Fouettard déchainé

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- Mais qui êtes vous à la fin ? Depuis une heure, la camionnette était garée au bord de la mangrove, du côté de l’aéroport du Notanou. Les deux hommes et la femme l’avaient ligoté avant d’aller rallumer les braises d’un feu de camp, à côté d’un bateau pneumatique. Le Père fouettard avait enfin compris que ses occupants n’étaient pas ceux qu’ils prétendaient être.

- Il est temps que nous vous libérions. Je me présente, je suis Maesath Wila, lieutenant-colonel des services Spéciaux du Notanou, voici le major Cassy Delorme, de la CIA, et notre collègue canadien, Arthur Tungalik.

- Ha ben ça… Pierre Bailly, ancien de la Légion, à votre disposition !

- Bon, nous avons récupéré les passeports, quelques affaires et des vêtements de circonstance. Nous devrions pouvoir passer la douane.

- Parce qu’on va où ?

- Et bien mon cher Fouettard, nous attachons tous ici un grand intérêt à votre ami Jacques Pelot, ainsi qu’au pays qui vient de l’enlever. Si vous le voulez bien, nous irons, tous les quatre, en Antarctie !

- C’était bien la peine de m’enlever…

- Mais vous n’arriverez à rien en y allant les mains dans les poches. Nous sommes désormais une équipe de tournage de la chaîne ZTV, chargée de suivre les Commémorations de Noël. Voici vos cartes d’accréditation presse, messieurs !

Quelque six heures plus tard, leur avion se posait sur la longue piste verglacée.

- Merci d’avoir accepté de prendre Sandwich !

- Pas de quoi…

La porte de l’avion s’ouvrit sur un stub climatisé, et Sandwich s’envola vers les comptoirs de la douane, se posant sur la barrière.

- Allo ? Père Fouettard ! Comment as-tu fait pour avoir mon numéro ? Tu téléphones de B21 ? Pas croyable !

Le Père Fouettard ne doutait décidemment de rien. Il s’était dit que, pour contacter Jacques, il suffirait de lui téléphoner. Entouré d’Arthur Tungalik, pisteur émérite et chaman, du major Cassy Delorme et du lieutenant-colonel Maesath Wila, tous trois écouteurs à l’oreille, il avait contacté la Résidence Présidentielle, s’étant présenté comme le Père Fouettard, l’assistant du Père Noël, l’invité du Président. Ses interlocuteurs n’y comprenaient rien, sauf qu’il s’agissait d’une langue étrangère, avec le mot Président fourré au milieu. On lui avait donc transmis le Conseiller Diplomatique Spécial du Président, après cependant, avoir épuisé trois ou quatre interlocuteurs Antarctes, qui plutôt que courir la responsabilité d’un incident diplomatique, avaient consciencieusement ouvert le parapluie, élevant peu à peu le dossier, du standard vers le bureau du protocole, puis vers le Conseiller Spécial.

- Mon cher Père Fouettard, comment allez vous ?

- Ben, ça serait mieux si je pouvais récupérer le Père Noël, j’suis son assistant.

Le Conseiller Diplomatique Spécial était embêté. Il était parfaitement au courant de la nouvelle tocade de son patron, qui consistait à faire venir un certain Jacques Pelot, Père Noël de profession, et à l’utiliser pour augmenter sa côte de popularité. Il avait vu, à la télévision, le moment où s’était décidé le destin de la présidentielle dans le pays de ce Monsieur Pelot – Cinq points de popularité en une nuit ! – et voyait bien que tout cela était bien au dessus de sa compétence, dans un domaine vital pour le Président. Et puis, ce Monsieur Pelot n’avait-il pas été nommé Conseiller Spécial, rang certes honorifique, mais en substance identique au sien ? Il ne fallait, en aucun cas, que l’on puisse le soupçonner d’envie ou de jalousie, pour une ascension aussi rapide.

- Mon cher Père Fouettard, hélas, je ne vois pas en quoi je puis vous être utile. Il s’agit en quelque sorte d’un domaine réservé. Le mieux que je puisse faire est de vous donner la ligne directe de Monsieur Pelot. Il saura quoi vous dire, dans le cadre des nouvelles fonctions qu’il occupe dans notre beau pays.

Le Conseiller s’empressa bien vite d’oublier cet appel, non sans s’être au préalable félicité d’avoir échappé au contact, potentiellement corrosif, d’un dossier aussi sensible. L’Opération Père Noël. Surtout, ne pas toucher au jouet présidentiel.

- Et comment je fais pour venir te voir ?

- Je ne sais pas trop. Je peux envoyer quelqu’un passer te prendre, peut-être ? Nadia, tu pourrais… ? Oui, c’est mon assistant. Comment il est venu ? T’es venu comment ? Il a pris l’avion. Et comment il a eu le numéro de téléphone ? Il a demandé au Conseiller Diplomatique Spécial.

Nadia était impressionnée. Ce Monsieur Fouettard devait avoir de sérieuses relations, pour les avoir retrouvé aussi vite. L’estime qu’elle portait à Jacques s’en trouva augmentée d’un cran, et elle considéra comme un grand honneur d’aller chercher Monsieur Fouettard à son hôtel.

Une heure plus tard, Nadia se présentait au sas du Dôme Hôtel, puis emmenait dans son autochenille le Père Fouettard toujours engoncé dans sa doudoune rose, et trois membres de l’équipe du Père Noël, une maquilleuse du nom de Cassy, un accessoiriste, Wali, et Arthur, .cadreur. Il y avait aussi une mouette, du nom de Sandwich.

- Je peux enlever mon bonnet, mademoiselle ? Il fait chaud dans votre chenille.

