Génèse

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 « Dans les temps immémoriaux se perdent les combats qui secouent ce monde. Elles ne vivent que de guerre et de faim. L’hémolymphe souille tout. La nature crie sous les griffes acérées meurtrissant sa mousse perlée de lumière. Les chitines crissent sous les jets de venin, bouillonnent sous les tirs de plasma.

 Quand tout cela a-t-il pu dégénérer à ce point ? Quand ont-elles oublié qu’elles vivent toutes sous les mêmes feuilles ? Quand ces deux peuples ont-ils pu se déchirer au point de vouloir s’exterminer ? Les nymphes s’ouvrent sur le malheur, transmettant à leurs propres œufs la peur, la colère et la haine. La peur de mourir, d’avoir faim. La colère de partager un monde où il n’y a de la place que pour un. La haine. La haine de ces monstres sanguinaires qui arrachent la tête d’un coup de mandibule. La haine de ses abdomens remplis à ras bord du venin le plus corrosif du monde.

 Pourtant, lorsque les Fourmis et les Mantes avaient découvert ce monde, elles vivaient en harmonie. Ensemble, elles chassaient, elles partageaient la nourriture trouvée, et elles priaient les Artefacts que leur avaient confiés leurs dieux. Leur palais et leur temple étaient au centre de leur forêt, ouverts à tous. La paix régnait.

 Pourtant, au bout de quelques générations, des dissensions apparurent. Les Fourmis voulaient rassembler les Artefacts, afin d’accomplir la Prophétie qui leur promettait un Nouveau Monde. Mais les Mantes, elles, avaient rapporté un autre texte. Elles étaient certaines que le Nouveau Monde promis était un monde sans elles et leurs pulsions meurtrières qui poussait leur reine et toutes les femelles à dévorer leurs mâles. Et tout ce qui s’approchait trop innocemment. Combien de fois la guerre avait-elle failli éclater à cause d’une tête promptement dévorée ? Comment les Fourmis pouvaient-elles tolérer des voisines aussi dangereuses que les Mantes assoiffées d’hémolymphe ?

 Les Fourmis se défendirent de cette accusation. Leur but était le meilleur pour leurs sœurs, certes, mais pas au détriment des Mantes, leurs sœurs arthropodes, elles aussi. Mais la reine Chevok ne voulut rien entendre. Pour elle, c’était clair. Il fallait cacher l’Oeuf, leur soutirer cette arme destructrice, puisqu’elles ne pouvaient pas le détruire. Quant au Vaisseau, la grande Prêtresse Fourmi l’étudiait et il était hors de leur portée.

 Alors, une nuit, elle et une poignée de ses meilleurs guerrières se faufilèrent dans l’aile ouest du palais, qui élançait ses tours effilées vers le plafond de la grotte hérissé de stalactites de cristal, trouva la niche de la reine Xara. Après avoir anéanti ses gardes d’un coup de blaster, la reine Chevok s’arrêta devant Xara, étendue de tout son long sur un matelas de mousse, son énorme abdomen parcouru de dégoûtants soubresauts. Lentement, presque avec amour, Chevok approcha sa tête de celle de la fourmi.

 — N’oublie pas, Chevok, que tu seras responsable de cette guerre…

 Ce furent les derniers mots de la reine Xara. D’un coup de mandibule bien placée, elle lui trancha la gorge.

 Cette nuit-là, appelée dans la mémoire commune « la Nuit Bleue », les Fourmis furent chassées du Palais Étincelant qui jetait ses reflets lumineux sur la forêt. Les Fourmis eurent juste le temps de récupérer, dans le temple, le Vaisseau et les prêtresses Fourmis. Les survivantes trouvèrent refuge dans la Souche, leur grenier à œufs secondaire, aussi loin que possible que leurs ennemies. Elles y trouvèrent les guerrières qui devaient protéger les colonies de l’extérieur de la Forêt. Elles y trouvèrent celles qui pourraient rendre justice à leur reine mère Xara. Elles y trouvèrent celles qui pourraient les aider à récupérer l’Oeuf et ainsi prouver à Chevok que le Nouveau Monde était le salut de leurs deux peuples.

 Mais pour le moment, il était impossible de raisonner la reine Mante. Impossible de tranquilliser son peuple, avide d’hémolymphe. Alors, les Fourmis astiquèrent leurs abdomens, les gorgèrent d’acide formique tellement corrosif que les chitines fondaient sous les salves, tandis que les mantes aiguisaient leurs tibias et rechargeaient leurs blasters au plasma.

 Ainsi commença la Grande Guerre. »

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