Chapitre 5

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Chapitre 5 :

Gabrielle retourna chez Armand le soir-même, comme convenu. Pierre lui avait fait envoyer un fiacre, et ce ne fut pas pour lui déplaire, car elle n'avait pas spécialement envie de paraître intéressée par les passions futiles de son fiancé ou encore par ses prises de positions à la Chambre de députés. Pour l'occasion, Gabrielle, vexée, avait trouvé sa plus belle tenue et dans un élan de superficialité qu'elle ne se connaissait pas, avait prit un temps tout sauf raisonnable pour s'habiller et se préparer.

Une fois sur place, Louise la fit monter dans un salons. En un coup d'œil, elle repéra Armand qui se tenait sur un sofa bleu nuit, en compagnie d’un homme d’une belle stature ainsi que de Pierre. Il lui aurait presque fait de l’ombre. Armand leva les yeux et les posa immédiatement sur Gabrielle. Un petit sourire s’étira sur ses lèvres et il se leva pour l’accueillir.

Là, elle su, il n'y avait eu aucune nécessité de se vêtir de la sorte, ils n'allaient pas sortir, ni visiter du beau monde, non. Armand recevait simplement le médecin informellement. Il avait sauté sur l'occasion pour la provoquer et elle, dans un excès de vanité, n'avait pas marché, mais couru dans le piège qu'il lui avait si grossièrement tendu. La colère lui brûlait tout le corps, elle n’avait qu’une envie: lui sauter dessus pour l’insulter de tous les noms. Armand présenta Gabrielle au Docteur Eugène Courtois, et soudain son cœur s’allégea quelque peu en le découvrant.

« Gabrielle ! Je ne m'attendais pas à vous trouver ici ! S'exclama le médecin.

— Vous vous connaissez ? Demanda Pierre.

— Je connais très bien Alphonse Deslante, l'oncle de mademoiselle. Nous avons souvent travaillés ensembles et j'ai pu rencontrer Gabrielle à plusieurs reprises durant son enfance. »

Gabrielle confirma, souriante, et soulagée de le voir lui.

Eugène Courtois était d’une grande taille, il surplombait Gabrielle d’une tête au moins. Ses cheveux blonds étaient coiffés d’une raie sur le côté et ses yeux étaient bleus, très foncés. C'était un bel homme, de, maintenant, une cinquantaine d'années. Il avait toujours été très agréable, souriant et gentil avec elle.

Gabrielle fut installée entre Monsieur Courtois et Armand. Celui-ci ne cessait de la regarder, ses épaules, la naissance de sa nuque, les cheveux bouclant dans son dos. Furieuse, elle se drapa un peu mieux de son châle pour éviter ses regards mal placés. Armand lui sourit de nouveau avant de se pencher vers elle discrètement. 

« La colère vous va très bien, il va me falloir me retenir de vous provoquer à l’avenir.» 

Les hommes avaient commencé à discuter de leur affaire et Gabrielle dû se mordre la lèvre pour ne rien rétorquer à son voisin de table. Louise vint leur apporter des boissons, portant avec une élégance discrète son plateau en argent, où trônaient quatre verres à pieds remplis de vin rouge. Puis son attention fut attirée vers le dossier du docteur Courtois, un coup de fouet d'énergie déferla en elle, réalisant qu'il s’agissait de photos.

« Voilà tout ce que nous avons pour le moment. Ce sont les photographies que j'ai pu prendre sur les scènes de crimes et les corps de certaines victimes.

— Je me permets... fit Pierre en prenant les photos. 

Gabrielle se pencha vers lui pour voir un peu mieux.  Le corps d’un homme reposait sur le carrelage sale de la cuisine. Les yeux grands ouverts, la bouche un peu racornie et les lèvres figées dans une expression inhabituelle. Le malheureux était raide et semblait incroyablement pâle, bien qu’elle ne puisse en être parfaitement sûre, les photos étant en noir et blanc. 

— Voyez: son corps était parfaitement froid, modérément raide, ce qui nous permet de dater avec certitudes qu’il est bien mort pendant la nuit. Sûrement aux alentours de 3 heures du matin, expliquait le Dr Courtois en faisant passer les comptes rendus de l’autopsie. 

