Le 14 février [2/3]

7 minutes de lecture

Affalés et débraillés sur le canapé, nous ne parlons plus. Je me prépare psychologiquement à la voir partir. Notre entrevue aura duré le temps d'une baise de vingt-cinq minutes. Joyeuse Saint-Valentin !

Comment arrive-t-elle à ne pas vouloir plus ? Suis-je si repoussant que ça ? On se caresse avec une telle envie ! Nos échanges de regards quémandent le désir et illustrent la complicité sexuelle. Je viens peut-être de le réaliser : c'est sexuel. Néanmoins, nous avons cette fusion puissante en termes de passions : la symbologie, l'Art, le savoir, la curiosité, le travail de mémo-techniques qui fait partie de la déduction et de l'analyse constante. Stoïque, elle m'inflige une flèche en plein cœur lors du passage de l'amant au professeur.

— Est-ce que pour une fois tu veux bien rester ?

Elle se tourne doucement vers moi. Immobile, sans rien dire. Ses yeux parcourent mon visage et ce regard-là, je ne l'ai jamais vu : il est affectueux. Soudain elle s'approche de moi, prend un temps d'arrêt et me pose un baiser sur les lèvres.

— C'est quoi ça ? m'étranglé-je avec un sourire niais.

— Un abruti en train de sourire bêtement, ricane-t-elle son minois encore proche du mien.

Je passe une main derrière sa nuque et l'oblige à recommencer. Doux baiser où tout ce qui n'a jamais été dit fusionne instantanément avec la vérité. Se transforme en une fougue passionnée.

Je suis projeté contre le canapé. Charlie, dont je savoure la lippe, se met à califourchon sur moi. Nos mains se cherchent et nos langues s'unissent. Une intensité telle que mon cœur bat à tout rompre. À la limite de l'explosion. Mes jambes tremblent légèrement. Je sens des palpitations surpuissantes, foudroyantes et incontrôlables. Ses lèvres embrasent les moindres fibres de ma chair. Ses caresses transpercent ma peau pour ne faire plus qu'une seule et même personne. Sensation jamais ressentie, embrasement méconnu !

Je ressens à nouveau ce besoin de me retrouver en elle et sa pensée corrobore en tout point à mon imaginaire. Elle se démet du bout de tissu resté autour de sa taille afin que je puisse m'introduire en elle. Je lâche un son rauque qui résonne dans sa bouche. L'intérieur de son vagin est sacrément gonflé de plaisir. Je m'agrippe à elle tandis qu'elle remue son bassin d'avant en arrière. Nous n'arrêtons pas de nous embrasser. Puis, je l'entraîne dans la chambre. Elle entoure ses jambes autour de ma taille en s'accolant toujours à cette étreinte buccale. Ses doigts s'entremêlent à ma chevelure et de sa poigne, elle serre.

Je la jette sur le lit et me place au-dessus d'elle. Je me débarrasse et de mon pantalon glissé à mes pieds qui m'a obligé à marcher par petits pas. Son push-up a été dégrafé à la vitesse de la lumière. Je ne néglige pas ses seins lourds et m'empresse de l'embrasser, tandis que je m'enfonce en elle de toute ma verge. Je lui fais l'amour comme jamais nous l'avons entrepris. Nos bouches haletantes l'une contre l'autre, son corps emboîtant le mien tandis que ses cuisses serrent mes côtes. Ses mains positionnées en coupe sur mon visage. Nos regards ancrés l'un dans l'autre. Nos orgasmes communs que nous avons en même temps.

Nous en sommes là ce soir. Charlie sur moi. Allongés tous les deux dans le lit, mon torse se soumet aux délicats ronds qu'elle dessine de ses doigts.

— C'était un oui, en fait ? m'informé-je, taquin.

Elle enfouit son visage dans mon cou pour y rire, embarrassée.

— C'était un oui non-dit.

— J'avais bien compris. Mais ça veut dire qu'à chaque « oui » tu vas agir de la sorte ? Parce que ça ne me déplairait pas.

