17 : L’erreur est humaine

2 minutes de lecture

Cimetière Saint-Joseph

Martigues (13)

le 5 avril 1982

Un homme pleure en silence devant la tombe de sa fille. En cette heure matinale, les visiteurs se font encore rares dans les allées. Alors, il peut laisser libre cours à son chagrin, à cette peine incommensurable qui ne s’atténue pas avec le temps. C’était il y a longtemps pourtant, dix longues années déjà. Mais le poids des regrets est toujours là, à voûter un peu plus chaque jour ses épaules. Dans sa main, le vent fait battre cette lettre qu’il lit et relit inlassablement depuis plusieurs minutes. La dernière lettre que Salomé avait adressée à Samuel et Maxime.

***

Martigues, le 3 mars 1964

Samuel, Maxime,

Cela fait plus de deux ans que j’ai quitté l’Algérie, deux ans que je vous écris et que vous ne répondez pas. Je ne comprends pas...

Que toi, Sam, tu m’en veuilles encore, je peux le concevoir, mais toi, Max ! Toi, mon ami, mon frère ! Comment peux-tu m’avoir oubliée ? Que t’ai-je donc fait pour que tu m’ignores ainsi, aussi longtemps ?

Moi, je ne vous oublie pas, vous savez. Non, je ne vous oublie pas… Souvent, je pars me balader, flâner sur le rivage, souvent je m’assois à même la grève et regarde au loin, vers le large. De l’autre côté de la Méditerranée. Oran, Aïn El Turk. Là où j’ai laissé mon passé, où je vous ai laissés vous… Parfois, je repense à nous trois sur la plage, ou devant le fort de Santa-Cruz, quand on fumait en cachette nos premières cigarettes. Et ça me manque. Et VOUS me manquez. Oui, vous me manquez tellement !

Je vous aime…

Salomé

***

Les yeux du vieil homme, appuyé sur sa canne, s’embuent à nouveau d’émotion.

— Pardon ma chérie, sanglote le patriarche. Pardon de ne jamais avoir posté tes missives, ces bouteilles à la mer que tu jetais alors, pleine d’espoir. Je pensais que c’était mieux pour toi, mieux pour nous. Je voulais que tu les oublies, que tu oublies ce passé qui nous a fait tant de mal, à toi comme à moi. Mais j’ai eu tort… Peut-être que si vous vous étiez revus dans d’autres circonstances, si Maxime avait compris plus progressivement et plus tôt que rien n’était possible entre vous, le destin ne nous serait pas aussi violemment revenu en pleine face, comme un boomerang. J’ai toujours voulu te protéger, Salomé, mais en tournant ainsi le dos à mon fils, en t’empêchant d’avoir la moindre chance de renouer avec ton frère, je t’ai mise en danger sans le savoir. Je nous ai trahis…

Armand Dellière laisse le vent emporter la lettre de sa fille et tire de sa poche intérieure une liasse de vieilles enveloppes jaunies qu’il répand sur le marbre.

— Pardon ma chérie, murmure-t-il encore dans un souffle. Je t’aime...

Le vieil homme se sent partir. Il sent que c’est l’endroit et l’heure pour tirer sa révérence, il vacille sur sa canne. Un étourdissement le saisit, son pouls s’accélère, son cœur s’emballe. L’image d’une Salomé petite fille sera la dernière qu’il emportera avec lui avant de perdre connaissance. Avant de mourir, dix ans après elle. Jour pour jour.

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