La barrière

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 La cloche retentit enfin. Maha saisit sa trousse, son cahier et les fourra dans son sac sans ménagement, attendant à peine que le professeur à l’air sévère ait fini de parler. Les grincements de chaises d’une trentaine d’adolescents emplirent la pièce. Sans attendre plus longtemps, la jeune fille saisit ses affaires et sortit de la salle à la hâte.

 La foule était dense. Maha eut du mal à se frayer un chemin. Sa petite taille ne l’aidait guère. Elle devait jouer des coudes, pousser, se faufiler. Personne ne faisait attention à cette petite brune de moins d’un mètre soixante. Elle finit tant bien que mal par déboucher dans un couloir vide. C’était le couloir des salles d’art, désertées depuis une bonne heure. Enfin, elle respirait. Cependant, elle ne s’attarda pas. Elle réajusta son sac qui avait glissé sur son épaule et se hâta vers la grande porte du lycée. Elle dévala le dernier escalier, poussa le lourd battant vitré et se trouva enfin dehors.

 L’air frais de ce début de printemps lui cingla le visage, chassant de son nez les odeurs de ces couloirs bondés et la torpeur de ce dernier cours de mathématiques. Assommant s’il en était. Le professeur parlait d’une voix monocorde expliquant des formules compliquées qu’elle était obligée d’avaler, digérer et recracher pour le baccalauréat.

 — Maha ? Tu es déjà sortie ? demanda la voix grave d’un garçon derrière elle.

 — Hugo ! s’exclama la jeune fille. Je me suis dépêchée, oui, je n’en pouvais plus d’être enfermée ! Et surtout, je n’ai pas du tout envie d’être en retard à mon cours de karaté !

 — Ah oui, c’est ce soir ! À quelle heure déjà ?

 — 18h30, comme tous les mardis, tu sais bien, répliqua Maha. Tu sais où est Zélie ?

 — Elle ne devrait pas tarder, elle avait histoire-géo, le temps qu’elle arrive ! Vous avez de si petites jambes toutes les deux, je me demande comment vous survivez à vos journées !

 Maha toisa Hugo. Elle, lui et Zélie étaient triplés. Si les deux filles étaient toutes les deux petites et élancées, Hugo, lui était grand et rondouillard. Difficile à croire qu’il était né le même jour qu’elles !

  • Et toi, je me demande comment tu peux survivre tout court avec un humour aussi moisi ! lui lança-t-elle.

 Avant que son frère ait pu répondre, Zélie arrivait en trottinant, une pile de livres dans les bras, essoufflée et les joues roses d’avoir dû se dépêcher.

 — Encore des livres ? lui lança Hugo. T’en as pas assez de vider le CDI un peu plus chaque jour ?

 — Crois-moi, j’aimerais faire autrement, mais j’ai trop de travail ! Notre prof de littérature ne nous laisse pas vraiment le choix. Je passe mon temps à faire des recherches sur des œuvres et des auteurs que tout le monde a oubliés ! Tiens, mets ça dans ton sac, je n’ai plus de place dans le mien !

 Zélie tendait à son frère les trois gros livres qu’elle tenait dans les bras. Le garçon la regarda, incrédule, avant d’abdiquer et de les saisir avant de les jeter pêle-mêle dans son sac à bandoulière.

 — C’est pas juste, c’est toujours moi qui les porte alors que c’est toi qui les lis !

 — On a pas tous la chance d’être en mécanique sans fournitures ou presque ! répliqua sa sœur, d’un ton qui n’admettait pas la réplique.

 — J’ai quand même une trousse et un trieur… commença Hugo.

 — On peut y aller ? le coupa Maha. J’aimerais qu’on puisse passer au magasin avant mon cours. J’ai une faim de loup, j’ai soif et je ne vous cache pas que j’en ai assez d’attendre que vous ayez fini de vous bagarrer. J’adore ce lycée, vraiment. Mais pas assez pour y passer le peu de temps libre que j’aurais ce soir. Il est déjà presque 18h !

