Chapitre 1

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—Donc, si nous prenons l'excellent exemple de Mlle Sturzo, on peut comprendre que chaque inconnue à plus de deux réponses...

Un bâillement m'échappa. Bon sang, pourquoi, connaissant mon si peu d'enthousiasme face à tout ce qui est lié de prêt ou de loin au mot «scolaire», j'avais choisi de continuer mes études, au lieu de faire ce que réellement j'aimais ?

Ah oui, ça y est, ça me revient ! Peut-être parce que je n'aimais rien dont je puisse un jour faire un métier stable. Enfin, stable du point de vue de mes chers et tendres parents. La lecture m'avais fascinée depuis mon enfance et l'écriture était arrivée à l'âge de l'indocile adolescence. Ces deux activités avaient été pour moi de réelles bouées de sauvetage. Pourtant, mes parents avaient voulu que je continue mes études, dans l'espoir qu'avec le temps je trouve un métier qui pourrait m'intéresser. Jamais ils n'avaient songé que je voulais faire de l'écriture, ma vie. Je ne suis évidemment pas assez orgueilleuse pour me dire que mon seul talent me servirait pour survivre. Mais j'avais une chance que peu de monde avait, l'argent. Grâce ou plutôt à cause de cela, je ne m'étais jamais vraiment remise en question. Alors la vie de femme libre et autonome financièrement parlant, me filait entre les doigts, cruellement, simplement par manque de perspective d'avenir. Aucun métier ne me paraissait assez important pour rythmer ma vie.

Alors je me retrouvais là, assise sur les bancs de l'Université des Lettres de Sorbonne, à souffrir du plus atroce des supplices, l'ennui.

*

Je m'assis dans le bus qui me ramenait chez moi. Chez moi. Là-bas. Dans ce petit appartement dans le 7ème arrondissement. J'avais la vue sur la tour Eiffel. Le centre d'intérêt de Paris. Cette construction de fer. Tassée, montant et pointant le ciel. Cette vision m'avait toujours étouffée autant qu'elle me permettait de rêver. D'espérer.

Je m'extirpai difficilement de mes pensées quand le bus annonça mon arrêt. Je me levai et me dirigeai vers la porte la plus proche. Un jeune homme me siffla et je lui lançai un regard si peu amène qu'il en rougit presque. Les jeunes de nos jours n'avaient plus de respect. Je marchai lentement jusqu'à mon immeuble. Mes pas étaient rythmés par la musique dans mes oreilles. Mes Converses vertes tapaient le sol avec force, cette même force avec laquelle je serrai ma mâchoire pour m'empêcher de pleurer. Pleurer comme ça m'arrivait si souvent ces derniers temps. Ces derniers mois avaient été éprouvants. Les problèmes paraissaient sans cesse vouloir m'anéantir : mon frère se retrouvait en prison pour être un récidiviste dans le vol à l'étalage, mes parents ne s'inquiétaient pas tellement de lui mais, en plus ils oubliaient souvent qu'ils avaient eu une fille avant lui. Ils avaient fait de mon enfance et de mon adolescence une torture. Jamais, ils ne m'avaient laissée faire comme les autres, jamais ils ne m'avaient donnée un tant soit peu de liberté dans mes choix et maintenant que j'avais passé l'âge de leur tenir tête, ils m'oubliaient. Je n'avais pas d'avenir tout tracer, je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie et comme si tout cela ne suffisait pas, j'étais une introvertie qui se faisait des amis tous les saint-glinglin. Les gens n'appréciaient pas ma présence. J'avais le regard trop dur et l'air trop mature pour eux. Je m'étais faite à l'idée de finir ma vie seule.

Je pris mes clefs et ouvris la porte. Mes parents n'étaient pas encore rentrés. Ils travaillaient tard, gagnant bien leur vie. Assez pour me permettre de louer un appartement pour l'an prochain. Je finissais mes études universitaires cette année. Je ne savais pas encore ce que je voulais faire comme métier, alors je m'accordais une année sabbatique, en France, à Paris, comme le voulait mes parents. J'aurais largement préféré voyager, mais ils ne semblaient pas y avoir pensé. Ils préféraient croire qu'un peu d'indépendance suffirait à faire taire mes rêves invraisemblables.

J'allumai ma radio, écoutant la même chanson que tout à l'heure et m'affalai sur mon lit. J'avais passé la journée à l'Uni pour réviser mes examens de fin d'année. J'étais vidée. Mon chat sauta et vint se blottir contre moi :

—Salut, ma belle Cendrillon, lui dis-je en m'asseyant et en le prenant dans mes bras.

En fait, il et non elle, s'appelait Cendre. Mais parfois j'aimais me dire qu'il était comme une petite princesse, entouré d'amour, de mon amour. On me l'avait offert pour mon vingt et unième anniversaire, il y a deux ans. Depuis, je le prenais, quotidiennement, comme mon antidépresseur, le caressant, l'entourant de mes bras, lui parlant et même parfois m'imaginant dans sa peau. Quelle vie tranquille il devait vivre ! Et qu'est-ce que je l'enviais !

