Pas tout à fait chat

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Dans la pièce dérobée, les murs avaient clignoté toute la nuit. La tête ouvrit les yeux. Cligna. une tête des mauvais jours.

Il avait lu lui-même l'intégralité des datas disponibles pendant son sommeil, les chiffres de la production, les dernières avancées, les questions de sécurité intérieure et extérieures.

Quelque chose clochait. Mais quoi ? Cette absence de défi, de danger véritable, à heure si importante pour lui, ne présageait rien de bon.

Juste un chat, un attentat minable, manqué ?

Il faudrait ouvrir l'œil.

le corps se leva et revissa la tête, en sortant il ne vît pas la grenouille qui entrait. Une fois seule, elle sauta à l'emplacement de la tête et les lumières clignotantes se mirent à s'activer.

Pour une fois, le Président attendait.

- Ha ! Mon cher Conseiller de l’Etonnement, vous êtes enfin là ! Cette fin de nuit a été un peu agitée. Une histoire, tout ça . Heureusement, je travaille tard. Je suis tombé sur une note de synthèse de mes services m’alertant sur un cadeau que vous vouliez me faire. Vous êtes cachottier… L’idée était tout à fait excellente. Mes hommes sont des imbéciles ! Je déteste les surprises, oui. Mais je n’ai rien contre un cadeau prévu, organisé, qui ne serait qu’une fausse surprise pour moi ! C’était une très bonne idée. Je n’aime pas trop les chats. Mais les sondages montrent que les gens ont très une bonne opinion des chats.

- Hon…

- Sauf que le chat, mon cher, a été passé aux rayons X ce matin. Et vous savez ce qu’on a trouvé ? Du Syndex ! Un chat bourré de Syndex, explosif surpuissant, qui aurait explosé dans mes bras, en plein direct télévisé ! Vous avez failli être arrêté, vous savez ? Si nous n’avions pas retrouvé le coupable…

- Hon ?

- En tout cas, on garde l’idée. Voici un chat neuf. Ce matin, mes services ont fait exploser l’autre. Il vous plaît ?

- Hon-hon.

Le Conseiller Diplomatique Spécial était là, lui aussi. Il souhaitait s’assurer que les dispositions techniques permettraient effectivement une retransmission satellitaire, car tout était prévu pour que la communauté australe de l’étranger puisse accéder à cet évènement.

- Les Australs sont aux abois, Monsieur le Président. S’ils pensaient vraiment avoir la plus petite chance de gagner ces élections, ils n’en viendraient pas aux solutions extrêmes.

- Extrêmes, mais pas inhabituelles. Combien de fois ai-je échappé à la mort ? Quoi qu’il en soit, le terrain est déblayé. Aujourd’hui est un jour important. Demain auront lieu les élections.

- Hon…

- N’est-ce pas ?

Pendant ce temps, Jacques Pelot, fatigué par les excès de la veille et sa virée nocturne dans les sous-sols de l’Antarctie, se réveillait aux côtés de Lucie. - Lucie… J’chuis désolé… La télé… Père Noël.

- Mmm…

- Mince ! On est en retard ! Lucile, tu peux m’accompagner aux studios ? J’peux pas conduire avec mon costume, question de ventre. Ni marcher trop longtemps, avec mes chausses en Alpaga.

Lucile se réveillait, un Père Noël assis sur son lit, mettant ses chaussettes. Elle avait un doute. Que s’était-il passé ? S’il s’était passé quoi que ce soit, ce n’était pas mémorable. Elle était accablée, revenant peu à peu dans la réalité, ne laissant émerger que les remous amortis de sa frustration.

- Tiens ! Tes femelles ont quitté la tanière ?

- Ha, oui, c'est vrai. Le chat et la mouette aussi.

- On dirait qu’il n’y a plus personne…

- Mais, comment ça se fait, j’ai deux paires de chausses ?

Dans la partie basse de l'appartement, au niveau du sas thermique, Ils retrouvèrent Maesath, Cassy et Arthur en grande discussion. Ils préparaient leur matériel, et partaient dans un véhicule séparé, avec un peu d'avance.

Dans l’autochenille, Lucile évaluait la situation. Elle ne savait plus ce qu’elle faisait là, avec un Père Noël qui offrait des chats, et qui dormait tout habillé à côté d’elle. L’hypothèse la plus charitable qu’elle pu trouver était celle d’un effet secondaire, assez rare, du syndrome de Stockholm. Une question lui traversa l’esprit, maintenant qu’elle était parfaitement réveillée.

- Mais… Pourquoi les Nadias sont-elles allées promener un chat… avec sa boîte ?

Tout cela n’avait aucun sens. Lucile pensa que, décidemment, ce n’était pas là ce dont elle avait rêvé. Elle repensa à son école des Roussettes, aux maîtresses et aux enfants qui bientôt l’attendraient.

- Père Fouettard, Père fouettard ! T’as oublié tes chaussons !

L ‘émission allait commencer dans dix minutes. Jacques arrivait, flanqué de ses acolytes de ZTV Télévision Worldwide.

- Pardonnez-nous Monsieur le Président. On devait venir me chercher à mon appartement. Et voilà que vous avez embarqué mon assistant, le Père Fouettard ! Mais tout rentre dans l’ordre. Comme je dis toujours, ordre et ponctualité sont les deux mamelles de… Enfin. Vous voyez ?