Armand et Pierre écoutaient attentivement tout en examinant les photos. 

— Rien n’a été retrouvé autour ? demanda Pierre en prenant des notes. 

— Si, et c'est là que les choses commencent à devenir intéressantes.

Le médecin sorti une nouvelle liasse de photos et de croquis, en sélectionna quelques uns pour les donner à ses hôtes.

— Regardez-ça. Les signes ont été tracés avec du sang, mais aussi de la craie.

Gabrielle resta sans voix car une sensation étrange avait envahit son corps. Elle avait du mal à garder les yeux fixés sur les photos. Elles représentaient des symboles, ou bien encore des signes, qui avaient été dessiné sur les murs, le sol, ou encore directement sur le corps des victimes.

— Ce sont des runes magiques qui sont en lien avec des sorcières.

Pierre commença à rire, puis se calma en voyant l'air tout à fait sérieux du médecin face à lui.

— Vous n'êtes pas sérieux ?

— J'aimerai sincèrement ne pas l'être, soupira le médecin. Les runes n'ont pas été trouvées sur toutes les scènes de crimes, mais elles reviennent de façon régulière, sans récurrence précise.

— Et comment êtes vous arrivés à la conclusion que ces signes pouvaient être en lien avec des sorcières ? Demanda Armand, semblant à moitié agacé.

— J'ai d'abord fait quelques recherches, puis j'ai questionné des personnes autour de moi. De fil en aiguille, je suis remontée jusqu'à une femme qui prétendait être une sorcière.

— Vous vous fichez de nous, Courtois ? Demanda Pierre, absolument pas impressionné ou amusé.

— Je sais que cela semble étrange. Et je ne suis pas encore sûr de mes affirmations, ma source n'était pas peut-être pas sûre. Mais malgré tout, je ne sais pas si vous avez eu la même sensation que moi, mais … j'ai du mal à regarder ces runes. Physiquement, je veux dire.

— Oui moi aussi j'ai eu cette sensation, intervint Gabrielle.

Ses trois vis-à-vis tournèrent le regard vers elle, visiblement étonnés qu’elle prenne la parole. Cette réaction mit Gabrielle plutôt mal à l’aise. 

— C'est vrai... Moi aussi, souffla Pierre, résigné.

— Il va falloir que je réussisse à éclaircir cette affaire, car je pense que c'est un indice clef dans notre affaire.

Armand avait reprit les premières photographies, les feuilletant.

— Pour revenir sur des faits dont je peux attester la certitude, les victimes sont tous très différentes, sans points communs physique, ou encore dans leur vie passée.

Gabrielle, nerveuse, continuait à jeter des coups d’œils réguliers aux photos qui passaient entre les mains de Pierre et Armand, une en particulier retenu son attention, elle l'emprunta à Armand avant de prendre la parole.

— Quelle était la taille de la victime? demanda Gabrielle.

Le docteur Courtois se pencha pour inspecter la photo et identifier la victime, il consultât rapidement son dossier pendant que Gabrielle reprenait la parole.

— Je demande cela, car l’homme a l’air corpulent. S’il était aussi de grande taille cela donnerai sûrement des indices sur son agresseur. Un tel homme ne pourrait pas être mis à terre par n’importe quel adversaire, prit-elle le temps d’expliquer 

Pierre eut un sourire à la fois charmé et intéressé. Ce genre de réaction la perturbait, parfois Pierre avait vraiment et sincèrement l'air de l’apprécier et d'autre, d'être excédé par sa simple présence.

Le docteur Courtois trouva l'information et pu lui répondre :

— Il était d’assez grande taille et devait peser aux alentours des cent kilos, sans souci. 

Armand ne disait rien, jouant avec un objet dans sa main. Sûrement une montre, dont le boîtier était recouvert d’une pierre noire avec de petites taches blanches, comme des flocons de neige. 

— Vous adhérez à la théorie qui voudrait que le tueur boive le sang de ses victimes ?

