4 - Saturday Day Fever

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Son sang pulsait jusque dans ses tempes, ses joues : il avait le cœur au bord des lèvres. Aujourd’hui, sa vie prenait un autre tournant. Sa carrière prenait un autre tournant. Des nouvelles opportunitées se présentaient à lui grâce à un homme, celui qu’il allait rencontrer dans le parc. Gagner en notoriété n’était pas un luxe dans l’industrie du journalisme ; et si cela pouvait lui faciliter la vie… Sans penser à obtenir une rémunération plus élevée, son salaire lui permettant tout de même de vivre convenablement, mais il ne cracherait pas sur moins de contact humain inconnu, moins de mise en avant de sa personne. Tommy avait enfilé ses plus beaux vêtements. Du moins, les plus élégants qu’un homme tel que lui pouvait posséder, ce qui ne devait pas correspondre à l’élégance attendue par le chirurgien ; mais il n’avait rien d’autre. Il y avait pensé tout le reste de la semaine, et samedi ne lui avait jamais semblé aussi loin. Maintenant qu’il y était, le reporter était aussi impatient de se rendre à ce rendez-vous qu’il en était terrifié. La pression pesait sur ses épaules aussi sûrement qu’un sac rempli de plomb : il avait l’impression qu’on en attendait trop de lui, qu’on surestimait ses capacités. Quelques exercices de respiration pour retrouver son calme, et il était sorti.

La journée s’annonçait assez belle. Plutôt ensoleillé, un beau ciel bleu s’étendait au-dessus de New York. Parfois, un nuage ou deux passaient paresseusement devant le soleil, porté par la brise qui agitait les feuilles des arbres. Malgré ce temps radieux, les citadins n’étaient pas trop de sortie. L’hiver venait tout juste de laisser place au printemps, et les températures restaient encore assez basses. S’il n’y avait pas foule à Central Park, ce n’était pas Tommy que cela allait déranger. Il marcha quelques minutes dans le parc, profitant de la verdure environnante, avant de se rendre à l’endroit convenu. Le chirurgien l’y attendait déjà, accoudé à une rambarde bloquant l’accès à l’eau. Il semblait perdu dans ses pensées, son regard navigant sur la surface lisse de l’étang. Il prit un moment pour le détailler, avant de secouer légèrement la tête en réduisant la distance qui les séparait par de grandes enjambées.

« Monsieur Baker !

- Ah, vous voilà enfin. »

Tommy garda son sourire avant de lancer un rapide et discret coup d’œil à sa montre, ayant soudainement peur d’être en retard. Pourtant, non. Son regard n’échappa pas au chirurgien qui se redressa en lui serrant finalement la main, semblant le détailler des pieds à la tête ce faisant. Le jeune homme ne savait pas trop comment prendre cela ; il ne devait certainement pas être à la hauteur de l’élégance et de la prestance de Monsieur, mais il avait fait le plus d’efforts possibles. Il avait passé certainement plus de temps à sa salle de bain pour se préparer que Brittany ne devait le faire. Une première.

« Non, vous n’êtes pas en retard, ne vous inquiétez pas, mais j’aurai apprécié que vous le soyez si cela avait pu m’éviter la vue de ces… Chiffons légèrement améliorés.

- Je-Je-Je… »

Tommy se tu finalement. Stephen n’avait peut-être pas envie de le voir, après tout, pas avec ces vêtements qui semblaient l’indisposer. Cela donnait-il réellement une mauvaise image du docteur que de le voir en présence d’un homme de classe moyenne ? Il n’était pas un ouvrier, tout de même. L’homme glissa une main sous le coude de Tommy pour l’entraîner plus loin, en direction d’un banc qu’il inspecta rapidement avant de s’y asseoir, invitant le jeune homme à en faire de même.

« Disons, c’est un peu plus présentable que les guenilles de la dernière fois, mais vraiment, à peine plus.

- … Merci ? » demanda timidement Tommy avant de croiser le regard interrogateur de Stephen. « Je peux vous poser des questions ?

- Oui, je suis seul. » Il esquissa un sourire ; « Et oui, je suis naturellement doué, un génie depuis… Ouh… Si je disais depuis ma naissance, je passerai pour quelqu’un de terriblement hautain et présomptueux, mais je pense que nous sommes proches de la réalité. »

Tommy – qui avait sorti un carnet et un stylo pour griffonner les paroles du docteur Bker à vive allure – s’arrêta net, éberlué.

« Et vous cherchez quelqu’un, actuellement ? »

La question était sortie toute seule, sans qu’il n’y prenne garde. Il lui fallut faire un effort surhumain pour ne pas devenir rouge pivoine, mais ses joues s’empourprèrent légèrement malgré tout. Stephen arqua un sourcil en le détaillant, avant de laisser son sourire en coin s’étirer, l’air plutôt amusé, et décida de jouer un peu :

« Oh… Il se peut que j’ai déjà trouvé, en réalité.

- Oh ? » Le reporter tenta de garder un air neutre, mais il était trop curieux, et pas uniquement pour son article. « Une Madame Baker à venir, alors ? »

Stephen posa doucement ses mains sur le carnet de Tommy, le forçant à l’abaisser. Un sourire taquin avait pris place sur ses lèvres, et son regard était amusé. Il semblait sonder le jeune homme, qui ne se sentait pas spécialement à l’aise à cet instant ; mais cela semblait être un jeu pour le plus âgé.

« Mais rien n’est encore fait. Ce n’est qu’une supposition, vous savez… Un coup de cœur. Il faut le travailler, maintenant. Ce n’est pas si simple, c’est une implication sur le long terme, cela ne se prend pas à la légère… Il faut être sérieux, avec ce genre de choses, vous n’êtes pas d’accord ? »

Tommy cligna des yeux. Il était comme paralysé, prêt à imploser, à redevenir l’homme timide et introverti qu’il était lorsqu’il ne travaillait pas. Il n’était encore qu’un jeune homme naïf et plein de rêves que des paroles comme celles-là entretenaient, faisaient briller. Et il se plaisait à rêver qu’une chose aussi douce, qu’un amour qui lui semblait si pur puisse lui arriver un jour. Innocent, crédule, il tomberait facilement dans le piège si on lui en tendait un. Et il aimerait être une femme ouvrant ses bras à cet homme qui affolait ses sens malgré lui et le mettait dans tous ses états… Même si, actuellement, la situation semblait terriblement gênante. Le reporter pris son temps avant de répondre, tâchant de se calmer pour ne pas se mettre à bégayer et buter sur ses mots.

« Si. Si, je suis d’accord avec vous.

- Alors, posez ce carnet, puis posez vos questions. Ne notez pas tout ce que je dis, parlons simplement, et faite votre article sur l’impression que je vous donne. Il sera aussi sincère que vous donnez l’impression de l’être. »

Rassuré, touché par les paroles étonnement aimables qui lui étaient adressées, Tommy s’exécuta, quoi que légèrement sceptique. Il n’avait pas assez confiance en lui pour pouvoir croire qu’il serait capable d’écrire un article convenable sur le docteur, mais l’expérience lui plaisait.

« Et s’il vous manque des informations, cela nous donnera l’occasion de nous revoir. »

Tommy cligna des yeux, et sourit enfin en rangeant son carnet et son stylo :

« Faisons comme ça. »

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