Enfin !

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- Quatre mois qu’elle le prépare ce mariage, mon petit Lechat, quatre mois ! Heureusement, votre maman habite une grande maison.

Jacques et l’inspecteur Lechat étaient dans la piscine, confortablement installés dans une grande et fraternelle bouée à accoudoirs deux places.

- Vous êtes un as de la conduite de bouées, inspecteur !

- Oui, c’est un de mes passe-temps, lorsque je viens ici, à Petcha. Mais pourrait-on se rapprocher du bord ? Mon verre est vide.

La bouée à accoudoirs deux places, pilotée par des experts fortement motivés, pivota et fila d’une traite à l’autre bout. Du grand art.

- Ma chérie, j’ai trouvé un copilote ! Lucile lui lança une serviette.

- Mon oncle monte ce matin ! Tu ne peux pas te montrer comme ça... Et n’oublies pas de remercier madame Lechat pour sa maison !

- Dis, ma dulcinée, tu ne crois pas que je pourrais leur jouer un petit morceau de trompette à nos invités ? J'ai fait d'hallucinants progrès depuis un mois !

Le mariage aurait lieu dans la petite chapelle en tôle, retapée pour l’occasion et décorée de manous et de palmes tressées, en présence de la famille, des amis et alliés.

"Martine est arrivée enceinte de l'Homme Rouge, alors, moi Ignace, pour elle, j'ai adopté le garçon, qui venait de naître. Mais l'Homme Rouge et ses hommes la recherchaient. Elle était déjà enceinte de Lucile, son second enfant. Nous avons confié le petit à Madame Lechat. Il est devenu comme un frère pour Bibi, et un fils pour Mamie et Albert, venant nous voir, sa soeur Lucile et Martine, de temps en temps. Il s'est marié à la tribu, mais il est mort peu après, laissant le petit Elie derrière lui. Voilà toute l'histoire"

"C'est une histoire bien triste, n'est-ce pas ?"

Mamie Lechat était bien contente de l’accueillir ce mariage. Et puis, aussi, d’avoir participé à l’Histoire avec un grand H ! Elle racontait son aventure à qui voulait l’entendre. - Ben ça oui que je la gardais pour quèqu’chose, ma pétoire ! J’les tenais tous dans l’viseur ! Ils ont eu peur. Ysesont tous enfuis.

Les Lutins arrivèrent en même temps que les maîtresses de l’école des Roussettes, déguisés en vrais lutins pour une fois, avec des bonnets à clochettes. Ils mirent immédiatement une ambiance du tonnerre.

Rebecca avait été conviée.

- Mon bon monsieur Pelot, c’est plus comme avant, l’Hôtel Aurora. On a réparé le G que vous aviez cassé en descendant par la fenêtre. On a un nouveau directeur, qu’est bien vivant ce coup-ci. On a décafardisé partout, pour être sûr. Mais quand je vois l’enfilade des couloirs, j’ai tout le temps envie de coller du dada sur les portes des chambres. C’est grave Monsieur Pelot ?

Les Nadias arrivèrent aussi. Dans l’incendie de la révolution des Valets, elles avaient trouvé leur bonheur. Aerwin, finalement déçue par le jeune homme à belle moustache, auprès du fringuant colonel Gerliz, qui avec ses hommes faisait partie du cercle fondateur des insurgés. Elwing avec le Général Gallina, qui retourné à la vie civile avait été élu député dans une circonscription isolée et nostalgique du bon vieux temps. Il n’y croyait pas beaucoup, et se montrait un opposant particulièrement précieux, capable d’élaborer des solutions de compromis. Il proposa une belote au colonel Gerliz, qui aussitôt accepta. Pendant que le major Cassy Delorme tirait les cartes à mamie Lechat et à Ignace, ils affrontèrent Lucile et le lieutenant-colonel Maesath. Lucile et Maesath gagnèrent, malgré l’évidente maîtrise du jeu par leurs adversaires.

- Le Tarot Divinatoire, Ignace, c’est tout de même plus intéressant que la belote ! Voyons, L’Estoille, l’Amoureux, la Force, le Fol, et puis au milieu de tout ça, voyons… Le Char Royal, la course du soleil dans le ciel, le bonheur ! Très bon présage pour cette journée !

- Venez demain chez moi à Saint Gabriel, Cassy ! Prenez vos cartes. On fera un feu devant la case, à côté de la maison, et je sortirai une vieille marmite et des herbes… On va bien s’amuser !

Le soir, la fête fut formidable, et se fit entendre du pic Kilebo à Saint Gabriel.

Le Père Fouettard dansa toute la nuit, en tee-shirt blanc et boots mauves, bras écartés et paumes ouvertes, une grenouille sur l'une d'elles portée vers le ciel.

Lucile et Jacques s’aimaient.

L’Homme Rouge, finalement libéré, quitta l’Antarctie. Une fois la défaite assumée, ayant mesuré l’étendue de la désaffection qui le frappait, il partit. Rejoignit un pays neutre et tempéré. S’y ennuya. Alla plus loin. Puis encore plus loin. Longtemps, il continua ainsi. Pourtant, un jour, il s’arrêta. On dit qu’il trouva un lieu, d’où il n’eut plus envie de partir en assistant au lever du soleil, à cet endroit. Depuis, il se lève tôt et regarde le soleil se lever.

On dit aussi qu’il eut le courage d’écrire à Martine, son amour de jeunesse, et que depuis, malgré les années et la méfiance tenace d’Ignace, toujours renaissante malgré les câlins et les sourires de son épouse, leur correspondance n’a pas cessé. On dit aussi qu'il aurait, enfin, rendu visite à son petit-fils. Et l'on dit même qu'il aurait revu le Masque. On dit même que là haut il aurait enfin accepté son destin et que débranché il y est encore. Mais l'on dit tant de choses sur cette période aujourd’hui entrée dans l’espace mythique du passé, qu'il serait oiseux de les dire toutes, et d’en distinguer les subtiles variations. Il y a, dans tout cela, tellement d’inventions !

Ceux qui vécurent ces évènements en usent en peu de mots, au point que la sagesse du pays l’a retenu sous forme proverbiale, résumant en pratique l’expérience des années sous une forme ramassée, au grand dam des historiens et de tous ceux qui, au fait de la véritable complexité des choses, œuvrent à la Connaissance.

- C’est que, voyez-vous, il ne tient qu’à nous. Tout ! Tout est dans nos mains !

Les Australs, du plus grand au plus petit, dans le confort parfois relatif de leur sas thermique, vous diront cela avec un sourire désolé de n’avoir à offrir que cette simple sagesse, qui exige tant, encore, de chacun d’eux.

« Tout est dans nos mains ». Humble maxime pour l’avenir d’un peuple nouveau, fier de ce qui vient.

Le Père Fouettard, yeux dans les yeux, mains en creux autour de sa rainette, n'aurait pas dit autre chose. Mais lui donnait-il le même sens ?

Quant à l’inspecteur Lechat, il a récemment été décoré pour service rendu.

Il en est très fier. Mais la vraie fierté de cet homme au cœur tendre, c’est d’avoir été choisi par Lucile et Jacques pour être le futur parrain d’un petit Lutin, conçu quelque part dans un Pays de Neige.

- Vous n’aviez qu’un tort, Jacques. Noël devrait être tous les jours !

Lucile acquiesça, regardant la mer.

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