Personne n’y comprenait rien.

Il y avait désormais deux Père Noël, l’un très classique, l’autre très Hinana-style en boots mauves, trois techniciens audio bardés de matériel ainsi qu'une mouette, arrivée par ses propres moyens, qui faisait connaissance avec le studio, picorant les fils électriques. Le Père Noël à boots mauves faisait la fête à la mouette, il dansait et lui courait après lorsqu'elle s'envolait.

- Personne aurait du Knackie ? Elle a faim.

Le Président détestait les surprises. Il voulait une explication.

- C’est quoi ce bazar, quelqu’un peut m’expliquer ce qui se passe ?

- Ben… J’suis l’assistant du Père Noël. J’ai appelé le Conseiller Diplomatique, et puis après, tout s’est arrangé.

Le fouettard venait de sortir sa grenouille pour vérifier, yeux dans les yeux, que tout allait bien. La mouette revenait sur son perchoir préféré, l'épaule gauche du costume, là où le ponpon ne risquait pas de lui revenir dans le bec. Le Conseiller Diplomatique ne savait plus où se mettre, foudroyé du regard par le Président. Le responsable de l’émission fit diversion.

- Bon, il me semble que maintenant, il nous faut passer aux derniers préparatifs. Pourquoi ne pas faire connaissance avec le chat ?

Il sortit le chat de sa boîte, mais ce dernier n’avait pas l’intention de se laisser attraper. Sandwich, face au redoutable prédateur, avait préféré prendre ses distances,.

- Viens dans les bras du Président ! Minou, minou !

- Saleté de chat ! Monsieur Pelot, vous pourriez tout simplement me l’offrir, en le gardant dans vos bras ?

- C’est qu’il n’a pas envie de venir dans mes bras Monsieur le Président !

- Ben… J’peux essayer, moi ! Dit le Fouettard, posant sa grenouille sur le bureau, dans un gobelet d'eau fraiche. Voilà qu’y l’est un bon chat à son pépère ! Ho oui qu’il aime les câlins !

- Vous voyez Monsieur le Président, nous formons une équipe !

- Faut y aller, c’est du direct !

- Vous répondez de votre assistant ?

- Comme de moi-même !

- Bon alors c’est parti ! Opération Père Noël. Spontanéité, chaleur humaine, générosité.

- Quelle devise, Monsieur le Président ! Vous me l’ôtez de la bouche !

A ce moment là, on entendit un cri déchirant, qui résonna longtemps. C'était le Père Fouettard. Il contemplait, atterré, le gobelet d'eau renversé, et sa mouette le regardait, yeux dans les yeux, une patte de rainette s'agitant un coin du bec.

Malgré cet incident regrettable, la prise de vue maintenant se terminait, et ceux que l’on allait bientôt appeler le Trio Rouge - expression qui en quelques heures se répandrait dans tout le Pays – partaient pour un tour triomphal des bases de l’Antarctie.

Partaient aussi le chat et la mouette. Ainsi qu'une grenouillette, mal en point. Mais l’Histoire ne retient pas, hélas, la vie des chats, et encore moins celle des mouettes, ou des grenouilles.

Laissant dans les studios Arthur, Cassy et Maesath, très intéressés par les divers aspects de la radiodiffusion Antarcte, l’hélicoptère s’envola. Il s’élevait, s’élevait encore, lorsque Jacques réalisa qu’il n’avait pas dit au revoir à Lucile. Il chercha du regard l’autochenille, sur le parking. Mais il dût se rendre à l’évidence. Lucile avait disparu.

Accompagné de Elie, Lucile avait quitté la Résidence avec une impressionnante facilité.

Le planton avait décidé que son rôle était de surveiller les entrées, pas les sorties. Comme tous les fonctionnaires de la Résidence, il était désormais bien au fait de l’importance des Etrangers aux yeux du Président. A sa façon, il essayait d’éviter « le contact potentiellement corrosif d’un dossier sensible». Et puis, dans ces solitudes glacées, où pouvait-on aller ?

Lucile roula donc sans souci pendant une bonne heure, s’arrêtant de temps en temps pour lire un papier froissé, vaguement griffonné. Elle coupa le moteur devant un bloc rectangulaire, situé à la jonction entre la Plaine et le relief volcanique, autour duquel la dernière tempête avait effacé toute trace de vie. Le lieu du rendez-vous.

Dans quelques minutes, ils seraient dans un des réseaux souterrains ultra-rapides et hautement sécurisées de la République Australe, qui peu à peu gagnait du terrain face à une Antarctie sclérosée.

Elle descendit, ouvrit le coffre. A l’intérieur se trouvait Nadia, échevelée, méconnaissable sous ses larmes et comme prise de convulsions, prononçant dans son masque des paroles incohérentes. Elle serrait dans ses bras un jeune homme aux tennis roses. Sous un visage tuméfié, se devinait une fine moustache ensanglantée.

Lucile s’adressa à Nadia, l’exhortant en Vieille Langue Esperanto. Nadia s‘arrêta de pleurer. Puis Lucile adressa quelques mots à Elie dans ce dialecte secret. Elie lui répondit, variant subtilement les tonalités. Comment savaient-ils, tous deux ? La Vieille Langue était un pouvoir sacré. En dehors des Visionnaires, très peu étaient ceux qui la détenaient.

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