Un merveilleux accueil 

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  • Bonjour mademoiselle !

À peine était-elle entrée dans le bâtiment, qu’un homme d’une soixantaine d’années, les cheveux blancs, le visage en lame de couteau accueillit Amy de sa voix chevrotante. Ses yeux cernés étaient d’un bleu profond, aussi intense que le regard qu’il portait sur elle. À la manière dont un passionné admire une oeuvre d’art, il observait la jeune fille. À sa vue, on aurait dit que le temps s’était arrêté.

L’instant ne dura que quelques secondes mais pour Amy, il parut s’écouler des heures avant qu’un homme, la démarche assurée, s’avance vers eux, rompant ainsi le silence. Son costume noir surmonté d’une cravate de la même couleur et les lunettes au verre teinté qu’il portait lui donnaient un air d’agent de sécurité de haute volée. Du coin de son oeil au bout de son menton, une large cicatrice balafrait son visage. Sa carrure imposante aurait impressionné quiconque l’aurait croisé. Amy ne dérogea d’ailleurs pas à la règle et baissa les yeux quand ce dernier passa devant elle pour venir s’adresser à son père.

  • Vous avez ce qu’il faut ? lui demanda-t-il alors, l’air grave.

Au côté de l’armoire à glace, le père d'habitude fort et fier qu'Amy connaissait, le protecteur qu'elle aimait tant, avait désormais l’allure d’un jeune enfant. Dans son poing serré, il tenait la mallette en cuir. Depuis leur départ, il ne l’avait pas lâchée. C’était maintenant pour lui le moment de s’en séparer. Sans un mot, il laissa alors son précieux bien glisser dans les mains meurtries du molosse qui, après un maigre signe de tête en guise de remerciement, s’éloigna, le trésor bien calé entre ses griffes.

Tout s'enchaina ensuite très vite pour Amy. Elle n’eut droit qu’à un petit bisou vite fait et son père partait déjà, escorté par deux charmantes assistantes... ne lui en déplaise ! Déjà, il l'avait oubliée. De loin elle le regardait, les larmes aux yeux, glousser entre ces deux perruches.

C'est ce moment inoportun que choisit le vieil homme pour s'exclamer l'air guilleret :

  • Alors Amy tu viens avec moi ?

Du haut de ses treize ans, Amy était seule maintenant. Elle ne pouvait plus reculer. D'un sourire, elle emboita alors le pas.

L'homme la conduit tout d’abord dans un immense ascenseur, si grand qu’il aurait presque pu y loger tous ses gardes du corps. Une fois à l'intérieur, il appuya sur l’avant dernier bouton indiquant le vingt-deuxième étage de la tour. Amy s’en était toujours cachée mais depuis toute petite la peur du vide la pétrifiait au plus haut point. Un vertige devenu insurmontable au fur et à mesure des années. Plus elle se sentait monter et plus son corps se raidissait, son souffle se faisait plus rapide, ses mains devenaient moites.

Alors qu’elle se sentait défaillir, la machine stoppa soudain sa course au huitième étage pour laisser monter une femme vêtue d’une longue jupe plissée. Durant un moment, Amy se sentit presque rassurée.

  • Bonjour monsieur le directeur, salua poliment la femme, dévoilant ainsi la mystérieuse identité du vieil homme. Puis se tournant vers Amy, elle l'interpella , bonjour mademoiselle, et laissa un temps avant d’interroger : "Tout va bien ?"

Interloqué par cette question, le directeur se tourna vers la jeune fille. Le teint livide, cette dernière suffoquait presque.

  • Oui ça va, répondit-elle tout de même en forçant un sourire, j’ai peut-être un peu faim c’est tout.
  • Très bien ça ! S’exclama le directeur ravi, arrêtons-nous au onzième alors, notre chef fait une cuisine excellente vous verrez !

Amy se sentait déjà soulagée. Elle se souvenait du temps où sa meilleure amie habitait au treizième étage d’une tour à New-York, si elle avait pu monter aussi haut petite elle pouvait réessayer de surmonter sa peur une nouvelle fois deux étages plus bas.

Ding… Alors que la sonnette de l’ascenseur résonnait encore, les portes s’ouvrirent sur une sublime salle de réception. En entrant, Amy eu le souffle coupé face à la splendeur qui s’étendait sous ses yeux. Sur un parquet d’une blancheur immaculé se reflétait un immense lustre. Des bougies, disposées près de gigantesques baies vitrées, donnaient à la pièce un éclat sans pareil. Au centre du restaurant, un buffet formait un arc de cercle autour duquel les clients se rassasiaient avec joie. Amy n’avait jamais vu un tel lieu.

D’un geste de la main, le directeur l'invita à prendre place à une magnifique table dans un coin de la pièce puis s’installa à ses cotés. À peine étaient-ils assis qu’un serveur arriva pour prendre leurs commandes. Sans lui laisser le temps s'exprimer, le directeur commanda deux plats du jour, puis voyant la mine circonspecte de la jeune fille, il se pencha vers elle pour lui murmurer :

  • Je suis sur que tu apprécieras.