Elle tape sur l'épaule avec une moue faussement mécontente.

— Tu as faim ?

Elle sourit et m'embrasse : ça veut dire oui.

Je me lève, en prenant mon caleçon au passage, et me dirige vers la cuisine. Si je pouvais sautiller comme un gosse jusqu'à la cuisine ou danser pendant que je lui prépare son repas sans m'exposer à la honte, je le ferais. Charlie me suit, jupe mise et un oreiller pour cacher sa poitrine. Elle s'installe sur le tabouret face à moi. Je sors une pizza du congélateur et la passe au four. En pivotant, ma beauté grimace :

What ?

— Tu veux m'empoisonner ?

Je soupire. Ça commence déjà. A peine sortis du lit qu'elle cherche déjà le conflit conjugal.

— Tu sais ce qu'il y a dedans ?

— Oui. Cependant, il est bientôt minuit et je ne me sens pas non plus de te faire un buffet. À prendre ou à laisser, riposté-je en contournant le bar de la cuisine afin d'être enserré dans ses cuisses.

— Comme je suis de nature conciliante, j’accepte pour cette fois-ci, abdique-t-elle en frottant son nez contre le mien.

— Merci, tu es trop aimable, raillé-je en posant mes lèvres contre les siennes.

Je repars dans la cuisine, derrière le comptoir.

— Bon, alors. Quel est le prochain cours, Taylor ?

— C'est : reste dormir chez moi, ordonné-je.

— Ha ha ! Et je fais comment pour aller à la fac demain ?

— Ça, c'est ton problème. Le mien, c'est de t'obliger à rester ici par tous les moyens non négociables.

— Je suis très têtue.

— Peut-être, mais sans les clefs de ton scooter, tu seras une têtue à pied, ricané-je en lui montrant son trousseau de clefs.

— Mais... mais, merde comment t'as fait ça ? bafouille-t-elle avec des yeux ronds.

— Parce que tu crois être la seule à avoir des talents experts en ruse ?

— J'accepte de rester dormir si tu me les rends, négocie-t-elle en essayant d'attraper son bien.

— Promets-le-moi.

— Promis.

— Et tu me feras une gâterie avant de dormir ET au réveil, glissé-je, un sourire aux lèvres.

— Avec les dents.

— Oh j'adore ! ironisé-je en lui tendant ses clefs.

Le four sonne et elle mange à grandes bouchées la pizza contaminée.

— James Taylor. Parlez-moi de vous ? se renseigne-t-elle en essuyant sa bouche avec la serviette que je lui ai tendue.

— Tu en sais déjà beaucoup.

— Mouais. Veuf, expert en œuvre d'art, galeriste à Londres, professeur pervers à la Sorbonne, piètre dragueur et bien meilleur amant, énumère-t-elle, en prenant une autre part de pizza.

— Voilà, c'est tout moi, finis-je par dire. Parle-moi plutôt de toi. Alors, es-tu née à Paris ?

— Non, je ne suis pas parisienne, dit-elle.

— Ah oui ?

— Je suis bretonne.

Je me marre malgré moi. Je remarque nettement plus de choses désormais.

— Qu'est-ce qui te fait rire ? grince-t-elle, suspicieuse.

—J'aurais dû deviner. Tes cheveux blonds et clairs naturels, tes petites taches de rousseur...

— ... oh arrête ! Je n'aime pas mes taches de rousseur, lâche-t-elle en couvrant son nez.

— La plus belle celte que Dieu ait créée. Que tes parents ont procréée... Beau boulot !

— Et je suis leur seule enfant, ajoute-t-elle en se frottant les mains.

— Fille unique donc ? Je comprends mieux pourquoi tous ces caprices !

— Je vais finir par te balancer cet oreiller en pleine tête ! s'exclame-t-elle. À ton tour. J'ai une question importante et je veux que tu sois sincère.

