JE BUREAU TOUJOURS

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Je retrouve mon antre. Bureau sans fenêtre avec vue sur internet. Mais je délaisse. Je ne courrielle pas. J’aspire au papier. Je voyage par timbres. Les pourpres s’emmêlent aux ivoires, ils se marient de profil, ils dessinent des utopies.

Le courrier, je l’ouvre, je le tamponne, je le lis.

Je lis tout. Factures, commandes, vœux, copies pour information, plaintes, menaces, délations… mais les candidatures spontanées me possèdent. Émancipées, elles s’affichent libres de toute pression. Le ton badin dissimule l’urgence. Décontraction de la photo, sourire léger accompagné d’une liste de compétences à essouffler la lecture. Vingt-cinq ans et une existence qui déborde sur papier glacé. Les blancs sont comblés dans tous les sens. Ecriture horizontale, verticale, recto-verso, feuille doublée. Puis démonstration des motivations. Exercice de style qui fout le vertige.

Je conserve les plus belles. Les plus belles déclarations, les plus belles expériences, les plus belles filles. Punaisées contre ma cloison, je les imagine au fait d’une carrière prodigieuse, affichées dans les canards, adulées par la foule. Je les rêve stars du porno ou présentatrices de catastrophes. Je leur concède des bourgeoisies mafieuses à l’orée d’une carrière politique. Puis je les croise, décrépites aux commandes d’une caisse automatique d’une enseigne dégoulinant la bonne affaire. Les doigts plongés dans le mécanisme récalcitrant du rouleau papier, la mine déconfite au courant d’air des portes automatiques. J’en contemple d’autres poussant leur chariot débordant de gosses, la patience en crise, la paire de mornifles et l’insulte en bandoulière. J’observe celles qui se révoltent contre leur compagnon de coït à propos du produit vaisselle pas assez mentholé. J’esquive dans le rayon boîtes de conserve avant de filer à l’anglaise avec un paquet de spaghettis.

Où sont passés leurs sourires ?

Placardés sur mon mur.

J’entache le gris de leurs espoirs, je peuple mon placard de prénoms familiers. On dégoise ensemble des profondeurs de l’inexistence et des jardins japonais. On invente un monde des restes de soleil, on explose de liberté en trajectoires insensées. Je vois les voyelles des couleurs. Elles les gobent puis en font des bulles. Nos mots s’envolent en arc-en-ciel. L’arlequin est mon pote.

On toque, on s’impatiente. Le courrier doit être délivré avant onze heures. C’est pas la première fois qu’on me le dit. Ça va finir en conséquences néfastes. Parce qu’on attend. Tu es au début de la chaîne. C’est pas toi qui reste jusqu’à nuit noire pour boucler les dossiers. T’es le plus heureux.

J’ai toujours été le plus heureux. Mes frères ingénieurs et mes sœurs clarinettistes ne cessent de le clamer à l’ombre des sapins bariolés. Avant eux, mes vieux le claironnaient à toute la maisonnée. Ca tombait nu comme un avis d’imposition sur le revenu. Ca me colle froid du petit dernier.

Le bonheur est dans mon chariot que je pousse plein d’enveloppes louches aux chiffres agressifs. Je cogne aux portes des bureaux clos. Pendus au téléphone, ils se détournent.

Les matins aigres, je les espère suicidés. Je glisse sur les moquettes dégradées ternes et je pose les enveloppes dans des bannettes plastiques noires. Je m’en retourne priant qu’ils ne respirent plus. Eclate un merci odieux. La poignée claque la lourde, je fuse sur le lino.

Arrêt machine à café. Je me greffe aux lamentations. Aujourd’hui pas de compassions internationales, pas de mépris national. Mais des inquiétudes plein les visages. Au bord des gobelets s’épanchent des rumeurs de licenciements. Les coudes se resserrent. Solidarité de misère. Je m’affranchis, je pousse les bras :

- Je voudrais un chocolat.
Chuintement de commisération :

- Tiens, je te l’offre.
Il puise au fond de son coupé sur mesure la petite monnaie de sa fraternité.

- Chocolat Corse ?

Blague de camés à la servitude.
Je le remercie parce que je suis bon.
Puis ma carriole et moi, on se tire. Nous avons un record de vitesse en ligne de mire.

Décliné de couloirs pour handicapés avec épingle au milieu. Rhumatismes grinçants, avenir arthritique, je me rebelle. Mon chariot hennit. Il rumine l’échec de vendredi. Le chrono frémit au creux de ma paume. Casque de carton, démarche de pilote, concentration de bobsleigh. J’actionne le sprint et… je plonge sur mon compagnon. Jambe serrées, bras aérodynamiques. Trajectoire parfaite. Epingle du Yucca à l’horizon. Crissements de gomme, deux roues dans l’air. Je relance contre le mur. 360° avalés. Excitation.

Emballement.

Le vent vibre le carton. Le masque cogne aux paupières. Ma monture se cabre devant une épluchure. Roulé boulé dans un nuage de courriers.

Injures sous neige.

Nez contre Sa pompe reluisante, IL me contemple. La dernière lettre finit son balancier. IL me tend la main. J’éteins les douleurs de mes côtes. IL me redresse.

Pas un mot. Silence de fuite.

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