*

Quelques jours plus tard, alors que mon dernier examen devait se dérouler dans la matinée, je reçus un appel de ma mamie. Il était encore tôt. Mon réveil affichait 6:33.

—Allô ? Oui, c'est Alexandra. Cette après-midi ? Pourquoi ? Juste me parler... hmm, OK si tu veux. Vers 14 heures, ça te va ? Hasta luego. Si. Besitos.

Je réfléchis rapidement à un sujet de conversation à aborder quand je serai avec elle. J'avais passé le mois entier à broyer du noir, à réviser et à essayer de convaincre mes parents de me laisser partir en voyage, au moins cet été, pour décompresser. Mais ils avaient prévu de travailler toutes les vacances et oubliaient très facilement que j'avais 23 putains d'années et que j'étais capable de me gérer seule. Si ça ne tenait qu'à moi, je serai partie, mais j'avais du mal à aller contre leurs volontés. Il me fallait leur accord. Mais ça, je ne pouvais pas le demander à mamie, elle ne voudrait jamais aller contre l'avis de sa fille ni de son beau-fils.

Je me levai péniblement et me dirigeai, comme une désespérée, vers la cafetière. Une tasse à la main, j'allumai mon ordi et feuilletais l'actualité. Des images de voyages, d'îles paradisiaques ou de villes «attrape-touriste» m'apparurent. J'en salivais presque. Nettoyant la bave qui commençait à couler du coin de ma bouche, j'ouvris mon document Word et relus une dernière fois mes notes.

Une fois sûre d'avoir tout en tête, je commençai à me préparer. J'enfilai un t-shirt blanc XXL et un jeans brut, me lavai les dents à la va-vite et me coiffai d'un coup de brosse las. Le maquillage, on s'en passera.

*

Je sortis de mon examen lessivée. Ma tête n'était même plus capable d'alignée deux mots :

—Excuse- euh... non, excusez-moi, je suis vraiment bête, non, non, je voulais dire désolée. Je suis vraiment désolée madame.

Je n'attendis pas que la vieille dame me réponde, je courus à travers le passage piéton sans même regarder si une voiture arrivait. Quelle cruche je faisais, je détestais Paris, oh bon sang, oui je la détestais. Les larmes dévalèrent mes joues et ma vue se brouilla. Bordel! Merde! Il fallait que je pleure maintenant ! Je me séchais le visage du mieux que je pus et toquais à la porte. Elle m'ouvrit et une odeur à nourriture s'infiltra dans mon nez. Mmmh. Quel délice. Mais comme je m'y attendais, elle remarqua mes yeux rougis et me demanda immédiatement ce qui se passait.

—Rien, juste la fatigue et les nerfs... et la fatigue.

Elle me regarda soupçonneuse et me fit entrer. Tout dans cette maison sentait la fraîcheur, la vie. Il y avait des plantes un peu partout, des travaux éparpillés sur les canapés sans pourtant menacer l'ordre presque militaire des choses, et des photos de famille qui donnait un «toque» de vintage. Je m'assis sur un des canapés et la regardai droit dans les yeux. L'effort presque surhumain que cela me fit faire m'étonna. J'avais peur qu'elle lise en moi comme dans un livre ouvert. Mon nez commença à picoter et les larmes me montèrent aux yeux.

—J'arrive plus... à rien. Je me sens bien nul part. Et...

Ma plainte s'évanouit dans un sanglot. Ma grand-mère se leva et me pris dans ses bras.

—Respire, ma belle, me dit elle avec son doux accent méditerranéen. Raconte-moi ce qui te tracasse.

Je lui dis tout, absolument tout. Paris. Mon année sabbatique. Mon frère. Mes parents. Mon oppression. Le poids dans ma poitrine. Et surtout je lui dis ce que je n'avais jamais dit à personne, ce que moi-même que je m'étais empêchée de penser. Je voulais partir d'ici. Je ne voulais plus vivre ici. Elle m'écouta attentivement. Acquiesçant sur certaine chose, me souriant sur d'autre. Ma souffrance s'évaporait au fur et à mesure que je la décrivais. Elle ne me paraissait plus aussi lourde à porter.

Quand je sortis de chez elle, il était presque 20 heures. Nous avions beaucoup parlé, mais j'étais désormais sûre de ce que je voulais. Je montai dans le bus, m'assis près de la fenêtre et enfonçais les écouteurs dans mes oreilles. La musique m'accompagna jusque chez moi. Mon cœur battait fort, trop fort, shooté à l'adrénaline. J'avais l'impression que des ailes étaient en train de pousser dans mon dos, que pour une fois dans ma vie, j'étais libre. Toutes ces années à attendre, à espérer que ce que je voulais arrive, que quelqu'un me comprenne.

Arrivée chez moi, je saluai vaguement mes parents devant la télé et me réfugiai dans ma chambre. Elle n'était pas très grande, simplement meublée et avec peu d'effet personnel. Ça me faciliterait la tâche. Je pris un sac-poubelle et jetai ce qui ne me servirai plus. Il fallait que je supprime de ma vie les choses qui me faisait penser au passé. Je saisis ma valise de sous mon lit et y entreposai le plus d'affaire que je pouvais. Il fallait que je recommence, que je ressaye.

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