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Les deux parents s'étaient promis de ne jamais laisser leur fille avoir son propre ordinateur avant au moins son entrée au lycée. C'était donc sur l'ordinateur de Natalie, considéré comme l'ordinateur fixe de la maison, qu'Eila allait naviguer ou faire ses recherches scolaires.

Victor avait appris très tôt à sa fille à protéger ses données, en conservant ses fichiers dans un support numérique physique à garder avec elle, il lui avait acheté une clé usb en fome de panda qu'elle adorait et qu'elle gardait en porte-clé, clé qu'il avait paramétrée pour éviter tout virus.

Si journal intime il y avait, sûr qu'il était dedans, mais sa clé était toujours avec elle. En revanche, si Eila n'avait pas d'ordinateur, elle avait un téléphone portable depuis son entrée au collège, pour les prévenir à chaque absence d'un professeur, donc elle devait posséder un réseau social, c'est une évidence, et y aller régulièrement avec son téléphone.

Le lendemain matin, alors qu'Eila était en cours, Victor commença donc à faire le nécessaire afin de savoir si sa file possédait un réseau social, il essaya les principaux, trouva très rapidement et réussi à récupérer les mots de passe de sa fille afin d'attérir sur ses comptes : un réseau de partage de photo et le réseau social le plus répandu au monde.

Il commença par le réseau social où sa fille ne semblait pas vraiment active. En revanche, sa messagerie, elle, l'était, Eila était régulièrement induite dans des conversations de groupe où elle se faisait insulter, Victor se mit à tout lire.

Entre les insultes, on trouvait des menaces de morts, des invitations au suicide, de l'humiliation, du rabaissement. Des photos prises à son insu, n'importe quand dans la journée, alimentaient les railleries, on lisait "porcasse" quand elle mangeait au réfectoire ; Porcasse ? Mais pourquoi ? Eila n'avait même pas le début des prémisses d'un problème de poids ! Ou encore "Triso" s'ils avaient réussi à l'avoir quand elle a son air concentrée en cours, la bouche légèrement ouverte.

Le dernier message datait d'il y a tout juste deux heures

"J'ai hâte de te retrouver pour te cracher à la gueule, salope"

Et Victor pouvait remonter le fil de plusieurs mois d'insultes. Il approcha la main de sa bouche, effaré,

"Oh merde"

Il s'enfonça au fond de son fauteuil, les deux mains paume contre paume devant sa bouche, les larmes aux yeux. Eila vivait ça. Elle vivait ça depuis six mois. Ce monde était fou, il était complètement absurde, comment pouvait-on en arriver là ? C'était quoi le problème de ces gosses ?

La même dizaine de noms revenait toujours dans ces messages, huit étaient idenfiables par leur vrai nom, deux étaient des pseudonymes, mais en accédant à leur profil, il vit que tous venaient du collège d'Eila.

A ce moment précis, Victor sentit une colère monter en lui, il eu envie de trouver ces enfants et de les frapper, de frapper leurs parents, de frapper les professeurs, les surveillants, les autorités du collège... Victor en voulait à tout le monde, parce qu'il s'en voulait surtout à lui-même, de ne pas avoir réagit plus tôt, d'avoir laissé se dérouler cette horreur pendant des mois.

Il prit son téléphone et ouvrit sa messagerie, retrouva le fil de la conversation avec sa femme et lui envoya un message.

"Je sais ce qu'il se passe avec Eila, c'est grave.
Il faut qu'on en parle"

Plusieurs minutes après, alors qu'il continuait d'éplucher les conversations, il reçut une réponse.

"Je t'appelle à midi ?"

Victor et Natalie travaillait dans deux villes différentes distantes de plusieurs dizaines de kilomètres, leur maison était située au juste milieu, ils ne se retrouvaient qu'une fois le soir arrivé.

"Non, il faut que je te montre, on regardera ça après manger, quand Eila sera dans sa chambre
-Ok, tu vas arriver à bosser ?
-Pour aujourd'hui, j'en doute
-Tu veux pas me dire ?
-Harcèlement scolaire
-Et cyber ?
-Ouais
-Ok, on en parle ce soir, ferme tout, va prendre l'air et reprend le taf. Je t'aime
-Je vais essayer. Je t'aime aussi."

Il enregistra toutes les conversations afin de les montrer à sa femme le soir même sans avoir à être à nouveau sur le compte de sa fille, mais il savait très bien au fond que s'il avait regardé ce soir, de nouveaux messages seraient apparus.

Il accéda alors au réseau de partage de photo, Eila y était bien plus active, il remonta plus haut, au début du harcèlement, sa fille postait des photos d'elle avec fluffy, leur samoyede de huit ans, parlant de son échapattoir, de son besoin d'évasion, de son sentiment d'étouffement. Puis les photos deviennent de plus en plus sombre. Il trouva alors une photo postée il y a quatres jours à peine, une lame de cutter entre les lèvres, maquillée en noir dégoulinant sous les yeux comme s'il avait coulé après avoir pleuré et en légende :

"La seule solution ?"

Le monde de Victor s'écroula, l'idée même de perdre sa fille était insupportable. Il décida d'écouter sa femme, ferma tout, partit prendre l'air, mais fut incapable d'être efficace au travail.

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