Quelle ne fut pas la stupeur d'Amy, quand le serveur revint. Des lasagnes ! C’était son plat préféré, en effet. Son père détestait ça, cela faisait donc bien longtemps qu’elle n’en avait pas mangé. Chez elle, on ne cuisinait pas de surcroit, le dernier repas préparé qu’elle avait mangé, c’était chez sa grand mère durant les vacances de Noël il y a deux ans, un ramassé de choux de Bruxelles peu ragoûtants, au goût atroce.

  • Alors, heureuse ? Interrogea l’homme, attentif.
  • Très ! Répondit Amy les yeux brillants. C’est le plat que je préfère comment l'avez-vous su ?
  • Ah j’ai mes secrets, reprit-il visiblement fier de sa surprise, mais il faut dire que j’en raffole aussi ! Alors est-ce que tu aurais des questions à me poser avant que l’on commence Amy ? C’est important pour moi que tu te sentes à l’aise !
  • Oui ! S’empressa de répondre la jeune fille, pressée de commencer l’excellent dîner qui lui tendait les bras. En quoi mon hypothétique participation à cette expérience pourra-t-elle vous être utile ? Je veux dire sauf votre respect, je n’ai que treize ans et ma vie est on ne peut plus banale, si vous saviez…
  • Je sais très bien Amy. Mais c'est une bonne question que tu poses là. Voyons, imagine que chaque personne sur terre puisse donner son opinion sur n’importe quel sujet, que des gens de tous âges, de toutes cultures, de tous horizons puissent sérieusement exposer leurs idées ça ne serait pas l’idéal pour toi ?

Amy dévisagea un court instant l’homme puis rétorqua un peu hésitante.

  • Si… mais on a internet pour ça maintenant, des plateformes de discussions où presque tous le monde peut donner son avis de nos jours, n’en déplaise à certains d'ailleurs…
  • En effet, mais vois-tu exposer ses idées c’est une chose, les mettre en pratique c'en est une autre. Combien de fois as-tu pu voir de prétendus grands auteurs exposer leurs thèses sur un monde idéal sans jamais avoir bougé de leur chaise ? Combien de fois, des gens respectés et respectables ont envoyé des communiqués, des lettres pour faire changer les choses ? Rien n'a changé. Seul les levées de fonds, les levées de masse ont amené à un changement. Seulement ces soulèvements sont dangereux, n’est-ce pas ? Imagine Amy, si de nos jours, les économistes, les politiques, les dirigeants de ce monde pouvaient tester l’impact de leurs décisions directement sur une société fictive. On pourrait éviter les krashs boursiers, les malentendus internationaux, les guerres ! Aujourd’hui ça n’est qu’un prototype mais demain ? Ton rôle à toi dans ce projet sera de tester sa viabilité, son efficacité, mais surtout de t'amuser. Grâce à ce jeu virtuelle, tu vas pouvoir créer ton monde à toi. Qui n’en rêverait pas ?

Le directeur était convainquant. À première vue, cela semblait correcte et puis ça n’était qu’un début, en cas de souci, il n’y aurait qu’à arrêter l’expérience, ça n’engageait à rien. Amy se trouvait maintenant de plus en plus impatiente.

Mais alors qu’elle n’avait pas fini son plat, elle fut prise par de violentes douleurs à l’estomac. Gênée, elle s’excusa, prétextant une envie pressante et demanda les toilettes.

  • Au fond du couloir, s'exclama le directeur. Toujours aussi souriant.

Amy s’empressa de se diriger vers l’endroit indiqué. Seulement, alors qu’elle était presque arrivée, une main la saisit par le poignet pour l'emmener à l'écart. Amy ne savait plus où elle se trouvait, les bruits des serveurs résonnaient toujours mais autour d’elle il faisait entièrement noir. D’une voix paniquée, une femme lui chuchota rapidement à l'oreille :

  • Surtout ne répond positivement à aucune question, ne suit pas les instructions, et part avant le début de l’expérience, une fois cette dernière débutée tu ne pourras plus t’enfuir !

Puis un bruit sourd se fit entendre et la femme rejeta Amy dans le couloir. Le coeur de la jeune fille se serra. Quelque chose ne tournait pas rond ici. Elle devait s’éloigner. Elle allait prétexter un empêchement puis courir le plus loin possible de ce sordide endroit.

Mais alors qu’elle retournait s’assoir, son ventre lui fit encore plus mal. La douleur devenait insurmontable. Autour d'elle, les murs commencèrent à danser, le lustre se mélangeait au buffet. Sa respiration s'accéléra. Amy tenta de s'aggripper au bar mais trop tard. Dans un dernier soupir, elle s'évanouit.

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