La véritable histoire de Muso-le-Terrible

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― Depuis la nuit des temps, nous régnons sur la Terre. Aucun autre être vivant capable de se mouvoir à sa surface n'est aussi grand, aussi lourd, ni aussi fort que nous. L'Homme lui-même le sait bien, qui doit user de ruses abjectes pour nous réduire en esclavage ! Mais moi, Muso-le-Terrible, j'ai réussi à échapper au monde des humains, voyez par vous-mêmes !

A ce point du récit, immanquablement, Muso-le-barratineur produisait, devant l'assemblée subjuguée de ceux qui n'avaient pas encore atteint l'âge de raison, une patte grise et massive où de larges cicatrices rosacées dessinaient un entrelacs compliqué, dont l'origine, quant à elle, se laissait deviner sans difficultés.

C'est qu'elle était célèbre dans tout le pays, l'histoire de Muso ! Capturé dans ses premières années de vie, il avait vécu longtemps sous le joug des humains avant de réussir à s'en libérer, presque miraculeusement. Il avait toutefois gardé gravées dans sa chair les marques des lourdes chaînes qui l'entravaient jour et nuit.

― Je n'ai peur de rien, alors que devant moi, le plus grand parmi les plus grands, tous tremblent et s'agenouillent, pétrifiés par ma magnificence ! pérorait-il tout en agitant vigoureusement ses oreilles en chou-fleur, la trompe dressée, frémissante d'un barrissement à peine contenu.

Alors, un soupir unanime prenait naissance en chaque éléphanteau et s'élevait de l'assemblée, car c'était vrai qu'il était tout particulièrement grand et fort, Muso. Certes privé de liberté, il n'avait par contre subi aucun rationnement en nourriture, et rien n'avait limité sa croissance, bien au contraire.

― Et le voilà reparti... soupira Jim, un des plus âgés parmi l'assistance.

― On y croirait presque, à force, hein ?! plaisanta Ida. Si je ne le connaissais pas si bien, moi... sans doute que je me serai laissée avoir comme les autres.

― Oui, chaque fois c'est la même rengaine ! Muso-n'a-peur-de-rien, Muso-est-le-plus-grand-et-le-plus-fort, bla bla bla bla. C'est agaçant à force ! Et tous ces gosses qui avalent ça et qui en redemandent, « Raconte-nous comment tu t'es échappé, ô grand Muso » singea Jim avec une voix poussée dans les aigus au maximum, ce qui produisit un son assez chuintant.

A l'autre bout du champ, Muso avait tressailli, et à présent, il interrompait régulièrement sa litanie de « Moi, je » pour balancer sa trompe et agiter ses oreilles, tout en lançant des regards furtifs de part et d'autres.

― Mais qu'est-ce qui lui prend, à ce grand dadais ? maugréa Jim.

― Tu ne le sais pas ? Je croyais que seuls les plus jeunes l'ignoraient encore ! lui répondit Ida, avec une lueur malicieuse dans ses jolis yeux bruns-roux. Observe avec attention...

Et Ida de se rapprocher discrètement de Muso, en émettant de léger bruits crissants... « Crouic » « Crouic » « Crouic » faisait-elle. Et le pauvre géant de se tortiller de plus en plus, au point de sembler sauter en l'air par moment pour éviter un adversaire qui restait invisible, la trompe soigneusement repliée sur son large front.

Un « Crouic » de trop, et n'y tenant plus, Muso détala à toute jambe en direction de la forêt, prenant à peine le temps de lancer un pathétique « Une envie pressante, les amis ! je reviens plus tard ! » qui laissa la jeune assistance sans voix.

― Tu m'expliques ? demanda Jim, aussi abasourdi que les éléphanteaux.

Ida peinait à retenir son rire, et entre deux éclats intempestifs, lui livra toute l'histoire.

― Ce sont les humains qui lui ont donné son nom, « Muso » pour « musophobie » dit-elle. Cet idiot est persuadé que les souris sont de petits êtres démoniaques capables de lui grignoter le cerveau en passant par sa trompe, comme si c'était possible. Déjà, faudrait qu'il ait un cerveau ! renchérit-elle dans un barrissement narquois. Tu devrais l'entendre parler « des monstres gris et velus avec des yeux rouges et cruels, qui se glissent sournoisement près de toi pour t'attaquer sans pitié »... sérieux, il en a les larmes aux yeux et des trémolos dans la voix, notre « plus grand parmi les plus grands » ! N'empêche... sans les souris, il y serait toujours, dans l'enclos des humains... La vérité vraie, c'est qu'il a eu tellement peur le jour où toute une famille de rongeurs est passée à côté de lui, qu'il en a brisé ses chaines pour fuir plus vite, ce grand couillon !

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