 Les triplés se mirent en route, discutant de leur journée, qu’ils passaient séparément. Chacun avait choisi une filière très différente. Maha avait choisi la voie de la science. Elle rêvait d’intégrer une école d’ingénieur et d’aller un jour dans l’espace. Hugo, quant à lui avait décidé d’intégrer une filière de mécanique afin de poursuivre son rêve d’être inventeur. Zélie, elle, avait choisi la voie du cœur en choisissant la littérature, son premier amour. Un jour, peut-être qu’elle pourrait transmettre cette passion dévorante à d’autres. Les deux autres la regardaient bizarrement lorsqu’elle leur en parlait, lorsque ses yeux brillaient en récitant des poèmes que personne à part elle ne connaissait. Ils échangeaient des regards tout aussi atterrés que ceux qu’elle-même leur jetait quand ils parlaient espace, moteurs, champs magnétiques et encore tellement d’autres termes qu’elle ne maîtrisait ni ne comprenait.

 Les trois adolescents prirent la direction du supermarché qui se trouvait à une dizaine minutes de marche.

 — Sacs s’il vous plait, fit le vigile de sa grosse voix.

 Dans un soupir, les triplés s’exécutèrent et lui tendirent leurs sacs. Ils étaient habitués au fonctionnement de cet établissement. Tous les adolescents devaient laisser leurs cartables à l’accueil, sous la surveillance du préposé à la consigne.

Ensuite, le vigile libéra le chemin, laissant les enfants libres de passer le portillon automatisé.

 — Allez, dépêchons-nous, je vais finir par être en retard ! râla Maha. On prépare la compétition de ce weekend, hors de question que je loupe cet entraînement !

 — Un combat reste un combat, comme les milliers d’autres que tu as faits, nota Zélie en levant les yeux au ciel. Ça ne te tuera pas d’en louper un !

 Maha lui lança un regard assassin, tandis qu’ils arrivaient au rayon des biscuits.

 — On prend quoi ? demanda Hugo.

 — Ce que tu veux, on s’en fiche ! Tant qu’on peut grignoter quelque chose !

 Le garçon s’arrêta, prit un air docte pour choisir la meilleure friandise. Son dévolu se porta finalement sur trois paquets, un chacun. De la fraise pour Zélie, du chocolat pour Maha et pour lui, de la noix de coco.

 — Et maintenant, la boisson ! déclara-t-il en se dirigeant à si grand pas vers le fond du magasin que ses sœurs durent lui courir après.

 — Mais attends-nous ! Avec tes grandes pattes, là ! s’écria Zélie.

 Leur frère eut un petit rire, mais ne ralentit pas pour autant. Quand les deux jeunes filles arrivèrent dans le rayon vide, Hugo était près du jus de pomme, choisissant encore avec soin la bouteille qu’il allait prendre. Alors qu’il se baissait pour prendre du jus pomme-raisin, les sablés à la noix de coco lui échappèrent des mains et glissèrent sous le rayonnage. Avec un soupir, l’adolescent se mit à plat ventre, étendu de tout son long sur le carrelage sale et mal agencé, et lança son bras pour récupérer le paquet de gâteau.

 — Aïe ! Mais c’est quoi ç… Hey ! s’écria-t-il. Les filles ! Venez m’aider ! Je ne peux pas retirer ma main !

 Maha et Zélie se précipitèrent, saisirent leur frère, l’une par le bas, l’autre par le pied et tirèrent dans un bel ensemble, tandis qu’Hugo continuait à crier. Rien n’y faisait. Il ne bougeait pas d’un millimètre.

 Le garçon sentit un fourmillement dans ses doigts, qui se propagea et s’amplifia si rapidement qu’il eut tout juste le temps de pousser un cri avant de sombrer dans l’inconscience. Ses sœurs, encore accrochées à lui s’effondrèrent sur leur frère avant même d’avoir compris ce qui leur arrivait.

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