Chapitre 30 - Pour te retrouver

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Frederik ne comprenait pas pourquoi les troupes restaient ici sans rien faire. Elle-même tournait en rond, et il ne manquait pas grand-chose pour que ses nerfs lâchent. Un peu plus loin, au sud, une menace grandissait, elle en était persuadée. Et le roi s'y trouvait, tout comme son capitaine.

— C'est énervant à la fin !

Elle avait presque crié. La jeune femme ne supportait pas l'idée de savoir le danger aussi proche et ne rien pouvoir faire.

— Tu es à bout de nerfs. On dirait un volcan qui va entrer en éruption.

C'était la voix de Feiyl. Frederik ne comprenait pas comment il pouvait rester aussi calme dans un moment pareil. Elle lâcha :

— Comment peut tu rester sans rien faire alors que le capitaine est de l'autre côté de la frontière. Et le roi aussi. On n’a aucune nouvelle ! On ne sait même pas s’ils sont encore vivants !

— Ils sont vivants.

La voix ferme du dragon était calme. Frederik secoua la tête.

— Comment peux-tu être aussi sûr de toi ?

— Ils sont vivants... Parce que je sais qu'ils ne se laisseront pas tuer aussi facilement.

L'apprenti éclata d'un rire nerveux.

— Tu es naïf, Feiyl. J'aimerai bien avoir autant confiance en eux que toi.

Elle tourna la tête vers la forêt au sud.

— Si seulement nous pouvions aller là-bas...

La jeune femme poussa un soupir à fendre l’âme. Son regard se posa sur Elrynd, qui se trouvait un peu plus loin. Ce dernier était assis sur l’herbe et semblait perdu dans ses pensées. Frederik s’approcha de lui et demanda d’une voix ferme :

— Combien de temps encore allons-nous rester ici sans rien faire mon général ?

Le paladin sursauta en se tournant vers son apprentie. Il lui répondit d’une voix lasse :

— Je n’en ai aucune idée. On ne peut rien faire pour le moment, si ce n’est attendre d’avoir de nouvelles informations.

Frederik secoua la tête en pestant.

— Attendre ? Vous ne savez donc faire que ça ?

Elle était visiblement plus qu’énervée. Sans attendre de réponse de la part de son supérieur, elle continua :

— A force d’attendre sans réagir, vous allez tout perdre ! Vous ne vous êtes même pas battu pour avoir le cœur du capitaine et vous l’avez laissée partir avec un autre sans réagir ! Elle vous a envoyé promener et vous vous êtes arrêté là. Vous n’avez même pas cherché à vous battre pour conquérir son cœur ! Vous… Vous…

L’apprenti paladin était rouge de colère.

— Vous n’êtes qu’un idiot !

Les mots étaient sortis tous seuls. Elrynd avait baissé la tête, ne sachant pas quoi répondre. Frederik s’était éloignée, visiblement contrariée. Elle pensait qu’il se serait fâché, qu’il aurait au moins cherché à se défendre. Mais il n’en était rien.

— Idiot !

Elle souleva de la poussière d’un coup de pied vengeur. Elle n’arrivait pas à comprendre le comportement du général. Il aimait toujours cette femme, elle en était sûre et certaine. Il avait compris qu’il n’avait aucune chance, mais plutôt que d’avancer, il restait sur place à ne rien faire et se morfondait sur lui-même.

Frederik avala un grand bol d’air pour se calmer un peu. Elle savait très bien que ses sentiments pour Elrynd étaient beaucoup plus qu’une simple amitié. Elle avait apprécié la soirée qu’elle avait passée dans son lit, à ses côtés. Même si tout cela n’avait été que le résultat d’une terrible frustration, même si cet homme lui faisait pitié, elle était sûre d’une chose : elle l’aimait.

Cela faisait au moins deux bonnes heures que Freyki et Jaelith marchaient depuis qu'ils avaient atteint l'air libre de la forêt. L’humain avait remarqué que sa compagne était fatiguée. Elle avait les traits tirés et luttait pour tenir debout.

— Nous allons nous reposer un moment. Vous êtes à bout.

