Fouettard enchainé

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Pendant ce temps à Notanou City, le Père Fouettard n’en menait pas large. Il avait été libéré. Mais c’était grâce à l’intervention de son ami Jacques, et Jacques avait été enlevé.

- C’est ta faute, si le Père Noël n’est plus là !

- Mais où t'avais la tête ?

- Qui va nous payer ?

En face de cette situation insurrectionnelle, la résistance des pouvoirs en place n’avait aucune chance. Au bar du Lue Kou, à Notanou, la réunion de crise battait son plein.

- Moi, c’est bien simple, je n’ai plus le cœur à rien !

- Autant remballer nos papillotes.

- Il faut retrouver Jacques !

- Ça sera pas facile… En Antarctie, ils ont inventé des tas de trucs. Y’a un tas de règles, dès que tu bouges, tu vas en prison. Même eux yzy comprennent rien. Même qu’yzont fait un règlement pour assortir les couleurs des chemises et des pantalons, quand tu sors dans les zones sous-glaciaires. Yzont des brigades spéciales, qui te reluquent, et que si t’as pas le bon habit, du genre mode hippie des années 1960, ben t’as des soucis. « Monsieur, la tenue là, c’est Gaou. Je suis au regret de vous coller une amende. Si vous voulez être Hinana, vous pouvez choisir la chemise rose avec le pantalon vert d’eau, à la rigueur avec le gris perle. Mes salutations cordiales» Voilà ce qu’ydisent. Parce qu’en plus, ysont les plus polis du monde. Ydisent aussi qu’ysont les plus civilisés, et bien fiers de leurs belles moustaches en pointes, avec ça !

- C’est vrai ça ! On dirait le Père Fouettard !

- Ben tiens, j’avais jamais remarqué…

Le Père Fouettard n’était pas à la conversation. Il avait un nouveau jeu, et nourrissait Sandwich à la volée, attendant qu’il passe en rase-motte pour lui lancer des bouts de saucisse Knackie. Il finit par apercevoir tous les regards braqués sur lui.

- Ben…

- C’est vrai ça, que t’as de belles moustaches d’Antarcte… Tirebouchonnes-les un peu ?

- Ben…

- Ça alors ! Y’a pas à dire, c’est plus que véritable. Ça te dirait pas un petit voyage touristique en Antarctie ? On t’habillerait incognito, à la mode du pays !

- Et tu nous ramènes le Père Noël ?

- T’es obligé, c’est ta faute !

L’ambiance insurrectionnelle prenait enfin une direction précise. Kevin ferma le bar pour l’après-midi. Depuis les bureaux du Lue Ku, on réserva un billet d’avion pour l’aéroport de B21, et tout ce qui pouvait se trouver de propagande Antarcte fut imprimé.

- Vous foutez pas le foutoir dans ma comptabilité !

- T’inquiètes pas, on est une équipe professionnelle.

- Et voilà un bon petit dossier à lire dans l’avion… « Petit guide des usages Gaou et Hinana»

- Un article de presse du « B21 Hodiow » ! « Arrivée du Père Noël prévue demain matin à 9h00, à la Résidence de notre cher Président. Retransmission télévisée en direct à partir de 8h30». Tu peux être sûr qu’on regardera la télé !

- Noumea-B21, départ 12h43, arrivée 18h17. Je te réserve un hôtel… Voyons, le Dôme Hôtel. Parfait !

- Ha vous êtes revenus avec des vêtements ! Super ! On passe aux essais.

- Elle en pouvait plus, la pauvre vendeuse. Au bord de la crise de nerf ! On pouvait pas lui expliquer que c’était pour faire Hinana, et tout ça.

- Polo jaune, pantalon mauve, parfait.

- Chemise verte, pantalon marron. non. Mais avec pantalon gris, oui. Tu iras pas te gourer, Père Fouettard ? Lis bien ta documentation. Tu évites le rouge. C’est réservé à leur Président.

- Et un bonnet de ski ! Trouvé en solde dans le quartier chinois.

- Bon, ben va falloir que je repasse à l'hôtel prendre mes affaires, et puis quelque chose dans le frigo pour la route... Vous savez s'ils connaissent la paëlla en Antarctie ?

Quelques heures après, la petite équipe des Lutins faisait ses adieux au Père Fouettard. Ce dernier, porté par l’enthousiasme de toute l’équipe du Père Noël et taraudé par le remord, sentait monter en lui une détermination farouche. Parfaitement incognito en parka rose et boots mauves, son bonnet sur la tête, ses collègues lui virent de loin prononcer un discours inaudible et faire le V de la victoire, tête et buste penchés au dessus de la fenêtre de la navette qui devait l’emmener de l’hôtel Aurora à l’aéroport, avant d’être courtoisement - mais fermement - invité par une hôtesse blonde à rentrer dans l’habitacle. Au volant de la navette, conduisait en silence un homme sombre, chapeau sur la tête dans la nuit. Sur le siège passager, à côté du conducteur, se trouvaient soigneusement pliés un poncho, des couvercles de pots de confiture montés en collier, et des guirlandes colorées. A l’arrière, un tahitien taciturne suçait un batonnet d’eskimo double chocolat vanille, qu’il glissa une fois terminé dans la poche d’une chemise hawaïenne largement ouverte. Le Père Fouettard regardait, béat, les lumières de la ville. Pour la seconde fois, il venait de se faire enlever.

Il venait de le vérifier. Tout allait bien. Grenouillette tenait la super forme ! Elle avait du se réveiller, car elle avait mangé un bon quart de la barquette. Il avait bien fait de prendre des asticots de premier choix. Elle avait maintenant repris son hybernation.

- Dors, ma rainette, Fouettard est là pour te protèger ! Tu veux pas une berceuse ?

Il essaya de faire la conversation à l'homme à côté, qui venait d'entamer son second batonnet.

- Vous venez d'où ?

- De l'Arctique, au Pôle Nord.

- Et vous êtes venu faire quoi au Notanou ?

- Prendre quelqu'un, et puis après on repart.

- Vous êtes resté longtemps ?

- Trois heures.

- Ha. Et vous allez où comme ça ?

- Au Pôle Sud, en Antarctie.

- ça alors ! Moi aussi ! Mais c'est un hasard extraordinaire ! Et vous avez aimé le Notanou ?

L'homme ne répondit pas, se contentant de fixer sur lui son regard. Mais le voyait-il ? Il se souvint d’une pensée pleine d’affection pour ses chiens qui l’attendaient, là haut.

Puis les succions rythmiques de la glace sur le batonnet attirèrent chaman Tungalik en un lieu de résonnances qui l'absorbait en lui-même.

Arthur Tungalik n’en pouvait plus.

Plissant les yeux, il absorba les dernières parcelles de glace du batonnet.

Même si c'était accompagné de ce personnage insondable, Fouettard, qui parlait tout seul à une barquette de lasagnes et lui chantait des chansons, Il était désormais impatient d'aller découvrir les terres sauvages et secrètes de l'Antarctie.

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