Le docteur Courtois eut un long soupir. Son regard et son expression en dirent soudainement très long sur son opinion, bien plus que les mots qui allaient sortir de sa bouche.

— Oui, hélas. J'ai tout fait pour éliminer cette théorie. Etudié chaque cadavre, chaque blessure, inspecté les lieux du crime. Mais c'était la seule et unique option. Le sang n'a pas pu être extrait puis emmené, il n'y avait aucune trace d'aiguille, même dans les muqueuses les plus improbables. Les corps n'étaient pas déplacés. Ils meurent souvent dans leur lit, en pleine nuit pendant leur sommeil. Et quand cela arrivait encore dans la rue, il s'agissait de personnes dormant sous des ponts ou des taudis, on les retrouve sur place. Le médecin soupira, frottant ses sourcils d'un geste las. J’ai tout essayé, tout imaginé, il n’a pas de traces de blessures, pas d'ecchymose, pas non plus d'hémorragie interne, aucune trace d’aiguille pour faire sortir le sang via un système de saignée ou quoi que ce soit d’autre… Je les ai inspectés plusieurs fois, sous toutes les coutures, j’ai même rasé leurs cheveux, ainsi que les poils pour trouver la moindre trace. Mais rien… rien du tout. 

Dans la tête de Gabrielle, ça tournait à cent à l'heure. Des questions affluaient, sans aucunes réponses, en amenant d'autres, encore et encore...

— Très bien, donc le témoignage de la femme corrobore la théorie qui veut que le tueur boive le sang de ses victimes. Et donc boire autant de sang ? Comment ? Demanda-t-elle d'une petite voix.

— C'est un mystère, impossible de boire autant de sang. Il y a quelque chose qui ne va pas avec cet homme. Enfin, il se mit à rire nerveusement. Enfin, rien ne va, il n'y a aucune logique. Pourquoi boire du sang ? Comment le supporter ? Pourquoi ces meurtres sans mobiles ? Il n'y a pas de type de victime favorites. Les indices ne nous amènent vers personnes, aucune piste tangible. C'est un monstre qui tue pour se nourrir. C'est la seule et unique explication qui découle de tout ça.

Armand gardait toujours le silence, mais Pierre semblait bouillonner. Il tapotait ses doigts sur la table, brassant encore et encore les photos des corps.

— Je ne peux pas croire tout cela. Il y a forcément quelque chose qui nous échappe, grogna t-il.

— Je comprends votre scepticisme, Maître. Mais les faits ne mentent pas.

— Leur interprétation si ! S'exclama Pierre.

Gabrielle fronça les sourcils, elle comprenait que Pierre ne puisse pas entendre ce qu'il se passait, qu'il rejetait les faits. Mais au final, tout convergeait vers, hélas, cette théorie invraisemblable.

— Il n'existe pas dans la littérature des maladies mentales similaires ? De près ou de loin ? Demanda Gabrielle.

Le médecin fit craquer nerveusement son cou, et bu un peu de son vin.

— Je ne vais pas dire que tout existe dans la maladie mentale, mais presque. On a déjà vu des choses invraisemblables. La psychose fait parfois faire des choses dangereuses, bêtes... Mais aussi parfaitement monstrueuses. Alors pourquoi pas boire du sang ?

— Est-il possible avec de l'entrainement de boire autant ? Demanda enfin Armand, sortant de son silence.

— Je ne saurais même pas vous dire. L'estomac devrait se retrouver tellement distendu que la personne devrait être dans un état catastrophique. De plus, sil arrivait seulement à garder tout ce liquide, le corps commencerait à le digérer, à tenter d'en faire quelque chose. Sans rentrer dans les détails, le corps à son propre équilibre qu'il doit maintenir à tout prix : sa température, par exemple. Si le corps se retrouve avec toute cette quantité de liquide qu'il ne peut absorber, il devrait être assaillit de vomissements et de diarrhées. Il n'y a aucune logique médicale à ma connaissance qui expliquerait que cet homme puisse survivre à cela ne serait-ce qu'une seule fois.

— Et dans notre cas, nous croulons sous les cadavres... nota Armand.

— C'est pour cela qu'interviennent les runes et les sorcières, et ma théorie tout aussi abracadabrantesque, précisa Courtois.

