3 - Call me, maybe

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Tommy avait passé une excellente nuit, bien meilleure que toutes celles qu’il avait pu passer depuis un moment. Plus tendu par son travail et trop épuisé pour trouver un réel repos dans ses courtes nuits que par un réel manque de confort : si son appartement n’était pas des plus cosy, il restait tout de même agréable. Sans doute que des gens comme le docteur Baker et ses camardes trouveraient que l’endroit était d’un inconcevable manque de goût et totalement vétuste, mais Tommy ne le trouvait pas particulièrement déplaisant non plus. C'était chez lui, tout simplement.

Il était composé de trois pièces, d’une salle de bain et de toilettes. En ouvrant la porte de l’appartement, vous tombiez sur un petit vestibule, donnant sur une pièce qui pouvait sembler assez spacieuse. Elle comportait le salon et la cuisine, séparée par un bar contre lequel se tenait des chaises. Un canapé avait été posé dans le prolongement du mur du vestibule, donnant l’impression d’une séparation entre le salon et les portes menant aux autres pièces. Une table basse avait été installée face au canapé, et deux bibliothèques - qui semblaient tenir debout grâce à la volonté divine - tapissaient l’angle du mur. Il ne possédait pas la télé. La cuisine, assez petite, était proprette. Une porte sur la droite, la plus proche de l’entrée, menait au bureau qui lui servait également à faire développer ses photos. La pièce semblait minuscule à cause du secrétaire qui prenait énormément d’espace, ainsi que de la table et des fils de linge suspendu dans un coin pour ses clichés. En face se trouvait les toilettes (il avait la chance d’en posséder) ainsi que la salle de bain. Enfin, au niveau de la cuisine se trouvait la porte menait à sa chambre, sur le même mur que son bureau.

C’était là qu’il se trouvait encore, ce matin, ouvrant les yeux sur son plafond couleur bois assez clair et tâché par le temps. Un petit lustre pendait, et les fils auraient pu en inquiéter quelques-uns, mais tant que ce n’était pas dangereux il n’allait pas payer un électricien pour un peu d’esthétisme. Contre un mur étaient adossé une commode et une armoire et, sur le mur d’en face, sous la fenêtre, son lit. Une place et demi, non loin du chauffage, avec un matelas d’assez bonne qualité (du moins, il plaisait à son possesseur). Un sourire s’étira sur les lèvres de Tommy à son réveil, alors qu’il n’avait même pas besoin de se lever pour ouvrir le rideau et observer le ciel clair entre deux hauts bâtiments tutoyant les nuages. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait frais, reposé, en pleine forme. Une excellente nuit, donc, et il ne savait pas qui remercier pour cela. La soirée, le docteur Baker, ou tout simplement Stanley qui lui avait donné une journée de « congés payés » pour préparer son apparition de la veille ?

Quoi qu’il en soit, après avoir jeté un coup d’œil à son réveil, il ferma les yeux avec délectation avant de s’étirer. Il avait encore un peu de temps avant de devoir partir travailler, et cette journée s’annonçait des plus agréables. Il se leva du lit pour faire couler l’eau du bain, avant d’aller préparer son petit-déjeuner. Il était guilleret lorsqu'il attrapa son assiette – bacon et pancakes – qu’il déposa sur un plateau sur lequel trônait déjà un café. Il se dirigea ensuite vers la salle de bain. Posant le plateau sur une chaise accolée à la baignoire, il se glissa dans l’eau avec un ravissement non feint. Lorsqu’il eut terminé de faire trempette, puis de se préparer, il se dirigea vers son lieu de travail, assez rapidement.

« Eh, bel homme. »

Tommy releva rapidement la tête en rougissant un peu, trop occupé à réfléchir à son article pour avoir remarqué Brittany. Elle avait ses lunettes posées au bout de son nez et les bras chargés de dossiers. Il cligna des yeux en s’arrêtant, avant de lancer un rapide regard autour de lui, ce qui la fit légèrement rire :

« C’est bien à toi que je parle ! Ne prend pas cet air choqué, je ne suis pas la seule à le penser.

- Hm… Laisse-moi porter ça, » plutôt que de dire des bêtises - n'osa-t-il pas rajouter.

Brittany le laissa galamment prendre les dossiers, et le mena jusqu’au bureau d’Evans. Elle venait de les classer pour lui. Il n’avait plus qu’à vérifier, signer, il ne savait quoi – faire son job de chef de leur étage, en somme. La jeune femme n’avait de cesse de le complimenter, ce qui gênait Tommy plus que cela ne le flattait réellement : il ne savait pas parler aux femmes et il ne savait pas comment la complimenter en retour. Il avait peur – et honte – que cet incapacité ne cache quelque chose de plus grave, de plus viscéral. Le reporter souffla de soulagement lorsque Stanley apparu dans son bureau, congédiant Brittany en demandant à Tommy de rester avec lui.

