se superposaient plusieurs couches de tapis. L'ambiance était à la fois chaleureuse et étouffante. Il faisait sombre, sauf autour de Joséphine et il ne semblait rien y avoir d'autre qu'un lit spartiate de l'autre côté.

— Prends ton temps pour t'asseoir, Gabrielle. Je suis désolée de n'avoir à t'offrir que le sol pour t'installer.

Gabrielle jeta un regard perdu vers Armand Comment pouvait-elle savoir qu'elle allait avoir du mal à s'asseoir par terre ? Armand avait un peu perdu son sourire amusé, mais ne dit rien. Il prit la main de Gabrielle pour l'aider à s'installer.

— Alors, que puis-je faire pour vous?

— Je ne sais pas trop, la femme qui est venue nous chercher nous a dit que vous disiez la bonne aventure. Mais je ne sais pas ce que nous avons le droit de vous demander, expliqua Gabrielle, un peu mal à l'aise.

— Ça dépend de vos moyens, je peux vous faire payer à la question si vous avez une demande précise, ou bien à l'heure.

Armand ne prit même pas la peine d'attendre le tarif qu'il avait sorti un billet et le tendait vers Joséphine.

— Tenez.

La voyante attrapa le billet sans se tromper... Peut-être n'était-elle pas réellement aveugle ? Mais Joséphine la regardait, ce qui mettait mal à l'aise Gabrielle qui n'arrivait pas à détourner son regard de ces yeux blancs. Pourtant,c'était une jeune fille était assez belle, ses cheveux blonds, presque blancs, frisaient de façon très serrée, formant une sorte de halo autour de son visage pâle. Elle avait certaines mèches tressées, entremêlées de rubans bleus et verts, quelques perles, mais le reste de sa chevelure tombait sans soin sur ses épaules. Son visage était à l'image de tout le reste de son corps, mince, frêle, lui donnant un air maladif et fragile.

— Si vous voulez commencer, que l'un de vous me donne sa main, annonça la femme.

Armand jeta un coup d'oeil pour inciter Gabrielle à commencer.

— D'accord...

Gabrielle, nerveuse, retira son gant, puis avisant ses doigts abîmés par les plaques, elle tenta l'autre main. Mais Joséphine s'approcha, s'asseyant élégamment à genoux, les pieds sous ses fesses, avant de prendre ses deux mains dans les siennes. Gabrielle se laissa faire, mal à l'aise.

— Cela n'a aucune importance. Ton corps lutte contre lui-même, cette maladie te ronge comme si elle te faisait payer quelque chose, dit-elle d'une voix douce, passant ses doigts sur ses plaques.

Gabrielle avait mal à l'estomac, et peinait à avaler sa salive.

—J'ai ça depuis presque toujours, finit-elle par répondre.

— C'est peu étonnant. Gabrielle, pour lire en toi, je vais avoir besoin de ton sang, rien de douloureux ou dangereux, je vais juste piquer le bout de ton doigt d'une aiguille. M'y autorises-tu ?

— Oui, d'accord.

Sans perdre une seconde, Joséphine sembla sortir de sa manche une sorte d'épingle à chapeau, ou une broche, et piqua un doigt, avant de récupérer la goutte de sang qui y perla. D'un geste fluide, elle amena sa main à son nez, étalant le sang entre son pouce et son index. Cela dura une minute entière, une longue et silencieuse minute. Puis Joséphine prit à nouveau la main de Gabrielle. Doucement, elle réalisa que ses yeux s'assombrissaient, comme si le voile se levait. Les iris bleus de Joséphine la fixait et le monde sembla s'arrêter de tourner, même Armand avait comme disparu.

— Je n'arrive pas à voir la ligne de ta vie. Je ressens tant de choses, violentes, intenses, mais je ne sais pas où tout cela mène, la vie ou la mort ? Il y a bien quelque chose en toi, ton sang me le dit, il a une odeur fascinante, presque unique. Mais je ne sais dire ce que c'est. Je vois parfaitement ton passé, je ressens ta peur et ta douleur, et le danger qui pèse autour de toi. Tu t'es retrouvée sur la scène d'un crime causé par une créature non humaine sans le savoir, c'est bien cela ?

