C'était l'été...

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En bonne méditerranéenne, je n'aime guère le froid... seule la neige trouve grâce à mes yeux, un reste d'enfance, sans doute. J'ai cependant peu de raisons de me plaindre : au sud, les hivers sont doux et généreux en journées claires et ensoleillées. Et pourtant, je suis en manque d'été dès les premières dorures de l'automne ; j'en ai la nostalgie alors même qu'il n'est pas totalement mort...

Une photo, une chanson, une simple parole même, l'évocation de la mer, tout me ramène à ces souvenirs précieux, qui viennent s'échouer sur ma mémoire comme autant de trésors un temps engloutis par les flots.

Et dans les derniers jours de l'hiver, je me souviens... C'était l'été...

Le soleil déjà haut dans le ciel répandait ses rayons dorés jusqu'au cœur de la pinède, et à travers les aiguilles encore vertes, ils semblaient se charger de leur odeur entêtante, chlorophylle et sève sucrée mêlées. Les cigales en grésillaient de joie, toutes entières concentrées sur la défense de leur territoire brûlé de chaleur. Bientôt prendrait fin la saison de leurs amours, mais qu'importe ! Aujourd'hui l'essentiel était de chanter, de préférence plus fort et mieux que le voisin, pour la plus grande satisfaction de cigalettes attentives à distinguer l'artiste le plus doué de la chorale.

Seul contrepoint aux cymbalisations délirantes des insectes, le léger ressac de la mer toute proche... régulier bruissement de sable fin et de petits galets roulés par les vagues du large, qui viennent mourir sur la plage en y déposant leur tribut de coquillages, brisures de corail, bois flottés et autres merveilles polies par les flots...

La chaleur devient plus forte hors de l'abri des arbres, alors qu'à l'inverse, la brise fraîchit. J'aime particulièrement ce moment où le sentier des pins s'arrête, qu'il faut quitter leur ombre parfumée pour s'avancer sur la dune. Les derniers arbres sont les plus proches du bord, ceux que rien ne protège. Cela se ressent sur leurs formes particulières, torturées par un vent chargé d'embruns, jardinier sauvage, créateur d'anamorphoses.

La brise de terre qui caresse mon dos, plus tiède que celle venue de la mer, a le parfum de la flore et de la fonge : teneurs minérales, sèves et humus amalgamés. De la mer viennent des effluves iodés, à la saveur fraîche et piquante, encore faibles. Mais je sais que plus je m'avancerai vers l'eau, plus leurs arômes se feront présents...

La plage se dévoile, découpée sur l'écrin de la dune hérissée de touffes d'oyats, de chardons ou d'euphorbes... et de giroflées tricuspides qui ajoutent leurs subtiles senteurs poivrées au tableau olfactif ambiant. La mer est d'un beau bleu profond, légèrement plus vert que celui du ciel... Elle semble fraîche par contraste, et apaise ma peau enflammée de soleil. L'absence de fortes vagues permet de s'y enfoncer lentement, progressivement... Sur son chemin l'eau provoque de légers frissons, fugaces... Elle est pure et transparente, et ma présence intrigue un banc de petites dorades qui viennent danser autour de mes jambes, alors que je m'avance vers le large.

Quand je suis immergée jusqu'aux épaules, je glisse sous la surface, m'imaginant créature marine. Mes perceptions se modifient, et l'espace d'un moment je m'y abandonne : la terre et ses cigales s'effacent alors que le ressac devient grondement qui résonne et pulse en moi, fort comme le battement d'un cœur immense, animant l'élément liquide et matriciel, ventre géant grouillant de vie.

Puis je remonte vers la lumière, à bout de souffle, et il me semble franchir une porte entre deux mondes, une frontière entre le royaume des origines et notre univers moderne.

Hélas... Ni écailles ni branchies... Il faut retourner à la pesanteur terrestre... Sur ma peau désormais salée s'attarde l'odeur iodée de la mer, au goût de paradis perdu...

C'était l'été...

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