Armes fatales

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- Il y a une chose que notre Président déteste, Monsieur Pelot. Que les autres soient habillés en rouge. Le rouge, c’est sa couleur !

- Hon !

Le responsable de l’émission était particulièrement mécontent d’avoir à intégrer, au dernier moment, un nouvel invité, qu’il croyait être le véritable père Noël, Jacques Pelot.

- Hors de question de changer de costume ? Je sais que l’on voit, parfois, des Père Noël verts. Alors pourquoi pas ?

- Hon…

- Mais vous avez raison, je considère moi aussi cela comme une innovation particulièrement déraisonnable. Comme si l’on pouvait, à volonté, modifier sa forme ou sa couleur ! Il y perdrait de sa substance, c’est à dire de son efficacité. Vous verriez bien vite de sales gosses mal élevés lui tirer la barbe, ou allumer au briquet les pans de son manteau. Vous ne changeriez pas j’imagine votre position, sauf à lire un ordre écrit du Président. Et quand bien même, vous resteriez assis, là. C’est sans appel je suppose ?

- Hon.

- Bon, comme vous voudrez. Mais je serai dans l’obligation de faire un rapport.

L’affaire en était restée là, et la suite s’était déroulée dans une ambiance studieuse, professionnelle.

- En fait, c’est très simple ! Le Président est là, il vous accueille avec les clés du Pays. En échange, vous lui donnez les clés de la Valise Nucléaire, et êtes invité dans son hélicoptère ! Il s’envole dans une pluie de papillotes, quittant la Résidence, pour une tournée de Triomphe, dans tout le Pays. A chaque fois, ce sera très classique, avec des distributions de cadeaux, des séances de photos. Pour notre partie, cela se termine avec le départ en hélicoptère.

- Hon ?

- Notre Président avait commencé par tout prévoir, dans les moindres détails. Les répétitions n’ont rien donné. C’était plat, convenu. Un désastre.

- Hon…

- Vous avez carte blanche.

- Hon-Hon !

- Comment dîtes-vous ? … lui faire un cadeau, au Président. Comment ça, un cadeau ?

- Hon, Honhon ?

- Un cadeau…. Si vous le dîtes... Je vois. Quelque chose qu’il ne s’attendra pas à recevoir, mais qui le touchera au cœur. Il faut inverser les rôles ! Oui, le Président donne des cadeaux, mais il sait en recevoir, c’est un homme tendre. Voilà le message. On pourrait le voir plaisanter, être ému, lui voir couler une larme. Je ne sais pas moi. Des choses comme ça.

Le responsable commençait à avoir des sueurs froides, un petit frisson lui remonta l’échine. Il avait visionné cette émission désormais légendaire où une familiarité bienveillante avait provoqué ce regain de ³popularité inattendu. Il faudra y aller doucement, tout de même, ce n’est pas son image, habituellement, au Président.

Avant de mettre fin à la réunion, le responsable de l’émission prit à part le Père Noël.

- Monsieur Pelot, je dois vous dire encore une chose. C’est vous qui voyez, mais je suis obligé de l’indiquer dans mon rapport. Pour le chat. Le Président déteste les surprises.

- Hon. Honhon.

- Alors à tout à l’heure.

- Pomme de rainette et pomme d'api... Le Père Noël venait de quitter le studio, tâtant sa poche droite et sifflotant son air favori.

Bien calé dans un fauteuil, le Programmateur réfléchissait. C’était un vieux bonhomme. Parfois, il avait songé à raccrocher. Mais jamais il ne l’avait fait. Le mot de « retraite »… détestable en lui-même, avait-il un sens pour ceux du Conseil des Visionnaires ? Pour ce cercle d’amis anonymes, qui, un jour, avait décidé de créer un monde nouveau, à partir de rien, de tout : leurs propres forces ?

Mais voilà. Ils n’étaient plus que quatre. Quatre Visionnaires.

Plus que quatre. Et bientôt trois, car l’un des leurs, le responsable du Programme Nucléaire, était gravement malade. - Que dirait le peuple des sas, s’il savait que le Conseil se résumait à la réunion de quelques vieux amis ? Rite immuable, autour d’un café-croissant, depuis déjà 60 longues années… Mais, il y avait plus urgent. La situation était difficile. Il fallait sortir de cette guerre, de ce gâchis. En ayant recours à des élections générales… l’idée était bonne… Il y avait plus d’Antarctes que d’Australs. Pourquoi acceptaient-ils, les Australs ? Evidemment, avec leur indécrottable idéalisme.