— Qui soudainement serait la piste la plus probable, ajouta Pierre, à contre cœur.

— Exactement.

Le docteur Courtois semblait soulagé que son raisonnement soit comprit par d'autres que lui. Il n'était ni le seul à arriver à cette conclusion, ni prit pour un fou. Il termina son verre de vin d'une traite.

— Tout ceci évidement, est la conclusion en l'état actuel de nos connaissances. Cela pourrait changer à la moindre découverte.

— Ou le confirmer... souffla Gabrielle.

— Evidemment.

Un ange passa, laissant tous les convives pensifs et toujours dans une incertitude palpable.

— Est-ce que je pourrais obtenir une copie des dessins qu'on voit sur les corps ? Demanda Pierre.

— Des runes ? Oui, je pense que je peux faire ça. »

Sans attendre, le médecin prit une feuille blanche et un crayon pour commencer à griffonner des formes. Gabrielle fut étonnée de le voir faire ça comme ça, sans donner des cette tâche à un subalterne. Elle aimait bien son regard, sa façon de se tenir. Sans trop savoir pourquoi, il lui inspirait quelque chose de sympathique et digne de confiance. Peut-être était-ce dû au fait qu'elle le connaisse déjà ? Ce n'était évidement pas un ami proche, mais elle considérait que si son oncle avait prit cet homme comme ami, elle pouvait s'y fier. Une petite voix dans sa tête lui rappela que son oncle avait également choisi Pierre comme fiancé pour elle... Mais très vite, elle tenta de l'étouffer.

Tout occupé à dessiner, Armand reprit la parole et aborda un nouveau sujet, portant toujours sur l'affaire, mais cette fois sur des détails qui dépassait largement l’Intérêt de Gabrielle. Des discussions portant sur les personnes en charge de l'affaire, sur la rapidité ou non de ces acteurs à traiter les dossiers. Elle n'était n'écoutait plus vraiment et n'était focalisée que sur les mains d'Eugène Courtois qui recopiaient, de façon presque mécanique les runes. Quelque chose l'attirait dans ces formes. Il n'y avait aucun doute sur le fait qu'elle ne les ai jamais vu nulle part... Mais, comme les autres, quand ses yeux se posaient dessus, il se passait quelque chose.

Quoi ?

Son esprit avait envie de détourner les yeux, la contraignait à détourner le regard parfois une demi seconde. C'est comme si au fond d'elle, dans ses entrailles quelque chose se réveillait. Voilà qu'après avoir rêvé de Romy et parlé de sorcières avec Marguerite, le médecin légiste en charge de l'affaire amenait à nouveau ce sujet sur la table. Ce n'était pas un hasard, ça ne pouvait pas en être un.

***

Elle ne savait pas très bien comment elle s'était retrouvée ici. Mais les hommes s'étaient soudainement décidés pour visiter un des endroits où un meurtre avait eu lieu. Un restaurant, ou une taverne, quelque chose du genre.

Le chemin lui parut relativement rapide. Elle ne savait pas réellement où se situait ce restaurant, et plus elle s’éloignait des beaux quartiers, plus elle commençait à s'inquiéter. La nuit avait commencé à tomber, il faisait toujours assez bon, mais Gabrielle se mordait les doigts d'avoir choisi cette tenue... Mais le soleil couchant rendait le voyage très agréable malgré le fait qu’il s’éternisait. Elle pouvait alors profiter du paysage, admirer de loin les monuments, les rues bondées de piétons, les étrangers venus pour l’exposition universelle. Là un fleuriste, ici la boulangerie et ses divines odeurs de pain chaud, des bouquinistes, des peintres de rue, des musiciens. La vie était si paisible et appréciable dans Paris.

Doucement, elle voyait se rapprocher Montmartre et ses quartiers pauvres. Un peu plus loin, elle apercevait les rues non pavées, les enfants traînant devant les maisons à jouer aux osselets. Son inquiétude oscillait entre malaise et panique. 

