Chapitre 2

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J'étais officiellement en vacances depuis deux jours. Nous étions début mai. Ce que m'avait dit ma grand-mère, resterai à jamais gravé dans ma mémoire. Pars. Et j'allais le faire, j'allais partir. Ma mère entra dans ma chambre alors que je rajoutai quelque affaires de toilettes dans ma valise. J'eus à peine le temps de la pousser sous mon lit.

—Qu'est-ce que tu fais cet après-midi ? me demanda-t-elle.

—Rien en particulier, pourquoi tu veux savoir ?

—Avec ton père, on a prévu un restaurant et comme on avait promis à Léo de passer le voir au parloir on se dit que tu peux y aller à notre place.

Elle m'avait dit ça sur le ton de la nonchalance, comme si, en réalité, elle ne me demandait pas mon avis. C'était un ordre caché. J'explosai :

—Mais ça va pas ! Vous pensez que je suis quoi ? Votre bonniche ? Je ne serai pas toujours là pour rattraper vos merdes ! Débrouillez-vous avec vos promesses en l'air ! Et de toute façon, je pense qu'il ne s'attend pas à ce que vous teniez parole. Vous êtes aller le voir une fois depuis qu'il est enfermé. Une fois ! Depuis trois mois ! Sérieusement, vous pensiez quoi ? S'il en a fini là, c'est parce que vous n'avez pas été capable de voir qu'il allait mal. Qu'il faisait des conneries. Qu'il se droguait, putain ! Je vous ai prévenus, à maintes reprises. Et vous me répondiez quoi ? Mais, tu racontes n'importe quoi Alex, occupe-toi de tes affaires. Et bien voilà, vous êtes content ? Démerdez-vous avec VOS affaires ! C'est votre fils, pas le mien !

Elle me regarda, éberluée. Ses yeux s'étaient ouverts en grands et sa lèvre inférieure pendait à quelques millimètres de celle supérieure. Je profitai de ce moment d'inattention pour claquer la porte devant son nez. Le bruit, violent, la réveilla et elle tapa des deux mains contre la porte comme une enfant qui réclame une sucrerie. Elle cria mon nom à plusieurs reprises et m'ordonna de lui ouvrir cette porte. Je ne l'écoutai pas, concentrée à finir ma valise avant midi. Cet incident avait fait naître en moi une poussée d'adrénaline et ma décision de partir cet après-midi me paraissait maintenant une évidence.

Vers 14 heures, alors que mes parents avaient finalement choisi de faire l'insurmontable effort d'aller voir Léo, j'étais seule à la maison, ruminant sans cesse les mêmes doutes et les mêmes espoirs. Tiendrai-je, seule, abandonnée au beau milieu du monde, le vrai, celui sans pitié ? Mais ce voyage ne serais-ce pas un nouveau départ, une façon pour moi de remettre les conteurs à zéro ? Je devais y croire. Alors je respirai un bon coup et fis une dernière fois le tour de mon appartement. Il n'y avait jamais rien eu qui me paraissait personnel, ici. Quelques cadres photos, tout au plus. Je me dirigeai donc vers l'entrée, où ma valise bordeaux m'attendait sagement. Je pris mes clefs, par simple précaution d'usage, parce que je pouvais me contenter de claquer la porte, comme le faisait si souvent mon frère, et ouvris la porte. J'entendis des voix montées par la cage d'escaliers. Merde. Mes parents étaient en train de rentrer, je n'avais pas prévu cette possibilité accablante. J'allais devoir leur donner une explication et, rien qu'à l'idée des possibles mots qui allaient sortir de leur bouche, mais aussi de la mienne, je frissonnai. Je fis comme si de rien n'était et descendis prudemment avec ma valise. On se croisa au palier du deuxième étage et je vis leur sourire s'évanouir en un rien de temps, comme s'ils venaient de prendre une douche froide. Ce fut ma mère qui rompit la première le silence :

—Tu comptais partir sans nous prévenir ? Et avec quel argent ? Où ?

Ce fut un torrent de questions auxquelles je n'étais absolument PAS préparée.

Un nœud se forma dans ma gorge et les mots y restèrent coincés. Les larmes me montèrent aux yeux sans que je puisse rien y faire. Lorsqu'elles arrivèrent à mes lèvres, je sentis leur goût salé, piquant, brûlant.

—Oui, oui je comptai sur votre absence pour partir, parce que je suis lâche et que c'est plus facile, l'argent je l'ai, je n'ai pas besoin de votre aide. Et où ? Où, je ne sais pas, je verrai, j'aviserai. Le plus loin que je peux. Dites à Léo que je suis désolée de l'abandonner à des parents pareils, dites lui que je l'aime et que j'espère qu'il me pardonnera.

Mon père me regarda, pantois. Il était doux comme homme, tendre, facile à convaincre, un peu trop peut-être. Je l'aimais énormément, mais ma mère empoisonnait sa vie et la mienne. Il ne voulait pas l'accepter, j'avais essayé de le prouver, mais il ne me croyait pas. Alors, si je m'étais trompée et qu'il était heureux de vivre avec elle et bien qu'il reste, je ne souhaitais que son bonheur. Mais moi, je ne pouvais pas.

—Désolée, dis-je tout bas, en le regardant dans les yeux, je suis vraiment désolée.