Elle hocha la tête avant de s'assoir à même le sol. Sa robe était dans un état lamentable. Toute sale et déchirée au niveau des jambes, elle s'en débarrasserait dès qu'elle le pourrait. Freyki s'était assis à l'ombre d'un grand rocher. Bras croisés, il ferma les yeux, cherchant à récupérer un peu. La princesse l'observait, silencieusement, de ses grands yeux bleus. Au bout d'un moment, elle rompit le silence de la forêt.

— Pourquoi être venu sur nos terres avec vos hommes ?

Le roi loup fut surpris, mais se rappela rapidement que son interlocutrice avait perdu la mémoire. Sans aucune gêne, il répondit :

— Pour vous récupérer.

La jeune femme ne comprenait pas. Devant son visage ébahit, l'homme à la cicatrice continua :

— C'est une longue histoire...

— Pourriez-vous me la raconter ?

Freyki avait soupiré. La jeune fille s’était rapprochée de lui et l'avait écouté avec attention.

— J’ai vécu toute mon enfance à Goldrynn, la capitale du royaume des humains. Un jour, un clan de dragons noir a attaqué la cité et tué mon père.

Jaelith avait sursauté, mais l’homme à la cicatrice continua de raconter son histoire.

— J’ai beaucoup perdu ce jour-là, mais c’est aussi là que je l’ai rencontrée.

— Qui ça ?

— Toi…

Elle ouvrit de grands yeux ronds et le dévisagea. Est-ce qu’il était sérieux en lui disant cela ? Freyki reprit la parole.

— La vision de cette femme aux longs cheveux blonds se battant contre un terrible dragon noir ne s’est jamais estompée de mon esprit. Elle est revenue, bien plus tard, alors que j’avais grandis et que j’étais devenu roi. Je l’ai aimé dès le premier regard. Ensemble, nous avons battu un autre dragon noir. Et elle est partie retrouver sa patrie, déchirée par l’inquiétude…

Elle le regardait, les yeux remplis de larmes.

— Freyki…

Elle s’était jetée dans ses bras. Surpris par l’attitude de Jaelith, l'humain recula. La voix tremblante, elle s’excusa :

— Vous avez dû tellement souffrir…

Le roi loup avait posé son bras autour de la taille de la jeune femme et l’avait rapproché de lui. Un léger sourire aux lèvres, il lui murmura :

— J’ai souffert… Mais j’ai connu un bonheur immense en étant à tes côtés.

Le regard de la jeune femme s'était remplit de tristesse. Elle soupira puis leva la tête vers le ciel. Ce dernier était bleu et sans nuage, et le soleil brillait de mille feux. Pourtant, un vent frais soufflait à travers les arbres, et Jaelith frissonna.

Loan attendit la première heure pour signaler la disparition de la princesse. Au fond de lui, il espérait qu'elle ait réussit à s'échapper. Mais à présent qu'il voyait les Drinvels fouiller partout dans le palais et les environs, il en doutait. Le caractère de la jeune femme lui rappelait des souvenirs. Elle n'était pas la fille de Jaelen pour rien. L'elfe sortit de la chambre et tomba nez à nez avec le grand sage. Ce dernier demanda d'une voix forte :

— Vous n'avez pas une idée de l'endroit où la jeune princesse aurait pu aller ?

— Eh bien...

Loan se mordit la lèvre inferieur. Il n'avait jamais été un très bon menteur.

— Peut être la bibliothèque... Ou le temple du Dieu Cerf au milieu de la ville... Ce sont des endroits qu'elle apprécie.

— Très bien.

Le serviteur s'inclina avant de continuer à participer aux fouilles. Kerninos s'était rendu dans la grande salle où l'attendait l'Impératrice. Cette dernière était dans une rage folle.

— Où est passé cette petite idiote ? Quand vous la retrouverez, je jure sur le Dieu Cerf qu'elle passera un mauvais quart d'heure.

— Je me doute que sa disparition est importante, mais...

— Trouvez-là et ramenez-là ! Je ne veux revoir personne avant !

Le sage s'inclina respectueusement avant de sortir. Si l'Impératrice était plus occupée par sa nièce que par la guerre en approche, c'était une bonne chose. Il espérait juste que la jeune fille ne serait pas rattrapée trop rapidement. Tandis que le sage se dirigeait vers le temple, il croisa le chemin de son frère. Ce dernier semblait énervé par la disparition de sa future épouse. Il demanda d'une voix sèche :

— Elle a été retrouvée ?