Le fiacre s'immobilisa enfin, Boulevard de Clichy et Gabrielle sembla émerger d'un demi-sommeil, se rappelant la présence des trois hommes en sa compagnie qui n'avaient pourtant cessé de discuter pendant le voyage.

« Allons-y, c'est un peu plus haut.

Alors qu’il disait cela, Eugène montra d’un mouvement de tête l'établissement à deux pas, une taverne jouxtant un cabaret, et pas n’importe lequel “L’Enfer”. Sa devanture macabre fascinait Gabrielle autant qu’elle la dégoutait. Qu'est-ce qu'elle faisait là ...

— Viens avec moi.» lui sourit Pierre en l'aidant à descendre.

Gabrielle ne dit plus rien, elle prit le bras de Pierre et avança avec lui vers l’établissement. C’était une taverne qui semblait jouer de son emplacement pour se faire une clientèle. La décoration était si sombre, si lugubre… Il n’y avait que des chandeliers sur les tables, aucune lumière électrique. Ça et là des hommes discutant entre eux, il y avait bien des femmes, mais Gabrielle doutait fortement qu’elles soient clientes. Les décolletés plongeants et les robes légères en disaient long. Elle n’était pas pudibonde, mais l’idée de s’asseoir à une table ici la mettait mal à l’aise. Aux murs, elle pouvait voir des peintures, des petites gravures, représentant des scènes de femmes torturées, de démons dansants et de squelettes. De lourds rideaux de velours rouges ornaient les quelques fenêtres, au sol le parquet aurait eu bien besoin d’être ciré, ainsi que les tables. Le zinc du bar était, quant à lui, parfaitement brillant, mais également couvert des verres et de pintes des clients qui s’y amassaient. L’ambiance était très étrange, certaines personnes semblaient encore dans l’hystérie de la visite inhabituelle du cabaret, et d’autres parlaient tout bas, se regroupant. Au fond de la salle, un pianiste jouait une musique calme. 

Armand et le docteur Courtois rejoignirent l'homme qui tenait le bar, mais Pierre resta quelques secondes à l'entrée, debout, sortant un étui à cigares de la poche de sa veste, ainsi qu’une boîte d’allumettes. 

« Reste ici Gabrielle s’il te plait, ce n’est pas un endroit pour les femmes, je comprends ton intérêt pour l’affaire, c’est pour cela que je t’ai emmené avec moi, mais ne nous gêne pas s’il te plaît.»

Un sourire des plus faux s’étira sur le visage de Gabrielle en guise de réponse. Mais dans son esprit, de multiples phrases assassines fusaient, toutes prêtes à sortir. Et alors qu’elle voyait Pierre s’éloigner dans un nuage de fumée bleutée, elle eut soudainement très envie de partir. Elle n’avait eu aucune vengeance; oui, elle s'était bien habillée, mais pour quoi? Pour être, encore une fois, ridiculisée. Elle ne se sentait pas de répondre à Pierre, car bien qu'elle soit prête à répondre, il ne l'avait pas directement critiquée. Il lui demandait juste de rester un peu à l'écart. Voilà maintenant qu’elle était mise de côté alors qu’elle ne se sentait pas particulièrement de trop, ou gênante. Non, c’en était assez. C’était le moment de partir, elle s'expliquerait avec Pierre plus tard s’il le fallait, elle n’avait pas peur de lui. Au contraire, elle pensait bien que plus elle essaierait de se faire respecter, moins Pierre ne tenterait de lui marcher sur les pieds.

Elle serra son sac puis fit demi tour, ressortant de l'établissement.

Gabrielle avança sur le boulevard Clichy pour tenter de trouver un fiacre. La rue était follement animée et vivante, mais aussi incroyablement odorante. Les tavernes, bars, restaurants déversaient dans le boulevard ses groupes de fêtards et visiteurs saouls. Au milieu de la route circulaient fiacres, automobiles, chevaux et piétons en horde. Elle marcha d’un pas décidé, cherchant du regard un véhicule libre. Après avoir fait seulement quelques mètres, Gabrielle  su que sa tenue n’était pas du tout adaptée quand elle intercepta les regards appuyés des hommes mais également des femmes. Non, en effet, on ne pouvait pas dire qu’elle se fondait dans la masse, ce qu’elle portait était une tenue de gala. Et par ici, il n'y avait pas de gala.

