La rentrée

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J’avance jusqu’au portail du lycée. De nombreux élèves se pressent pour le passer, en discutant joyeusement. Ils finissent tous par s’agglutiner autour des panneaux d’affichages pour connaitre leur classe, et autant de pleure que de cri de joie inondent la cour. Je prends le même chemin que les autres, sans rien attendre de spécial de la liste puisque je ne connais personne. Je suis nouvelle. Ça ne m’effraie plus, on a tellement déménagé…

Mes yeux passent de colonnes en colonnes sur les affiches sans trouver mon nom. Après un soupir, je me résolu donc à avancer dans la foule pour voir les autres panneaux. Je bouscule quelques personnes et jette à nouveau un coup d’œil aux papiers. Bingo ! J’ai trouvé ma classe. Deux personnes à côté de moi font glisser leur doigt sur la liste où j’ai lu mon nom.

- Il n’y a que des gens qu’on aime pas… râle la jeune fille

- Ce n’est pas grave on est très bien tous les deux, répond son camarade avec un haussement d’épaule

Je les observe un instant. Ils ont tous les deux les cheveux blancs aux épaules, un petit nez retroussé, des yeux bleus très pâles et un style vestimentaire sombre. On dirait des jumeaux. Et ils le sont probablement. Je les suis, quelques mètres en arrière, pour rejoindre notre salle de cours. Je suis rassurée de voir que je ne suis pas la seule à être atypique ici. Bien qu’ils ne semblent pas vouloir le cacher, et moi si, je me dis qu’on pourrait être amis. Mais bon je ne me fais pas d’illusions. Je suis nulle pour me faire des amis. Ma sœur Ersulie est persuadée que c’est parce que je fais tout pour cacher « ma vraie nature ». Mais je ne suis pas d’accord. Personne n’a besoin de savoir à quel point ma famille est étrange, à quel point je le suis aussi. Et puis notre grand frère paraît tout à fait normal et se fait plein d’amis, je devrait en être capable aussi.

On est six enfants dans la famille, et autant de garçons que de filles. On a deux mamans, mais ce n’est pas ce qui est le plus inhabituel… On a des croyances et des traditions assez uniques. Etant petite j’ai toujours eu l’impression d’être décalé, d’avoir grandi dans un autre monde, d’être différente. Et c’est un peu ça au final.

Cela fait une heure qu’on nous rabâche le règlement en nous distribuant des papiers. On nous fait passer une fiche pour noter nos projets d’études, et je ne sais toujours pas quoi marquer… Je ne me vois pas faire un métier barbant comme tous ce que les autres veulent. J’aurais bien aimé devenir chirurgien, mais les études sont bien trop longues et fastidieuses. Alors je ne marque rien et la tend à mes camarades de derrière, les jumeaux aux cheveux blancs.

- Tu veux toujours être médecin légiste, s’amuse le jeune homme

- Oui, répond sa sœur, pourquoi je changerais d’idée ? On travaillera ensemble si tu arrives àêtre détective, ricane-t-elle

C’est deux heures plus tard, lorsque le professeur d’histoire-géo nous demande de former des groupes, que j’ose parler à ces énergumènes aux cheveux blancs. Ils ne remarqueront peut-être pas trop que je suis bizarre, puisqu’ils le sont aussi…

- Je peux me mettre avec vous ? demandais-je avec assurance

Ils semblent surpris, mais finissent pas sourire et acquiescer.

- Tu dois être nouvelle pour proposer innocemment de te mettre avec nous, dit le garçon

- Oui je suis nouvelle. Personne ne se met avec vous d’habitude ? demandais-je étonnée

- On est les jumeaux bizarres que tout le monde évite parce qu’ils sont creepy, explique la fille

- Ça me va ! dis-je enchantée d’avoir trouver quelqu’un à mon niveau

Avec un peu de chance je paraîtrais normal à côté d’eux. Oui, c’est une drôle de réflexion, mais j’ai vécu toute ma vie en étant considérée comme la fille bizarre alors j’ai bien compris que je ne pouvais pas donner l’illusion de normalité toute seule.

Ils paraissent à nouveau surpris et se présentent :

- Mélissandre Dubost, dit-elle en me tendant la main

- Et moi, Alban !

Les autres élèves nous lancent un drôle de regard.

- Ils ne sont pas habitués à ce qu’on parle à quelqu’un, c’est tout, affirme Mélissandre avec une note de mépris dans la voix.

Je hausse les épaules.

- Vous devez avoir drôlement bien forgé votre réputation…

Alban rit en hochant la tête.

- Bon parlons de cet exposé maintenant.

Comme on est mercredi, la sonnerie de midi annonce la fin des cours pour la journée. Je sors de la salle en compagnie de mes nouveaux camarades et une fois arrivés devant le portail on se dit au revoir. Malheureusement, on prend la même direction. Et si je trouve ça regrettable c'est que je redoute qu’un jour ils trouvent où j’habite. A ce moment-là, peu importe leur niveau d’étrangeté, ils comprendront que je suis bien au-delà d’eux et ça les fera fuir. Qui ça ne ferait pas détaler une famille sataniste aux mœurs suspectes ?

- Oh tu habites par-là toi aussi ? dans quelle rue exactement ? questionne Mélissandre

- Hum j’habites plutôt loin, dis-je, ce lycée n’est pas le plus proche de chez moi.

- Nous c’est pareil, on habite vers le boulevard Marchand.

Je retiens une grimace. Moi aussi… Je marche avec eux, tout en réfléchissant à quel détour je vais prendre pour qu’ils ne se doutent pas de mon lieu de résidence.

J’arrive finalement chez moi avec 20 minutes de retard. Mais je n’avais pas le choix. Mon petit frère de 6 ans, Appolyon, m’accueille avec enthousiasme. Il a de petites cornes rouges accrochées dans les cheveux et me dit avec un grand sourire :

- Regarde, je suis un démon ! Un sbire de Satan ! Grrr, tremble fillette !

- Oui c’est bien Appo’, dis-je sans conviction

Ma mère, Lilith, apparaît à son tour .

- Oooh je suis trop fière de toi petit démon, lance-t-elle à mon frère d’un air ravie

Je me retient de lui dire que quelqu’un de normal ne ferait pas ça, j’ai déjà essayé et ça ne change rien.

- Asmodée ma chérie va donc à table, tes frères et sœurs finissent de manger.

Je hoche la tête et pose mes affaires avant de les rejoindre. Chez nous tout est sombre. Certaines pièces sont entièrement noires et dorées, d’autres rouges et noires, parfois du gris ou du violet, mais rien de très varié en somme. Il y a des peintures et des sculptures du diable un peu partout, et même des autels. Bref c’est flippant, mais on s’y fait.

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