2 - Long live the Turritopsis Nutricula !

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Son cœur battait la chamade tandis qu’il réajustait son nœud papillon, réarrangeant une dernière fois ses mèches de cheveux rebelles, les domptant avant d’être à peu près satisfait de son image. Un taxi allait arriver pour lui d’ici quelques minutes, il n’avait plus de temps à perdre : Tommy dévala les marches des deux étages de l’immeuble dans lequel il vivait pour se retrouver sur le trottoir. Plié en quatre dans la poche de son costume d’occasion, son discours était prêt, peaufiné une grande partie de la nuit et de la matinée. Il avait passé le reste de la journée à s’entraîner à parler sans avoir l’air de lire son discours. Il n’en avait pas vraiment besoin puis qu'il était incollable sur le sujet…

Le taxi se gara devant l’entrée du bâtiment, peu de temps après que le jeune reporter en soit sorti. Il entra à l’intérieur du véhicule et donna l’adresse de la grande salle polyvalente qui servait à recevoir tout ce beau monde ce soir. Tommy faisait quelques lents et discrets exercices de respirations pour diminuer son stress, rester calme. Ce n’était pas la mer à boire, après tout, il s’agissait juste de faire un petit exposé et de rencontrer des gens. Un peu ce qu’il avait l’habitude de faire, en somme. Ca ne le changeait pas vraiment de son boulot habituel, si ce n’est que d’habitude ses reportages étaient écrits et qu’il n’avait pas besoin d’être plongé au milieu d’aussi éminents scientifiques. Lorsque le taxi se gara devant la salle polyvalente, sa gorge se noua un peu. Il ne pouvait pas reculer. Descendant du véhicule après avoir payé le chauffeur avec un pourboire, il réarrangea une dernière fois son nœud papillon et entra dans le bâtiment.

Tommy se sentit immédiatement de trop. Les costumes étaient trop guindés, les démarches trop altières. Il se sentait ridicule au milieu, avec son costume d’occasion, comme s’il n’avait été qu’un serf s’étant retrouvé par il ne savait quel hasard à danser au milieu des valses de la cour royale. Il avait l’impression qu’on l’évitait, ou que les rares personnes qui venaient s’enquérir de qui il était (et quoi, surtout) ne restait jamais très longtemps en sa compagnie. Son esprit n’était certainement pas assez aiguisé pour avoir l’immense honneur de pouvoir converser plus longtemps avec ces personnes-là. Il échappa un léger soupire lorsqu’il fut appelé sur scène, sortant nerveusement ses feuilles. Lançant un regard anxieux à l’assemblée, il commença à lire les premières phrases. De très légers raclements de gorges lui parvinrent, faisant des nœuds dans son estomac. Il ferma les yeux quelques secondes, pour mettre ses idées au clair. Puis il balança ses feuilles.

S’il manquait de modestie, il aurait jugé parfait son discours sur la Turritopsis Nutricula, mais il était juste un peu fier de lui. Il était fier d’avoir réussi cette épreuve et d’avoir su parler de la petite méduse dite « immortelle » sans hésitation et avec une expertise que lui seul maîtrisait. Il avait expliqué en quelle circonstance, et si aucune menace extérieur ne venait la tuer, celle-ci était capable de se régénérer pour revenir du stade de « sénior » à celui de « nouveau-né ». Il était assez fier d’avoir pu capter leur attention et de leur prouver que, s’il n’avait pas leur expérience ou leur intelligence, lui-même pouvait briller dans son domaine… Et même leur être utile.

Lorsqu’il descendit de l’estrade, il avait l’impression d’être un autre homme. Certains, trop fiers, continuaient à l’ignorer, mais d’autres venaient lui demander des précisions et lui poser des questions sur la fascinante créature qui semblait être ce qu’il manquait à beaucoup d’expériences pour réaliser le fantasme de la vie éternelle. Tommy le reporter refaisait surface, parlant avec une certaine aisance d’un sujet qu’il maîtrisait, rebondissant pertinemment sur d’autres. Il avait sorti son carnet d’adresse, récupérant quelques cartes de visites (Stanley allait être heureux), et les remerciait avec son sourire innocent et ses grands yeux bleus. Mais toute sa maîtrise de lui vacilla et manqua de s’effondrer à la vue d’un homme. Plus droit que les autres, certainement plus fier, il portait avec une élégance inégalable un costume trois pièces certainement hors de prix. Lorsque Tommy croisa son regard métallique, il détourna les yeux en s’empourprant légèrement.

Quelque chose se tordait dans son estomac, et il prit le temps d’inspirer et expirer calmement. Ce n’était pas le moment, pas le moment du tout que ses pulsions interdites et honteuses ne refassent surface. Pourtant, cela faisant longtemps qu’il n’avait pas trouvé quelqu’un si attirant. Allons, Tommy. Reprends-toi. s’ordonna-t-il, jusqu’à ce qu’une voix grave le fasse légèrement sursauter. C’était lui. Lui, qui venait parler à un simple reporter comme Tommy.

« Monsieur… Summerfield, c’est ça ? Beau discours. Très intéressante créature, cette Turritopsis Nutricula. Je suis le Dr Baker, enchanté.