Son malaise allait grandissant quand elle commença à se sentir suivie. Un homme se planta face à elle, l'arrêtant net. Sa taille était si imposante, il sentait la bière et la sueur. 

« Alors ma beauté, on est perdue? 

Gabrielle ne prit pas la peine de répondre et tenta de contourner l’homme, cherchant toujours un fiacre. Son cœur battait si fort dans sa poitrine qu’elle se sentait presque sur le point de défaillir. Le corset limitait sa respiration, et ce n’était pas de bon augure. 

—  Eh mademoiselle, partez pas comme ça! Qu’est-ce qu’une petite souris comme toi fait dehors toute seule? 

—  Laissez-moi tranquille. Je ne suis pas perdue.

L’homme avait posé sa main sur le bras de Gabrielle, tentant de la retenir par la force. D’instinct, elle ne se figea pas, mais riposta en tentant d’arracher son bras à cette emprise, l’adrénaline coulant à flot dans son corps. L’homme ne l’entendit pas de cette oreille et attrapa l’autre main de Gabrielle. 

— Oh là! Pas de ça chez moi…

Il se rapprocha très près de Gabrielle, mais alors qu’il n’était plus qu’à quelques centimètres d’elle, une main s'abattit sur l’avant bras de l’homme. 

— Si j’étais vous, Monsieur, je laisserais ma compagne tranquille.» 

Seul un cri sortit de la bouche du malotru, alors qu’il se tordait de douleur. Gabrielle tourna la tête et vit Armand près d’elle. Rapidement, il relâcha sa prise, laissant partir l’homme qui ne demanda pas son reste. Une vague de soulagement l’envahit.

« C’est précisément la raison pour laquelle je suis venu te chercher. Quand j’ai vu que Pierre venait sans vous, je suis revenu dans la salle. C’était une très mauvaise idée de vous laisser seule dans cet endroit. 

— Surtout dans cette tenue, précisa Gabrielle, levant les sourcils. 

— Je vous présente mes excuses. C’est ma faute. 

— En effet. 

— Venez avec moi, Gabrielle. 

— Pourquoi?

Pleine de défiance, elle se tenait toujours face à lui. Plantée dans son regard vert intense. 

— Je suis sûr que votre curiosité n’a pas été assouvie, et que vous souhaitez vous rendre dans cette cuisine. 

Gabrielle ne répondit pas, le cœur toujours affolé par ce qu’il venait de se passer, le sang ayant du mal à circuler jusqu'à sa tête. 

— Venez, et nous irons chez moi après. Je ne veux pas rester dans ce trou à rats et toi non plus. 

— Très bien.»

Gabrielle emboîta le pas d’Armand pour rejoindre la taverne, mais en chemin celui—ci l’attrapa pour ne pas la perdre. Gabrielle se laissa faire bon gré mal gré, s’accrochant à la main gantée de peau de chevreau noir. A l’intérieur, personne ne les regarda revenir et ils rejoignirent la cuisine. Une chaleur étouffante vint lui serrer la gorge, s’ajoutant aux odeurs de nourritures, d’humidité, de champignons et de sueur. Lâchant sa main, Armand sortit un mouchoir de sa veste pour le donner à Gabrielle alors qu’il la guidait vers Pierre et le Dr Courtois. Elle porta le tissu à son nez pour se protéger des odeurs, le parfum puissant d’Armand lui monta à la tête, divin.

Armand s’approcha de Pierre et lui parla à l’oreille, en même temps, son fiancé se retourna vers elle, visiblement contrarié puis approuvant de la tête. Il reprit alors sa conversation avec le Dr Courtois.

« Voyez par ici, il est impossible de fuir, il y a une issue dans la salle d'où nous venons, donc la salle de restaurant. Il y a une autre porte de l’autre côté donne sur une cour intérieure, elle sert à stocker des poubelles et aux employés pour fumer et prendre une pause. C’est sans issue, cela ne donne pas dans la rue. 

— Donc le tueur était dans le restaurant?

