Un schizophrène n'est jamais seul

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- Je l’ai trouvé dans le grand banian, inspecteur ! Pas de sang. Juste comme ça, comme endormi.

Le petit matin s’était levé sur le commissariat central de Notanou, dévoilant un spectacle désolant. Le directeur de l'Aurora Hotel Grand Luxe pendait, lamentablement suspendu aux branches dans l’entrelac des racines aériennes.

Le Grand Banian organisait l’espace, dans la cour centrale. Il n’y avait pas de meilleur endroit, pour un mort. L’inspecteur Lechat prit connaissance des pochettes en plastique contenant les effets personnels. Il lut les cartes de visite.

- Enguerrand Lemêtrier - Directeur de l'Hôtel Aurora Grand Luxe - Diplômé de l'Ecole Hôtelière de Lozère - 17 Promenades des Plages.

L’une des pochettes, en particulier, intriguait Lechat. Elle contenait trois balles. Il regarda la trogne à l’envers du directeur. Il avait dans la gorge, profondément enfoncé, un objet ressemblant à une canette de bière Number One.

- Tssh… Encore un qui a un problème avec l’alcool… Il resta pensif un moment. – Tu vois, mon gars, dit-il au garde en faction devant le Grand Banian, et bien, les morts parlent… Ils sont même souvent trop bavards. Dès que vous aurez l’autopsie, montez-là moi.

Le Notanou était un pays où tout, ou presque, se savait.

Il trouverait.

Pendant ce temps, à l’hôtel Aurora, autour de la table du petit-déjeuner, les membres de la «Bonheur Limited», les dénommés Steeve, Enzo et Mickey, que tout le monde appelait les Lutins, se renvoyaient la responsabilité de la disparition du Père Noël. Il n'était pas rentré de la nuit. Personne n'avait de nouvelles.

Ils avaient ignoré les petits signes qui accompagnent les gros malaises, et se sentaient coupables.

- Je le savais bien. Reprit Steeve. Depuis quelques temps, quelque chose n'allait pas. Vous vous souvenez, le Noël chez la duchesse de Solange ? Lorsque Jacques et la duchesse se sont assis, côte à côte au piano pour entamer une pièce à quatre mains, bramant à qui mieux mieux, se lançant des oeuillades, roucoulant leurs trilles ! Il a fallu les séparer, de force, le duc d’un côté, le Père Fouettard tirant de l’autre ! Sous les yeux de leurs petits-enfants ! A quatre-vingts ans !

- Et quand il a disparu, toute une semaine ! Il voulait voir la mer. On a retrouvé sa voiture en Bretagne, en face d’un îlot minuscule à cinq cent mètres de la côte. Ce sont les gendarmes qui l’ont ramassé. Des touristes se sont plaints qu’un sauvage nu hantait les dunes. Il a déclaré qu’il avait fait sécher ses habits après la pluie, puis que le vent les avait emportés, avec son kayak. Il est resté comme ça, trois jours, à manger des œufs d’albatros, des moules et des algues…

- Moi, je pense souvent à son frère qu’est à l’asile et qui passe son temps à parler aux petites bêtes qui sont sous terre. Il les voit surgir, comme ça, il leur cause, et puis elles repartent quand ils ont fini. Un jour, je suis allé le voir avec Jacques. C’est pas Dieu possible comme ils se ressemblent ! Et puis le frère a commencé à discuter avec… enfin, avec ces choses. Et Jacques a pris part à la conversation, avec eux tous, au grand complet ! J’étais très mal à l’aise, le palpitant à cent à l’heure. Je voulais qu’une chose, partir ! J’ai rien dit, au retour, dans la voiture. Au bout de vingt minutes, Jacques a seulement secoué la tête - Mon pauvre frère…

Depuis, je regarde Jacques d’un autre oeil. J'm'attends toujours à ce qu'y nous fasse, lui aussi, une crise ophrėnique !

Ils n’eurent pas le temps de poursuivre, car la porte s’ouvrit.

= Le Père Noël ! Jacques ?

Leur joie fut de courte durée. L’Homme Rouge, qui retirait sa barbe en tirant sur l'élastique, n’était pas celui qu’ils attendaient.

C’était Fouettard, qui revenait d’un Noël matinal. Il remplaçait son patron disparu.

- Mais enfin Père Fouettard comment que t’as pu faire ça ? Perdre le Père Noël !

- Ben… Comment faudra que j’explique combien de fois ? Hier, j’attendais Jacques dans la camionnette, comme convenu. Je m’étais assuré que tout le matériel était là dans la salle. Le trône, l’arbre de Noël, des paniers de bonbons, les cadeaux. Quand je l’ai vu descendre par la fenêtre, j’en croyais pas mes yeux, quel spectacle ! Il a jeté des poignées de papillotes et des cadeaux pour attirer l’attention, et hop ! Il est apparu devant les portes de l’Aurora, comme s’il tombait du ciel ! Avec son Ho HO ho ! Joyeux Noël les enfants ! C’était très émouvant. Après, je sais pas ce qui s’est passé, j’ai attendu qu’il termine, je regardais la mer, il a dû sortir et partir. J’ai rien fait !

- Père Fouettard, t’es sûr que t’as rien vu ?

Celui qui se laissait appeler Père fouettard, surnom qui lui venait du rôle qu’il assumait dans les régions traditionnelles du Saint Nicolas, était le souffre-douleur de l’équipe, et plus particulièrement de Mickey et Enzo. Steeve était plus posé, plus réfléchi. Mais ses sorties moqueuses étaient d’autant plus perfides qu’elles étaient rares, et bien souvent plus à propos. Le Père Fouettard, ancien légionnaire, était fidèle à son vieil ami Jacques. Son jugement était sûr. C’est donc lui qui, au besoin, le remplaçait.

- Y’a bien un truc… Mais c’est bizarre. J’ai vu un homme qui poussait une brouette remplie de bourre de cocos, il avait un poncho en serpillère, et des colliers en couvercles de pots de confiture. Il attendait devant l’hôtel. Puis je l’ai vu partir avec une femme blonde, les paupières maquillées en bleu. Elle avait des guirlandes de Noël dans les cheveux. Et puis, autour du cou aussi.

- Mais quel rapport avec Jacques ?

- Ben, Noël, les guirlandes, quoi. Quelqu’un qui s’habille avec des guirlandes, ben, c’est comme qui dirait un indice. L’autre aussi avait l’air déguisé.

Hier en soirée, ils avaient cherché partout, dans tous les bars et boîtes de nuit de Noumea. Depuis déjà presque 24 heures, leur patron avait disparu. Ils étaient prêts à tout entendre, mais il y avait des limites.

- Père Fouettard, t’as vraiment perdu un plomb dans la Légion. Steeve se leva en soupirant. Enzo et Mickey, affalés sur le lit et le canapé, approuvaient.

Après quelques minutes de silence pesant, où Mickey alluma la télé, Steeve sortit fumer sur le balcon, et Enzo se cura consciencieusement le nez, on entendit toquer à la porte.

- Toc-toc-toc ! C’est Jacques, ouvrez !

La porte de la chambre s’ouvrit sur un Jacques méconnaissable en chemise hawaïenne et lunettes noires, un badge au nom de A. Wagner au revers de la chemise, et un paquet sous le bras.

- Bloody hell, les gars ! Dit-il en s’affalant dans un fauteuil, enlevant ses lunettes. Le Père Noël a besoin de ses Lutins, c’est la guerre !

C’était Jacques. Le regard du Père Fouettard s’alluma. L’ancien légionnaire sourit, et jacques souriait aussi. Les Lutins, attendaient, sourire aux lèvres.

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