Gabrielle ne savait pas si elle devait répondre car Joséphine ne parlait pas avec sa bouche, mais sa voix résonnait dans sa tête de façon limpide. Elle n'avait pas peur, n'était pas perturbée, baignant dans un calme merveilleux. En guise de réponse, elle fit défiler les images de ce qu'elle avait vécu dans sa tête. Alors Joséphine se mit à parler :

— Elle sait que tu existes, cette créature, ou … cet humain... Je ne parviens pas à voir ce que cela peut bien être. Je ne comprends pas... Tu es suivie. Il te surveille. Je sens son ombre près de toi... Ton futur est semé de peur, de danger, mais pas toujours par ce qui te suis.

— Je ne comprends pas, par qui suis-je menacée ? Le tueur non humain ?

— Je ne sais pas, je ne crois pas... Il y a plusieurs personnes, je ressens ton oncle, le cocher, ton fiancé, des personnes ayant assistés à la scène, l'homme assis là qui prétend être ton mari aussi. C'est comme si j'assistais à tout cela comme regardant une peinture. Chacun d'entre eux m'apparait comme étant dangereux pour toi, mais, quelque chose brouille les pistes.

— Est-ce que Pierre sera un bon époux? Demanda Gabrielle, sans émotions aucune.

— Oh non, rit un peu Joséphine. Son âme transpire la noirceur...

— Je dois l'épouser...

— Je sais, et tu le feras. Mais... Ce n'est pas celui qui t'es destiné, chuinta la voix de Joséphine en elle. Celui qui t'es destiné, il … Joséphine s'arrêta et eu un spasme dans le cou. Il est... il n'est plus de ce monde.

— Je ne comprends pas ce que vous essayez de me dire... Comment quelqu'un peut-il m'être destiné, s'il est déjà mort ?

— Nos âmes sont uniques, et elles sont également scindées. Les âmes sœurs, les flammes jumelles sont celles qui se retrouvent pour ne former plus qu'un. Chacune est une partie de l'autre. Unique, irremplaçable. Ton âme sœur est peut-être née il y a des centaines d'années... Cela fait parti de notre châtiments, les Dieux réservent un dessin bien spécifique à chacun d'entre nous.

— Je ne vais donc rien connaître d'autre que la peur et le danger ?

— C'est hélas tout ce que je vois en toi, mais, c'est parfois entremêlé d'une vie de bonheur, et d'une autre où tu n'es plus de ce monde, une où tu voue ton existence à la foi, encore une autre où tu te découvre à autrui, et encore des centaines d'autres lignes différentes. Je ne sais pas laquelle est la bonne. On dirait que … Gabrielle ta destinée n'est pas toute tracée, je ne peux voir ton avenir car tu es seule maîtresse de ce qu'il sera. Le seul et unique point commun de ce futur c'est ton potentiel, cette chose en toi, elle est là et elle existe dans toutes tes vies, cela doit arriver, mais tu es .. comme en suspend.

— Qu'est-ce que c'est ? Qu'est qui est en suspend en moi ?

— Je crois que c'est un ensemble. Ton passé, ta maladie te rongent : tu as manqué d'affection, de sécurité, et tu t'es enfermée dans un fonctionnement qui ressemble à de la survie Tu sembles être toujours dans l'attente que quelque chose t'arrive, que quelque chose te libérera ou soit comme un couperet. C'est comme si tu ne t'autorisais pas à vivre, à avoir un futur. Tu es l'instrument d'autrui depuis toujours, un objet pour lequel on décide tout. Et même aujourd’hui, tu attends que je te dise quoi faire et pourquoi. Tu n'as besoin que de toi-même Gabrielle, écoute la petite voix qui est en toi. Tu sais qu'elle est là, tu l'entends parfois te murmurer des choses à l'oreille, mais ce n'est ni un petit démon, ni un ange, ce n'est que toi, toi-même, la personne que tu aurais dû être avec sa destinée et son pouvoir.