— Il y a toutes les chances, ou alors il venait de la cour, mais cela voudrait dire qu’il serait passé par une fenêtre de l’un des bâtiments alentour.

Pierre et le Dr Courtois inspectaient chaque élément de cuisine, à la recherche du moindre indice oublié. Autour d’eux tout s’activaient, le chef cuisinier et ses seconds travaillaient dans un bruit épuisant. Les assiettes de volailles farcies, de pommes de terre et de pâté en croûte, tout un festival de plats lui tournait autour, prêts à être servis aux clients affamés. La crasse ambiante était des plus repoussante, comment une cuisine pouvait être tenue de la sorte? Gabrielle sentait le sol coller sous ses chaussures…

Le docteur Courtois les invita à le suivre pour sortir de la cuisine. Il se dirigea vers la petite porte dans le fond de la pièce pour rejoindre la cour intérieure. Gabrielle ne se fit pas prier pour les suivre et respirer un peu d’air frais. 

— En effet, arriver par ici pourrait être possible mais il faudrait faire preuve d’une détermination sans faille et d’une volonté de tuer incroyable … commenta Pierre

La cour était toute petite et la première fenêtre accessible était à environ quatre mètres de hauteur. Un saut était possible depuis là, mais il aurait fallu passer par les logements adjacents. 

— Les voisins ont été interrogés ? demanda Pierre 

Le Docteur Courtois ouvrit son dossier de l’enquête, feuilletant. Armand ne disait rien, il regardait simplement tout ce qu’il se passait, droit, impassible. Gabrielle, encore sous le coup du stress de l’incident, avait encore le ventre un peu serré, mais l’intérêt qu’elle portait à l’affaire était trop fort et l’aidait à se changer les idées. 

— Tous. Personne n’a rien vu, ils étaient tous chez eux au moment des faits et dormaient… à cette heure de la nuit, il n'y a rien de surprenant. 

— En effet … 

Ils retournèrent dans la cuisine, Armand restant dans l’encadrement de la porte pour laisser rentrer de l’air frais. 

— Avec cette saleté on aurait forcément retrouvé du sang et des traces … soupira le Dr Courtois. 

— Effectivement. »

Le Docteur Courtois soupira longuement tout en souriant, il était réellement épuisé, l’ambiance de la cuisine semblait lui peser sur le moral. Pierre ne semblait rien arranger, il n’avait fait que poser question sur question sans laisser de répit à l’homme. Tous retournèrent dans la salle de réception de la taverne, s’asseyant rapidement afin d'y prendre un verre avant de partir. Gabrielle hésitait à tremper ses lèvres dans son breuvage (qui ressemblait à du vin qu'on aurait coupé avec de l'eau). Après avoir vu l’état de la cuisine, elle n’avait ni confiance en la propreté du verre mais également en la qualité de ce qu’elle allait boire. 

Pendant encore quelques minutes Pierre prit des notes sur ce qu’ils avaient vu et conclu, Armand l’aidant à remettre le tout en place. 

« Mademoiselle, Messieurs, ce n’est pas que votre compagnie m’est désagréable, mais je passe de très longues journées et j’aimerai rentrer me reposer. 

— Je vous en prie docteur, nous vous remercions pour vos précieuses informations. Nous allons prendre contact également avec l’inspecteur chargé de l’enquête, déclara Armand, se levant pour l’accompagner. 

— Très bien, j’espère que nous allons pouvoir avancer dans cette affaire cela devient interminable. »

Le Dr Courtois serra la main de Pierre et Armand avant de saluer rapidement Gabrielle, puis de s’en aller. 

« Rentrons chez moi, cet endroit m’exaspère, j’aspire à un peu plus de calme. »

Pierre approuva la proposition d’Armand avant qu’ils ne rejoignent tous l’extérieur de la taverne. Pierre était venu avec Armand dans sa voiture à moteur, ils durent se serrer sur la banquette pour s'installer tous les trois dans le véhicule avant de prendre la route. Coincée entre Armand et Pierre, Gabrielle regardait la route défiler et Paris briller dans la lumière du soir. 

A suivre...

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