« Alors, comment ça s’est passé ?

- Oh, hum. Plutôt bien, il me semble.

- Vous avez pu faire des connaissances ?

- Quelques-unes, oui.

- Le Docteur Baker ? »

Tommy hocha la tête avec un sourire en lui répondant, avant d’ouvrir son répertoire dans le but de montrer assez fièrement la carte de visite de sa cible. Mais il changea rapidement d’avis, rougissant légèrement en remarquant que le chirurgien avait griffonné « Call me, little jellyfish ». Il referma un peu sèchement son carnet pour reprendre ses esprits : ça ne voulait rien dire, c’était le code pour qu’il puisse être sûr de l’avoir. Parler de la méduse pour faire passer son appel en priorité. Il n’y avait rien de sous-entendu là-dedans, il n’y avait que lui pour voir ça parce qu’il était… Détraqué. Malade. Et qu’il pensait trop à ça pour guérir un jour. Il devait cesser d’avoir peur pour rien, de s'emballer pour rien, de craindre qu'on ne le soupçonne pour rien, et il pourrait s’en sortir.

« Hum. J’ai laissé sa carte de visite chez moi, mais il m’a dit de l’appeler. J’ai noté ses coordonnés… Je pourrais écrire un article sur lui, ce qu’il fait.

- Vanter ses capacités, aussi. C’est le meilleur dans son domaine.

- J’avais cru comprendre. » fit Tommy avec un petit sourire crispé.

Pas que la compagnie de Stephen Baker soit désagréable, mais il était difficile de passer à côté du fait qu’il était effectivement le plus doué comme il était impossible de passer à côté de son ego. Information qu’il ne devrait certainement pas partager dans un quelconque article pour éviter de s’attirer les foudres de cet élégant médecin. Stanley l’observa, les doigts croisés devant ses lèvres. Il semblait réfléchir, le sonder. Tommy restait calme, attendant un verdict qui ne tarda pas à arriver :

« Appelez-le.

- J’y comptais bien-

- Tout de suite.

- Il doit travailler, non ?

- Allez dans votre bureau et appelez-le. »

La discussion était close, Stanley s’étant levé pour lui ouvrir la porte. Tommy obtempéra et se rendit dans son bureau, avant d'attraper le téléphone. Il hésita un instant, observant la carte de visite avant de se décider. Ce fut en effet une voix fluette qui lui répondit, loin des tons graves et virils qui composaient celle du chirurgien. Il parla, comme convenu, de la méduse, mais ne put avoir le docteur immédiatement car il était en train d’opérer. Avec un léger soupire lorsqu’il eut raccroché, il attrapa sa machine à écrire, ainsi qu’une feuille et un crayon de papier, pour noter au brouillon le plan de son article avant d’en taper une première version. Il avait du mal à masquer son impatience, et se sentait à un tournant décisif de sa vie. Son "sonar" était encore à l’œuvre mais cette fois, il n’appréhendait pas : il était heureux.

Lorsqu’il rentra chez lui, le soleil se couchait à peine. Il se laissa tomber avec soupir de soulagement sur son canapé, avant que le téléphone ne sonne. Un grognement étouffé passa ses lèvres tandis qu’il devait se relever pour attraper le combiné : mais son agacement s’envola aussi vite qu’il était arrivé lorsqu’il entendit la voix trop attendue, trop désirée, au bout du fil.

« Tommy ? »

Il pinça les lèvres pour retenir un frémissement. Il lui semblait étrange d’entendre son prénom avec ce timbre de voix – et bien trop agréable. Mais c’est vrai qu’il lui avait demandé de l’appeler Tommy, par habitude.

« Docteur Baker ?

- Ma secrétaire m’a dit que vous aviez appelé.

- Oui, en effet. Merci de m’avoir rappelé.

- Je vous l’avais dit. » souffla le chirurgien. « Je peux vous proposer un rendez-vous ?

- Un ren… Oui, oui, bien sûr ! Comme ça vous arrange.

- Samedi, Central Park.

- J’y serai !

- J’espère bien, ne me faite pas perdre mon temps pour rien. »

Tommy n’eut pas le temps de répondre à cette fustigation, et pinça les lèvres. Avant de sourire. Au moins, il avait eu ce qu’il désirait – et il attendait à présent samedi avec impatience. Ce n’était pas si long que ça : trois petits jours, deux petites nuits. Et il aurait l’occasion de le revoir.

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