Quelque chose fit sursauter Gabrielle, tombant sur sa jambe. C'était une larme. Gabrielle n'avait même pas eu conscience de se mettre à pleurer. Mais cela la fit sortir de cet état second dans lequel elle s'était retrouvée avec Joséphine. Elle était toujours là, assise par terre, Armand la regardait totalement fermé, et Joséphine avait reprit sa place et ses yeux retrouvés leur teinte laiteuse.

— Je suis désolée de ne rien avoir de plus à t'offrir...

— Non, non … c'est … déjà inattendu.

Armand se redressa et se leva.

— Je vous remercie, mais je pense que nous allons nous en aller maintenant. Pierre dois te chercher, imposa Armand.

— Vous avez payé bien assez pour …

Mais Armand ne la laissa pas terminer.

— Aucune importance, gardez la monnaie. Viens Gabrielle. »

Il lui tendit la main pour l'aider à se relever. Gabrielle se sentait un peu perdu, par la réaction d'Armand mais aussi ce qu'elle venait de vivre. En à peine une minute, Armand l'avait conduit vers la sortie et ils se retrouvaient à présent dans le couloir.

« Tu te sens bien ? Demanda-t-il.

— Oui, ça va … c'était très étrange.

— Vous êtes resté silencieuses pendant presque cinq minutes, Gabrielle. C'est comme si tu t'étais endormi les yeux ouverts.

— Elle m'a parlé dans … dans ma tête. C'était très clair, très … Elle savait que tu n'étais pas mon mari, elle connaissait le nom de Pierre, savait pour l'homme qui est mort devant moi... souffla-t-elle, d'une voix blanche.

Armand semblait de plus en plus nerveux.

— La femme qui est venue nous chercher en bas à du nous espionner pour lui donner des informations. Elle a du lui apprendre quelques vérités pour faire semblant de les deviner devant nous. En piquant ton doigt, elle t'as peut-être inoculé une substance hallucinogène ou quelque chose comme ça.

Il essayait d'être rationnel, mais Gabrielle voyait très bien que quelque chose avait changé et qu'Armand disait cela pour se rassurer ou pour relativiser... Il pouvait très bien avoir raison sur quelques points. Mais ce n'était pas lui qui avait entendu cette voix dans sa tête, qui l'avait vécu. C'était vrai.

— Peut-être... » concéda-t-elle.

Elle pouvait parfaitement entendre que cela puisse être perturbant. Gabrielle repensa à Rose-Marie, puis à Marguerite qui lui avait parlé de sorcières, le tueur nocturne y passa, ainsi que le Docteur Courtois. L'univers entier semblait lui envoyer un message, lui indiquant que ce qu'elle avait toujours pensé être vrai pouvait tout aussi bien ne pas l'être... De la magie ? Des êtres surnaturels ? Cette femme était une véritable médium, à n'en pas douter.

Alors qu'est-ce qui était vrai ?

Alors qu'ils venaient de revenir au bar de l’hôtel, Gabrielle aperçu Pierre, debout à côté de leur table. Tout son corps transpirait la colère, l'agacement. Cela se confirma immédiatement quand il les aperçu et sauta sur Armand pour lui parler.

« Ou étiez vous ? Je vous cherchais, puis sans attendre de réponse, il enchaina. Courtois a été muté... il n'est plus à Paris.

Armand fronça les sourcils.

— Tu es sur de toi ?

— Formel, déclara Pierre.

— Alors ça... Il faudrait passer à l’hôtel de police voir ce qui s'est passé. 

— Allons-y. Gabrielle tu vas rentrer. Je t'ai déjà fait appeler un fiacre.

Sans attendre de réponse, Pierre tourna les talons pour y aller. Armand soupira d'agacement.

— Je suis désolée que notre sortie ne s'arrête aussi abruptement. N'oublie pas pour le ballet.

— Sans faute... » répondit Gabrielle, un peu sonnée par l'enchainement des évènements.

Et Armand disparu à son tour, se pressant pour rejoindre Pierre.

Le docteur Courtois avait été muté ?

La petite voix dans sa tête s'alarma de cette nouvelle, semblant presque lui pointer du doigt les évidences qu'elle avait sous le nez mais qu'elle n'arrivait cependant pas à comprendre.

A suivre...

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