— Autant qu’il me sera possible, réponds-je, sérieux.

— Entre le soir du Carmen nous deux à l'après-midi dans ton bureau, y'a-t-il eu d'autres femmes ? Hormis Constance, je veux dire.

J'inspire une grande bouffée d'air.

— Oui, plusieurs.

— Ah ! dit-elle simplement en baissant les yeux.

— C'était uniquement pour combler le vide que tu avais laissé, lui expliqué-je d'une voix douce, en remontant son menton. C'était une bêtise mais je suis un homme... faible.

— Tu as eu beaucoup de femmes dans ta vie ? se renseigne-t-elle.

— Oui, j'en ai eu beaucoup.

— Combien ?

— Le nombre qui ne se compte pas. Et toi ?

— Deux.

— Deux !!! hurlé-je d'un coup.

Je suis sonné. Deux hommes qui l'ont touchée ? C'est-à-dire que je représente 50 % de sa vie sexuelle ?

— Alors ? J'ai bientôt vingt-deux ans, j'ai toute la vie pour me rattraper.

Je lève un sourcil. Elle se bidonne, sûrement, grâce à ma tête qui a répondu involontairement.

— Et ton pote-là ? Que j'ai vu au Carmen, Simon. C'est qui pour toi ?

— Et bien...,

Soudain je me rends compte d'un détail.

— Comment sais-tu qu'il s'appelle Simon ?

Elle détourne le regard vivement comme si elle réfléchissait.

— Bin parce qu'il me l'a dit le soir où l'on s'est vus sinon, comment veux-tu que je le sache ? affirme-t-elle d'un ton détaché.

— Possible, dis-je dubitatif. C'est mon plus vieil ami d'enfance. On a fait nos études ensemble. Puis il est venu me rejoindre avec Lauren à la Smith Art Gallery.

— Lauren ? claironne-t-elle en fronçant les sourcils.

— Oui, pardon. Ma femme. Simon et moi on a toujours été les deux doigts de la main. Lauren l'a pris dans sa galerie quelque temps après moi. Il faudrait aussi que tu rencontres Hannah, Sasha, et... Bon, clairement toute la clique, si tu le souhaites. Je n'ai pas à m'embarquer dans ce genre de proposition mais, tu pourrais un jour venir à Londres. Tu verrais où je travaille...

En finissant mon verre, je suis tellement pris par mon monologue que je n'ai pas remarqué le visage blême de Charlie. Tremblante de tous ses membres. Ses lèvres si attirantes sont devenues blanchâtres. Elle ne se sent pas bien.

— Charlie qu'est-ce que tu as ?

Elle ne bouge plus. Pétrifiée. La peur me submerge.

— Réponds-moi, dis-je en me précipitant vers elle.

Et soudainement, elle se lève. Jetant l'oreiller à travers la pièce, elle ramasse son soutien-gorge qu'elle agrafe. Ses gestes sont vifs mais incertains. Elle marmonne toute seule. Je ne comprends pas du tout ce qui se passe. Je m'avance vers elle en essayant de la prendre par la main. Elle me repousse.

— Tu le sais depuis quand, hein ? me crie-t-elle me foudroyant du regard.

— Quoi ?

— Comment t'as pu faire ça, putain ? vocifère-t-elle la voix encore plus cassée qu'à l'accoutumée.

— Mais de quoi me parles-tu ? frémis-je dans l'incompréhension.

Elle m'observe pendant un long moment, fronçant les sourcils. Brusquement ses yeux s'embuent d'une tristesse à m'en retourner l'estomac.

— Alors tu ne sais rien. Ni qui tu es ? Ni qui je suis ? murmure-t-elle, lentement.

Et elle laisse couler ses larmes. Je ne saisis rien de ce qu'elle me raconte. Je suis effrayé. Tétanisé par ce revirement de situation. Par cette méconnaissance de vérité qui, apparemment, la pétrifie.

Tell me ! fulminé-je en la secouant par l'épaule.

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