Kerninos secoua la tête.

— Pas encore mon frère... Personne ne sait où elle a pu aller.

— Mais quelle idiote... Si elle pense que fuir est la meilleure solution !

— Elle m'a fait part de ses craintes te concernant.

Le Drinvel haussa les épaules.

— Ses craintes... Je me fiche bien de ce qu'elle peut penser. Elle n'a qu'à rester sagement ici et attendre notre mariage. Etait-ce trop lui demander ?

— Elle ne t'apprécie pas... La princesse ne comprend pas ton comportement. Elle ne supporte pas l'idée d'une guerre entre notre peuple et les humains. Et je dois dire que son point de vue est le plus censé.

Enki avait les yeux rivés dans ceux de son frère, attendant la suite de ses paroles. Le sage n'attendit pas très longtemps avant de continuer d'une voix ferme :

— Une bataille signifierait la ruine de l'armée et du pays ! Notre peuple doit être sauvé du péril ! La guerre doit être menée à bonne fin mon frère !

Le Drinvels s'était contenté d'un sourire hypocrite, ce qui fit sortir Kerninos de son calme. Il hurla :

— Tu ne veux toujours pas m’écouter après tout ce que je viens de te dire ?

Sa voix résonnait de plus belle, mais Enki secoua la tête et répondit d'une voix las.

— Non. Tes paroles ne sont qu’utopies futiles. Les humains rêvent d’attaquer notre territoire. Tant que leur roi sera entre nos murs, ils n’oseront rien.

— Les humains ne sont pas aussi mauvais que tu le prétends. Je t’en prie, retire tes troupes !

— Pourquoi ? Nous gardons la forêt. Nous attaquons les étrangers. Je ne vois pas ce qu’il y a de mal à cela.

— Il y a autre chose Enki…

— Autre chose ? Bien entendu ! Nous allons gentiment étendre notre territoire vers le nord et massacrer des humains. C’est ce que tu voulais entendre ?

Les yeux du sage s’écarquillèrent de stupeur. Un sourire mutin sur les lèvres, Enki continua :

— En tant que sage, ton devoir n’est-il pas de protéger la famille royale ? Et où est donc la princesse à cette heure-ci ? Ton irresponsabilité pourrait avoir de graves conséquences, mon frère !

— Il n’y a aucun moyen de te convaincre alors… Très bien. Alors j’irai voir quelqu’un de plus influant que toi.

— Comme tu veux Kerninos. Mais je ne crois pas que cette personne ne te prête l’oreille comme tu l’entendes.

L’astre d’argent brillait de mille feux dans la nuit sombre. La lumière bienveillante des étoiles illuminait la grande forêt. Ils avaient marchés tout le restant de la journée, s'arrêtant de temps à autre pour se reposer. Jaelith observait ce silencieux spectacle. A ces côtés, le roi loup ne la quittait pas des yeux. Même si elle avait perdu la mémoire, même si elle n’était plus la même, il l’aimait toujours. La voix claire le sortit de sa rêverie.

— Freyki… Quand nous arriverons sur le territoire des humains, vous resterez à mes côtés ?

— Pourquoi posez-vous cette question ?

— Eh bien… J’ai un peu peur… Ma tante me parle des humains comme si c'étaient des monstres. Je sais que ce n'est pas vrai, mais... A part vous, je ne connais personne d’autre…

— C’est triste…

L’homme à la cicatrice baissa la tête. Il repensait à Feiyl, qui, il en était sûr et certain, attendait impatiemment le retour de la jeune femme. Comment réagira-t-il en voyant que celle qu’il a toujours adorée ne le reconnaitra pas ? Freyki soupira.

— C’est triste, parce que beaucoup d’humains vous connaissent… Beaucoup d’humains vous respectent…

— Comment peuvent-ils me connaitre ?

L'humain sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Si seulement il savait qui avait effacé la mémoire de son aimée... Si seulement il connaissait le moyen de la lui rendre... Il lui avait dit d'une voix triste, éludant la question qui venait d'être posée :

— Il est tard... Nous partirons avant le lever du jour. Reposez-vous.

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