Chapitre 1 : Le jeune lion

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  L'astre du jour flattait les armures des troupes anglaises. Lancées dans une cavalcade assourdissante, elles étaient menées par le roi lui-même, visible entre tous avec son armure dorée et sa cape vermeille. Il rugissait d'excitation, de peur et de plaisir, galvanisé par l'élan de ses hommes qui le suivaient aveuglément. Il chevauchait en tête, rayonnant de gloire. Comment pourrait-il perdre, lui, le jeune lion ? Passant un premier ennemi au fil de son épée, Henri frappa de plus belle, fendant en deux le heaume du pauvre hère. Sa victoire serait totale, écrasante. Dieu était avec lui.

 — L'est-il vraiment ?

 Surpris, Henri fit faire un écart à son cheval. Qui venait de parler ? Ses yeux cherchèrent une réponse, sans succès. Sans doute avait-il imaginé cette voix. Mais, tandis que l'écho du combat s'atténuait pour lui, les souvenirs s'écrasèrent dans l'esprit d'Henri Tudor. Ennemis plus redoutables que le présent, le passé et son amertume plongèrent le roi dans une brutale mélancolie. C'était à l'aune de ce regard empli de tristesse que l'on pouvait replacer un divin monarque au statut de mortel.

  Quelques années plus tôt, Henri avait perdu une fille et un garçon. La première, morte-née, avait peiné le roi que l'on avait tout de suite rassuré : cela arrivait parfois et puis, c'était une fille, non un garçon, quelle importance ? Cependant, la naissance de son premier fils qu'ils avaient nommé Henri, mit en joie le couple royal. Un héritier, en bonne santé et vaillant, effaça le chagrin et les angoisses du souverain. La malédiction reléguée à un mauvais souvenir, Henri Tudor fit célébrer la naissance de son garçon à travers tout le pays. Des cérémonies, des tournois, des banquets livrés en grande pompe pour lui et son peuple, confortèrent sa place. Grandirent sa fierté et son amour pour la reine en même temps que son image de jeune lion puissant et fougueux.

 Son bonheur ne dura que sept semaines. Un soir où il neigeait encore à gros flocons, son fils tant chéri, mourut.

 Sa déception fut si grande qu'il s'éloigna de Catherine et se jeta à corps perdu dans l'art de la guerre et des conquêtes. L'envie de démontrer quel puissant souverain il était, à l'instar de son père, évinça le reste. Rien d'autre ne comptait plus que cela.

 Or, en cet instant, son cœur se souvenait de sa perte et saignait, rappelé au bon souvenir de cette voix qui chuchota une nouvelle fois à son oreille :

 — Roi maudit, ton fils est auprès de moi. Oublie-le.

 — Sire !

 Brutalement, Henri Tudor revint à lui. Charles Brandon, recouvert d'un sang frais, s'approcha de lui la mine soucieuse. Le duc de Suffolk et favori du roi, comptait parmi les hommes en qui le roi avait le plus confiance. Charismatique, intelligent, le général irradiait malgré le rouge qui maculait sa figure.

 — Nous nous portons bien mon ami. Êtes-vous blessé ?

 — Non Votre Altesse et j'ai d'excellentes nouvelles ! Nous sommes vainqueurs ! Regardez comme les Français fuient !

 Une fuite bien désordonnée, malheureuse et qui restera un sujet de moqueries des années durant. Ainsi, ce jour fut appelé « Journée des Éperons ». Une victoire brillante, suivie de bien d'autres.

 De retour dans son campement, Henri se faufila dans sa tente. Ses pensées étaient confuses : malgré sa victoire, il songeait à la voix qui l'avait plongé dans les affres du passé. Cette vieille ensorceleuse ne le laisserait donc jamais tranquille ? Et pourquoi était-elle réapparue aujourd'hui ? Fulminant, il faisait les cent pas, comme un félin en cage, se débarrassant de sa cape dans un mouvement de rage. Quelqu'un la ramassa sans qu'il ne s'en aperçoive, se glissa jusqu'à lui pour finalement se dérober dans un rire cristallin. Les yeux du souverain cherchèrent dans le noir. Il distingua à peine une ombre se mouvoir non loin de lui et, leva la main, en tentant de s'en emparer.

 — Nous vous tenons ! cria-t-il, victorieux.

  Les rires redoublèrent, un éclat blanc se détacha de la noirceur ambiante. Un froissement de tissu se fit entendre.

 — Votre Majesté !

 Une très jolie jeune femme évinça les ténèbres de sa lumière d'or. Ses cheveux blonds dansaient au moindre de ses mouvements et de ceux, plus hâtifs du monarque.

 — Votre Majesté !

 Elle lui filait encore entre les doigts. Ce jeu fit oublier au roi le retour de la sorcière des brumes qui, reléguée dans les confins de son esprit, ne devint plus qu'un mauvais souvenir. Le jeune lion avait mieux à faire ! Comme conquérir cette proie aux formes délicieuses par exemple.

 — Ah ! Ah ! Nous vous tenons !

 Dans un éclat de rire, la belle fut capturée.

 — Oh votre Majesté ! Je me rends…

 Il laissa la jeune femme libre de ses mouvements, l'observant intensément quand elle alla lui servir un peu de vin.

 — Avez-vous faim ? Un peu de pintade peut-être ? Ou bien…

 Les yeux de la blonde pétillaient de malice. L'entendre minauder ainsi éveillait un tout autre appétit qu'il était bien plus pressant d'assouvir.

 — Venez me conquérir, votre Majesté.

 Elle laissa se froisser à ses pieds nus, la cape rouge dont elle avait drapé son corps. Radieuse beauté immaculée, la blonde s'installa parmi les peaux et les coussins pour s'offrir au bon plaisir du roi qui était au printemps de sa vie.

 — La Ligue catholique est invincible, nous sommes invincibles, clama le jeune homme. Une victoire digne de la bataille d'Azincourt !

 — Gloire à vous, votre Majesté, vous voici plus grand qu'Henri V !

 Rugissaient les invités du banquet fastueux organisé pour son retour. Une fête bienvenue, quoique entachée par la trahison de l'Écosse ayant profité de son absence pour se soulever contre l'autorité anglaise.

 — Votre père serait fier de vous, Henri, ajouta la reine Catherine en levant sa coupe.

 — Qu'il aille au Diable s'il n'y est pas déjà.

 Le regard de la dame d'Aragon se fit plus sévère. Mais elle ne s'exprima pas plus ouvertement, bien sûr. Elle savait le sujet sensible.

 — Profitons plutôt de ce banquet, sire, suggéra Charles Brandon en voyant les iris d'Henri s'assombrir.

  L'ébauche d'un sourire se dessina sur les lèvres du suzerain.

 — Vous avez raison. Buvons à la mort future de nos ennemis !

 — Oui, jeune lion, profite de ce sursaut de gloire. Faveur de la jeunesse. Cela ne durera pas. Regarde ta boutonnière.

 La sorcière ! Se relevant en sursaut, Henri cherchait l'objet de sa colère. Cette dernière éclata, prenant la forme d'un cri sauvage qu'on attribua à sa fougue plutôt que son ire.

 En baissant la tête sur son pourpoint pourpre et or, il vit l'une des six roses se flétrir.

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