- Appelez-moi Tommy. » lança-t-il par réflexe, en arrangeant un peu nerveusement son nœud papillon.

Le chirurgien lui lançant un regard, le détaillant des pieds à la tête avec une légère moue que Tommy ne parvint pas à identifier.

« Stephen. Mais Baker fera l’affaire, pour le moment. » Tommy tiqua légèrement à la fin de sa phrase, mais l'homme reprit : « Votre nœud papillon est bien fait, ne vous inquiétez pas. Quoi qu’il n’arrange absolument pas cet affreux costume, heureusement que vous êtes assez bon garçon pour arranger ça. »

Tommy déglutit un peu, ce qui arracha un sourire à Stephen. Il passa un bras dans son dos pour l’entraîner un peu plus loin, près des banquets, où il lui tendit une coupe de champagne. Le reporter s’en empara délicatement, essayant d’avaler ce que le chirurgien venait de lui dire sans perdre la face. Et sans s’effondrer ni partir en courant, rouge de honte.

« Etonnamment, je vous imagine plutôt en train de photographier ce canon… Le mannequin, là… Hilda, voilà, plutôt que de venir présenter quelque chose ici. Et, encore plus étonnant, vous êtes certainement le seul qui ait traité d’un sujet qui m’était inconnu et qui était excessivement intéressant.

- Je… Merci ?

- En dépit de ces guenilles, vous êtes intéressant. N’en doutez pas une seule seconde. »

Tommy rougit un peu plus en prenant une gorgée de champagne. Compliments ou reproches, il ne savait pas vraiment comment prendre les paroles de l’homme, comme il avait du mal à en détacher son regard. Il devait faire un effort. C’était Baker que voulait Evans. Il était donc l’objectif de Tommy. Son Saint Graal.

« On dit que vous êtes le meilleur dans votre domaine, et-

- Je le suis. Vous ne le croyez pas ?

- Si, évidemment que si, et- »

Stephen poussa à nouveau Tommy dans une autre direction, désirant apparemment ne pas partager le reporter et ses connaissances sur la « fontaine de jouvence ». Il l’entraîna vers la sortie, prenant le jeune homme de court.

« Après votre prestation, cela va devenir d’un ennuie pour quelqu’un comme moi. Nous pourrions discuter ailleurs… Peut-être un autre jour, aussi, il se fait tard. Où est votre voiture ?

- Oh, eh… Je-je-je » Tommy pinça les lèvres en essayant de faire cesser ses bégaiements, avant de reprendre : « Je n’ai pas de voiture. Je suis venu en taxi. »

Le Docteur Baker arqua un sourcil en le détaillant à nouveau. Il eu une légère moue qui semblait signifier qu’il se trouvait bête de ne pas l’avoir compris plus tôt.

« Je vous raccompagne.

- Oh, non, ne vous embêtez pas pour moi, je vais simplement appeler un taxi et-

- Non, non, j’insiste, vous n’allez pas payer quelqu’un pour vous conduire alors que je me propose pour le faire. Vous êtes entre de bonnes mains : si vous aviez un accident en taxi je m’en voudrais. Un peu. Et je ne pourrais certainement pas vous opérer car vous n’auriez certainement pas les moyens de vous payer mes services, mais passons. »

Tommy acquiesça légèrement. Il ne se sentait pas vraiment en mesure de refuser la proposition. Il n'en avait pas l’envie, pour tout avouer. Il monta dans la voiture, presque timidement, ayant peur de l’abîmer ou de la salir – de faire quelque chose qui puisse déplaire à son possesseur.

« Où vivez-vous ?

- Dans le Queens. »

Stephen lui lança un regard en coin, avant de démarrer la voiture. Sur le trajet, il parla plus que ne le fit Tommy, mais cela ne dérangea en rien le reporter, bien au contraire. Lorsqu’il se gara finalement devant l’immeuble, il observa le bâtiment avec une certaine perplexité. Cela devait lui sembler être un véritable taudis et Tommy se sentit honteux sans réellement savoir pourquoi. Il avait l’impression d’être jugé sans aucune pitié.

« Ce fut un plaisir. » fit simplement Stephen lorsque le jeune homme ouvrit la porte.

« Peut-être pourrions-nous nous revoir ? » répondit brusquement Tommy.

Au sourire en coin qui se dessina sur les lèvres du chirurgien, il baissa les yeux en se forçant de ne pas s’empourprer. Pourquoi réagissait-il comme ça ? Il secoua la tête pour se reprendre, oublier les erreurs qu’il avait pu commettre – on en commettait tous :

« Je veux dire, vous pourriez peut-être m’accorder… Une interview ? »

Stephen sembla réfléchir un instant, les mains sur son volant, détaillant son vis-à-vis. Puis son sourire s’adoucit légèrement, apparemment satisfait :

« Oui, pourquoi pas. Gardez ma carte de visite, vous n’avez qu’à appeler ma secrétaire, quand vous voulez. Dites que c’est à propos de la méduse, je saurai me souvenir que c’est… Prioritaire, on va dire.

-Merci. » souffla Tommy d’un air soulagé avant de sortir de la voiture.

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