Pièce montée

4 minutes de lecture

Le colonel de l’armée Australe, adossé à la camionnette de Chez Hertzel, réfléchissait, une tasse de café à la main. Il regardait ses hommes, des militaires aguerris, puis laissa glisser son regard vers les deux français, les deux guzzos comme il les appelait, employant un terme Austral particulièrement dépréciatif.

- Des mangues repérées par satellite ! Quels artistes ! Mais j’ai bien rigolé.

Le colonel était tout de même embêté. Avoir des prisonniers, des prisonniers Antarctes, il avait l’habitude. Mais ces mines inquiètes, effarées, apeurées, ces Lutins, ne l’inspiraient guère. Il était soldat. Pas gardien de prison. Quand à la Demoiselle, c’était autre chose. Oui, elle était des leurs. Mais c’était une femme. Notanouenne. Et idéaliste, en plus ! Trop idéaliste, même pour un Austral.

- Peu efficace face à nos ennemis, tout ça. Se disait le colonel, en avalant sa dernière gorgée de café. Il aurait mieux valu qu’ils soient allés trainer dans les pattes des Antarctes… Le colonel se gratta l’arête du nez, ce qui était chez lui signe d’une réflexion fructueuse, ou d’un mensonge. Mais comme il ne disait rien, on pouvait en conclure que c’était probablement une idée, qui faisait, tout doucement, son chemin. Il se tira la moustache, la lustrant d’un geste machinal, ce qui était signe de contentement. Une idée germait, sous la casquette du colonel-motard, et c’était visiblement une bonne idée. A le voir sourire, on ne pouvait en douter. Le colonel avait une idée, et elle lui plaisait.

Deux heures après, en milieu de matinée, une camionnette de livraison de Chez Hertzel, traiteur-pâtissier bien connu au Notanou, se garait devant la propriété de madame Lechat.

- Dring ! Dring ! Dring ! La porte s’ouvrit.

- C’est la livraison ! La pièce montée pour Madame Lechat !

- Vous devez faire erreur…

- C’est curieux, au village, on m’a dit : La grande propriété avec la terrasse et la piscine, vous ne pouvez pas la rater, c’est la seule dans la vallée. Madame Lechat. Son fils Monsieur Lechat souhaite lui faire la surprise pour Noël.

La jeune femme blonde qui venait d’ouvrir la porte était très ennuyée. Elle regarda la jeune fille brune, casquette sur la tête, tee-shirt blanc et lunettes de soleil. Ce n’était pas prévu dans le plan, ça. Ils partaient dans deux heures, dans le cadre d’une mission ultra secrète, l’Opération Père Noël, pour exfiltrer Jacques Pelot à destination d’un Etat étranger nouvellement créé, l’Antarctie. Il s’agissait de profiter de son aura hors-norme pour créer un nouveau mythe, proclamer à la face du monde qu’en raison de la fonte accélérée de la calotte polaire arctique, le Père Noël déménageait au Pôle Sud, de façon définitive. Le Père Noël allait devenir un des attributs inaliénables de la souveraineté Antarcte.

- Nous sommes ici pour les vacances, je vais prévenir Madame Lechat.

- Merci, nous allons garer le camion, sur la pelouse devant l’entrée...

Nadia devait en référer au général. Il s’agissait d’un contact avec l’Etranger, les Nations. Elle n’était pas très à l’aise. Le général Gallina sembla lui aussi ennuyé. A deux heures du départ, il ne fallait pas donner l’impression qu’il y avait un problème.

- Bon, ce n’est pas très grave ! Nous allons la réceptionner, cette pièce montée ! Je vais voir la vieille.

Le général monta à l’étage, non sans avoir prévenu ses hommes, qui allèrent se poster aux endroits stratégiques de la résidence.

- Madame Lechat ! Quel plaisir de vous voir ! Dit le général en ouvrant la porte. Je ne vais pas y aller par le quatrième chemin, comme on dit chez vous, avez vous un fils, et ce fils peut-il vous envoyer une pièce montée pour Noël ?

- J’ai mon petit Albert, c’est sûr, il vient me voir. Il est toujours là pour les fêtes, à Pâques, au Nouvel An, pour mon anniversaire, la Chandeleur, la fête des Mères…

- Et Noël ?

- Et Noël. Mais là il est parti pour une affaire très importante : l’enlèvement du Père Noël. Y’a pas de sot métier comme on dit. Il est dans la police, vous savez ? Je suis sûr qu’il est en train de leur mettre la main dessus, à ces malfrats !

- Merci, madame Lechat. Vous allez me suivre. Nous allons réceptionner cette livraison.

En descendant l’escalier, le général Gallina réfléchissait. – Si la police nous avait repéré, ils ne s’amuseraient pas à nous envoyer des pièces montées, c’est idiot… Les Australs ? Ha ! Voyons. C’est une petite bonne femme qui conduit la camionnette, et les deux livreurs… Il donna un coup d’œil rapide par la fenêtre. - Non, même déguisés. Pas des Australs ! Avec un service militaire de 3 ans, après des années d’une guerre secrète sur les terres glacées de l’Antarctique et de nombreuses privations, le profil des Australs était plutôt élancé, toujours en alerte. Même en civil, des années même après l’arrêt de tout service actif, le général Gallina savait reconnaître un militaire. Et encore plus un militaire Austral. – Démarche molle, attention flottante, de la graisse autour des hanches et du ventre, creusement de la poitrine, dos vouté… Guzzos. Le général Gallina avait prononcé son jugement. Des guzzos inoffensifs.

Il sortit au bras de Nadia, jouant au couple amoureux. Mamie Lechat prit la parole.

- C’est pour quoi ?

- C’est une commande de Monsieur Lechat. Une pièce montée.

- Je suis bien contente, dit mamie Lechat. Mais j’ai pas de sous pour donner la piastre, il faut que j’aille en chercher.

Le général, exaspéré, fit signe à Nadia d’accompagner Mamie Lechat, et commença une discussion avec la charmante jeune fille en jean, casquette et lunettes noires, qui venait de garer le camion.

- J’espère que vos gâteaux sont aussi bons que vous êtes jolie, mademoiselle… A défaut de pouvoir goûter ce qui ne m’appartient pas, peut-on au moins voir ?

- Si vous parlez de la pièce montée, cela est tout à fait possible.

- Madame Lechat a bien de la chance d’avoir des surprises !

Lucie ouvrit la porte arrière de la camionnette.

- Quelle surprise, général Gallina ! Content de vous revoir !

Les portes s’étaient ouvertes sur cinq motards lourdement armés. Le général eut un mouvement de recul. Il venait de reconnaître le colonel Gerlitz. - Je ne vous le conseille pas, général ! Lucile, mince silhouette brune, tenait fermement un 9mm Mauser.

Brusquement, le général n’avait plus faim. Cinq motos rugirent, sortant du camion, encadrant le chef Antarcte. Chacun des pilotes arborait fièrement la moustache Australe.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Julie Sansy ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0