Je les poussai un peu pour continuer de descendre les escaliers. La main de mon père s'accrocha à mon bras et exerça une petite pression, avant de me lâcher. Je pris ça comme un encouragement. Mon pied se posa sur la première marche, puis sur la seconde. Je sentais leur regard dans mon dos, au milieu de mes omoplates. Je décidai de ne pas me retourner, de ne pas affronter de nouveau son regard. Je poussai la porte de l'allée qui grinça comme dans un ultime adieu. Je sentais mon cœur battre au milieu de ma poitrine. A chaque pas qui m'éloignait de mon ancienne maison, les ailes dans mon dos se déployaient un peu plus. Je pouvais presque sentir l'air entre mes plumes, entre mes doigts, entre mes cheveux. Le vent soufflait sur mon visage. Le soleil brûlait ma peau pâle.

*

J'arrivai à l'aéroport Charles de Gaulle vers 16 heures. J'allumai mon iPhone et cherchai un mappemonde. Fermant fortement les yeux, je traînais mon doigt sur l'écran. STOP! Mon doigt s'était arrêté sur une côte des États-Unis. Je savais quelle ville c'était, mais par précaution, je zoomai. New York. Pourquoi pas. De toute façon je ne me laissai pas d'autre chance. Je regardai l'écran des prochains décollages :

20:30 New York Air France AF1814 65-67 33

J'avais quatre heures et demie, si je prenais ce vol. Je me dépêchai donc de prendre un billet. Les prix étaient exorbitants, mais je ne reculai pas. J'avais donc environ deux heures à tuer. Je sortis de l'aéroport et flânai un peu vers les magasins alentours. Un d'eux attira mon attention et j'en poussai la porte.

—Bonjour, me dit une jeune femme avec un look pop et des cheveux de toutes les couleurs, je peux vous aider ?

Je réfléchis un instant et acquiesçai. Elle me montra un siège et je m'assis dessus.

—Je voudrais me couper les cheveux... et me faire des mèches.

—Vous voulez quelle longueur exactement ?

Je mis mes doigts au niveau de mes clavicules.

—Par là.

—Ah oui, me fit-elle en rigolant, vous souhaitez changer de tête quoi.

Elle m'amena une palette remplie de couleurs.

—Et pour les mèches, vous voulez quoi ?

Je réfléchis un instant, essayant de m'imaginer avec un carré. Je désignai un rouge tendant vers le rose.

—Parfais, et bien maintenant, détendez-vous et laissez faire la reine. Elle prit mes cheveux et plaça ses ciseaux. Peu à peu, mes cheveux tombaient sur le sol. Le poids sur ma tête s'allégea considérablement. Je décidai de fermer les yeux pour ressentir plus intensément les sensations.

—Et voilà, m'annonça ma coiffeuse, une heure plus tard, j'ai terminé.

J'ouvris prudemment mes paupières et regardai mon reflet dans le miroir. Une femme aux cheveux châtains-clairs, carrés, légèrement ondulés et roses dans les pointes me regardait. Ah non, c'était moi. Je rigolai à en avoir mal aux joues. Je regardai par terre et vu mes longs cheveux étalés sur le sol. Bon débarras. Je la payai et partis, toujours accompagnée de ma valise couleur carmin.

Une fois, de nouveau, à l'aéroport, je me dirigeai vers le comptoir d'enregistrement. Puis, vers les contrôles de sécurité. J'avais toujours craint ce moment. Pas parce que j'avais quelque chose à cacher, non, simplement... et bien... et bien... simplement... parce que simplement, ce moment me faisait peur. ZUT! Oui j'avais toujours été peureuse. Peureuse, mais courageuse. Et comme le disent souvent les films d'action américains : être courageux ne signifie pas ne pas avoir peur, ça signifie seulement qu'ayant peur, on y va quand même. Bon... pour en revenir à nos moutons, je posais donc ma valise sur le tapis et j'enlevai ma veste en jeans et mon portable et les mis dans les bacs en plastique. Je passai ensuite dans le cadre métallique qui... ne bipa pas sur mon passage! Quel miracle! Ma main récupéra rapidement ma valise et mes effets personnels et mes pieds prirent encore plus rapidement le chemin vers la porte d'embarquement 33. Attendre n'avait jamais été mon fort, mais je m'assis sur une chaise et attendis sagement mon tour d'entrer dans l'avion.

*

Je m'assis à mon siège, à côté du hublot. Depuis la fenêtre, je pouvais voir le tarmac et les hôtesses de l'air, menant les passagers vers les escaliers. J'avais une boule au ventre depuis que j'étais arrivée sur la douce moquette de mon avion. New York, je t'attends.

L'équipage nous salua, expliqua les mesures de sécurité et vérifia que nos ceintures étaient bien bouclées avant le décollage. Puis... le décollage. Cette sensation d'être collée au siège comme dans une voiture sportive, enfin, c'est ce que je m'imaginais, car je n'étais jamais montée dans une voiture de course. Une fois l'avion stabilisé, je respirai à pleins poumons. Je ne m'étais pas rendu compte que j'avais retenu mon souffle. Depuis quand le retenais-je ? Deux minutes ? Une heure ? Des semaines ? Des mois, voir des années ?

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