- Pouvaient-ils dire non ? Ainsi perdu en un songe triste, reflet de l’inexorable créé par son esprit, notre Programmateur ne savait pas que l’être improbable qu’il venait de cotoyer, porté par d’autres rêves, allait bientôt changer le destin.

Au même instant, dans ce qui tenait lieu de nuit, derrière des volets clos, Jacques s’était réveillé la bouche désespérément sèche, avec un sacré mal de crâne.

- Pas moyen de dormir. Ya pas à dire, il faut que je boive ! Mais de l’eau, cette fois. Et si j’allais me baigner dans cette piscine, entraperçue hier ? Ça me remettrait les idées en place !

Lucile dormait, malgré le vacarme qu’il provoquait en se cognant aux meubles, essayant d’enfiler sa combinaison.

- Où allez-vous Monsieur Pelot ? Maesath et Cassy semblaient l’attendre dans le vestibule, déjà habillés, comme s’ils sortaient.

- Ha ? Vous êtes là. Et bien je vais me baigner.

- Vous baigner ? Dehors par cette température ? C’est intéressant.

- C’est que j’ai un secret…

- Alors, nous vous suivons, Jacques. Nous adorons les petits secrets de l’Antarctie, surtout s’il s’agit d’eau chaude !

Une demi-heure plus tard, ils étaient dans le secteur de la Base U1 et entraient dans la galerie de la piscine souterraine.

- C’est curieux, une piscine et des douches à cet endroit ! Jacques enleva sa combinaison. Savez-vous que sommes sur un site expérimental très ancien ? Pour la première fois, les Antarctes ont creusé ici des galeries hyper-profondes. Il faut dire que la glace, ça fond comme du beurre. Fastoche.

« Plouf ! » Jacques venait de se mettre à l’eau, et faisait des longueurs en poussant des soupirs de contentement. – Ha que c’est bon ! On en boirait !

- Je vous le déconseille, Jacques, je vous conseille même de sortir. Maesath faisait le tour de la piscine avec en main un stylo, pointant le sol, les murs, l’eau elle-même, enfin.

- Mais que faîtes vous ?

- Un relevé du taux de contamination radio-isotopique. Vous devriez sortir.

- Nom de Dzeuz ! Jacques avait jailli d’un bond hors de l’eau, et il s’essuyait maintenant frénétiquement, tentant d’enlever l’eau de ses oreilles.

- Ça devrait aller. certaines eaux thermales sont, parfois, légèrement radioactives… Vous venez de raccourcir votre vie de quelques heures, quelques jours peut-être ! En fréquence statistique moyenne. C’est tout à fait négligeable.

- Négligeable, négligeable… Je fais partie des losers, des pas-de-chance, les tuiles, c’est pour moi. Vous savez ce que j’en fais, de vos statistiques ?

- Ha ! Derrière ce mur. On dirait une porte, ou une cloison. Bon, voilà on a trouvé. Nos renseignements étaient exacts.

L’ascenseur venait de s’ouvrir à deux battants, dans un craquement de glace.

- Après vous Monsieur Pelot.

- Mais où allons-nous ?

- A deux kilomètres d’ici, en bas ! A la jonction du socle terrestre et de l’Inlandsis !

L’ascenseur avec des craquements inquiétants n’en finissait pas de descendre. Il s’arrêta. Dans une cavité relativement tempérée, scintillante sous le feu des projecteurs, la croûte terrestre affleurait. La roche était formée d’une sorte de minerai, de type Garniérite, aux veines non pas vert profond mais jaune poussin. Maesath prit un échantillon dans un tube.

- C’est très beau vous ne trouvez pas ? Le dôme U1. Cet accès est désaffecté. D’autres ont été construits depuis, avec des installations industrielles et des labos. Mais ces derniers sont diablement gardés ! Vous avez ici, sous vous pieds, le plus vaste gisement au monde de silicates et autres oxydes d’uranium. Un vrai scandale géologique ! Entre les mains d’une poignée d’illuminés bardés de diplômes, formés dans les plus grands centres de recherche, ça fait mal…

En sortant des studios de production, Fouettard avait demandé les toilettes, et un grand verre d'eau fraîche. Il était préoccupé. Sandwich était restée seule à l'appartement. Qui allait la nourrir ?

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