Le Père Fouettard montra un crâne dégarni, aux rares cheveux mal plantés. On aurait dit une grosse chouette rose surprise au réveil, avant l’envol du soir. Il enveloppa Sandwich dans son bonnet. Le jour commençait à décliner, et si le soleil ne se couchait pas, il approchait de l’horizon. Quelques éléments dépassaient du sol, formant de longues ombres contourées entre le blanc de la glace et l’orangé d’un ciel flambant aux faibles feux d’un soleil rasant.

- C’est mignon, chez vous.

- Nous aimons le mélange de la couleur et du blanc. Nous sommes le plus beau pays du monde, monsieur Fouettard.

Le Père Fouettard en doutait. Pour lui qui était né dans un grand bassin industriel, rien n’était plus beau que les différentes teintes de gris d’un ciel où les cheminées d’usine crachaient des panaches de fumée dans le bruit des voitures et l’affairement des vélos – Drelin, drelin ! La besace en bandoulière, avec le casse-croûte et le journal.

Il s’endormit. Ronfla bruyamment. Nadia s’arrêta à la barrière et un planton sortit de la guérite.

- Papiers !

- Tenez, voici mes papiers militaires.

- Parfait. Et eux ?

- Ce sont les assistants du Père Noël, les membres de son équipe. C’est lui le chef, le chauve, qui a les passeports. Mais il dort.

- C’est embêtant, il faudrait que je vérifie leur identité, et s’ils sont autorisés à entrer.

- Bon. Réveillez-le, alors.

Le planton, un brave Antarcte épanoui, devint soupçonneux. Pourquoi cette demande. Pourquoi devrait-il le réveiller, lui ? Il n’était que planton.

- Moi, le réveiller ? C’est à vous de le réveiller. Vous devez me présenter un homme réveillé, pour que je fasse mon travail.

- Je ne le réveillerai certainement pas. C’est un homme très important. Un étranger. Il était encore, pas plus tard que tout à l’heure, en conversation avec le Conseiller Diplomatique.

Le planton se souvint, en effet, d’un appel venant de l’étranger, que le standard avait voulu lui refiler. Il n’avait rien compris à cette langue, sauf que dedans il y avait le mot Président. Il regarda encore une fois le profil du personnage considérable, qui dormait à poings fermés. Se gratta le crâne. Il réfléchissait.

- Si un intrus voulait entrer, il ne se présenterait pas en ronflant comme un sourd. Il aurait tout prévu, des papiers plus vrais que les vrais. Le fouiller ? Mais s’il se réveillait ? Si on le surprenait les mains dans le pantalon d’une sommité ?

Nadia commençait à montrer des signes d’énervement. Comme si on lui faisait perdre son temps, assurée qu’elle était d’être sous l’ombre protectrice d’un personnage haut placé.

- Bon, passez. Nadia démarra.

Le planton regarda s’éloigner la voiture, en direction de la Résidence.

- De toute façon, ils étaient tous les trois habillés en pur style Hinana ! Pensa-t-il, fixant les écrans de contrôle, comme pour se rassurer.

Le lendemain matin, le responsable de l’émission venait toquer à la porte de l’appartement. - Monsieur Pelot, Monsieur Pelot ! Je suis passé vous prendre, il est déjà 7h00, avec le maquillage et l’habillage, ce ne sera pas de trop !

La porte s’ouvrit, laissant apparaître le Père Noël..

- Ha ! pas trop tôt ! Vous êtes prêt ? Je vois que votre costume est déjà enfilé, c’est parfait.

- Ben…

- Vous avez adopté le style Hinana, vous apprenez vite ! Les boots mauves, c’est parfait.

- Hon…

- Alors, on y va !

- Coâ-coâ !

- Pardon, vous avez dit ? Fouettard, l'air ennuyé, rajusta les pans de son costume de Père Noël.

- Et... vous chauffez toujours à 26 degrés ?

La veille, Maesath avait emmené les Nadias en virée nocturne. Arthur Tungalik essayait désespéremment de s'ôter de l'esprit une chansonnnette ridicule que Fouettard sussurait à son doggy bag, allant jusqu'à ouvrir le frigo pour lui parler.

- Mais arrête d'ouvrir tout le temps le frigidaire, Fouettard, enfin ! Et ma mousse au chocolat ! Il lui faut du froid !

- Pomme de rainette et pomme d'api...

Cassy était devenue la meilleure amie de Lucile. Quant à Jacques, il était parfaitement heureux d'avoir retrouvé le Père Fouettard.

- Tout de même, le Renseignement Militaire…

- Ben, avec quelques têtes nucléaires, on attire forcément les curieux.

Ils n’allaient tout de même pas laisser toutes ces histoires assombrir leurs retrouvailles. Leur amitié se fondait sur cette confiance, aveugle, qui veut que quoi que l’autre fasse, ce sera bien, dissipant ainsi toute inquiétude.

- Père Fouettard ! Tu reprendras bien un petit coup de ce Schnaps ? Et puis ferme ce frigo, ça le réchauffe ! Je ne sais pas comment ils font ça, les Antarctes, c’est à la fois doux et râpeux, et ça brule à peine. Tu sens ce goût de grillé ? Il paraît que ce sont des algues.

- Ben…

- Goûte que je te dis !

De fil en aiguille et de verre en verre, le Père Fouettard avait bien senti qu’on allait vers un plan B en platine massif, doré sur tranche. Aussi, avec l’aide de Cassy, il avait couché Jacques auprès de Lucile endormie. Il les avait considéré tous deux un instant puis avait préparé le costume, pour le lendemain. Mais les chaussons, il n’avait pas pu les trouver. – C’est pas bien grave ! c’est joli les boots !

Sauf qu'en les enfilant au matin, il avait failli écraser sa grenouille.

- Mince ! T'es réveillée !

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