Nous venons tout juste d'arriver pour notre réunion quand soudain, une forte détonation se fait entendre. Dans le même temps, les murs du bâtiment tremblent violemment, vitres comprises, et tous les systèmes d'alarme des voitures à proximité se déclenchent, entrainant une cacophonie invraisemblable.
Le temps de maîtriser la fée technologie qui fait brailler nos moyens de transports, et nous sommes tous de retour dans la salle.

― C'est peut-être un des moteurs de l'échangeur thermique qui a fini de rendre l'âme ? interroge un des participants parmi les plus jeunes.

Mais le chauffage marche toujours, alors non, ce n'est pas possible... Et ce n'est pas du tout ce à quoi les plus anciens d'entre nous ont pensé !
Un dialogue digne de « l'enquête corse » s'engage presque sans effort, certains sujets de conversation sont comme le vélo : ça ne s'oublie pas.

― Cent ?
― Tu rigoles ?! Toute la bâtisse a tremblé ! Non, pas moins d'un kilo, je dirais.
― Ah oui, quand même... J'aurai pas dit autant, moi...
― Tu aurais dit quoi, alors ?
― Bah, plutôt dans les cinq cent grammes...
― Ha... Ouais, peut-être... Mais c'était près, alors. Moins de deux kilomètres.
― Deux kilomètres ? Mèche longue, c'est sûr.
― Ça va pas ?! On est en plein jour, c'était forcément une mèche courte !
― Heu... Y'a quoi comme administration, dans les deux kilomètres ?

Les plus jeunes nous regardent, comme à la télé. Certains pianotent sur leur smartphone, histoire de voir si quelqu'un, quelque part, a posté un truc à propos de l'explosion.
Un seul ne dit rien, et sirote tranquillement son café. C'est un membre de la famille *bip*, et tout le monde le sait : c'est un nid d'indépendantistes que cette famille-là. Des poseurs de bombes de père en fils, on leur verse la poudre directement dans le biberon ! S'il ne dit rien, c'est qu'il sait ! Et tout le monde lui tombe dessus : la mémoire de certains événements ne s'efface pas facilement, notre histoire nous colle parfois aux neurones, surtout dans ses épisodes les plus violents...

― Putain, vous faites chier ! ça vous manquait, l'ambiance des nuits bleues, ou quoi ?!
― C'est vrai, merde enfin ! C'est parce que Ma*chin* a prévu de faire une balade par chez nous, hein ? HEIN ? Je suis sûr que c'est ça !!!
― Ouais, sans déconner, quoi ! Je dis pas qu'il faut lui offrir des fleurs ou des chocolats à l'autre croix, hein ! Isula morta, ça va, mais une bombe pour fêter le truc en avance, vous poussez, là !
― Il a raison, la démocratie, ça passe par les urnes, même Edmond l'a dit ! Basta ! Pas question que vous recommenciez vos conneries !
― C'était une bouteille de gaz... lance timidement un des hyperconnectés du smartphone. J'ai eu l'info par un pote.
― Ah oui... C'est vrai que ça marche aussi, le gaz... Pas très classe, c'est un truc de règlement de comptes, ça... m'enfin... efficace. Et il sait ce qui a sauté, ton pote ?
― Heu... Juste la bouteille de gaz... Un gars probablement terminé à la pisse, qui a foutu le feu à un tas de ronces sans vérifier ce qu'il y avait dessous...


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Ma*chin* (dé-mi-ssion) : boutade emmanuellienne, et l'occasion pour moi de rendre hommage à Maxime Herbaut (auteur du délicieux « Agravelle ») qui souffre d'un syndrome présidentiel de la Tourette...
Isula morta signifie "île morte" : en gros, on ferme tout et on fait les morts pour dire qu'on n’est pas contents d'un truc. Une grève puissance 10, quoi... Vieille tradition locale.
Basta est assez connu je crois ? Au cas où, je précise toutefois que cela signifie "assez" au sens de "ça suffit" (qui se dit "Ava basta", en langue corse).
Edmond se réfère à Edmond Simeoni, médecin et surtout nationaliste corse bien connu pour son engagement politique en faveur d'un militantisme pacifique.