Le péché de chair [1/2]

7 minutes de lecture

Le chlore de la piscine municipale Georges Drigny se glisse dans mes narines et me contraint à me gratter le nez toutes les trente secondes pour soulager le désagrément. Comme cela ne suffit pas, je dois en plus, toutes les deux minutes, remonter mes lunettes que j'ai décidé de garder pour faire barrière à cet élément chimique et toxique.

Cette piscine se situe dans mon quartier, à dix minutes à pied de chez moi, près du Boulevard Rochechouart. Quelques pas de plus et je me retrouve devant l'entrée du Carmen, alors que si je remonte de quelques mètres, je peux me siroter une bière Chez Marlusse et Lapin. Qui a dit que Paris était grande ?

Frank m'a appelé la veille pour savoir si ça m'intéressait de venir. Au mois de novembre ? Apparemment, son fils Marin y prend des cours de natation. L'idée m’a paru tentante. Un parfait répit qui me permet de marquer une pause dans le travail interminable des affaires de la galerie, les devoirs-maison à corriger et les cours à préparer pour la fac. Il n'en est pas moins que se retrouver en maillot de bain en plein automne, un mercredi des vacances scolaires, reste un concept que je n'ai jamais élaboré de ma vie.

Il y a du monde. Surtout que la piscine ne paie pas de mine. Un rectangle de flotte refoulant l'eau de javel, cinq lignes de nage pour séparer les couloirs de natation. Oui parce qu'en plus ce n'est pas une piscine pour se marrer. C'est plutôt dans l'optique barbante de rester sur un banc en bois dans un renfoncement à regarder les gens faire du dos crawlé, le papillon ou la nage indienne.

Frank, à côté de moi, regardait son fils essayant de nager comme une grenouille. Quant à moi, je passe un quart d'heure à bloquer sur la patience exemplaire du moniteur. Si j'avais été à sa place, j'aurais jeté l'éponge depuis un bon moment. L'endroit est bruyant, des jeunes au fond rient tout en sautant dans le bassin, se fichant pas mal des lignes de nage. Des gosses courent autour de la piscine se moquant des avertissements du maître-nageur qui, excepté héler dans son sifflet à m'en casser les tympans, n'est pas descendu une seule fois de son perchoir.

Je suis là, observateur, short de bain et t-shirt. Frank, toujours près de moi, torse-nu et slip de bain. J'ai un peu peur que ça porte à confusion. Machisme ou pudeur ? Peut-être un peu des deux, je ne le cache pas.

— Alors ce séjour à Londres ? me demande-t-il, se tournant vers moi.

— Un bien fou. Les amis, la galerie, les repères, les habitudes, j'ai l'impression d'avoir pris un bol d'oxygène, lui dis-je sincèrement.

— Le mal de Paris ?

— Pas du tout. J'ai eu l'occasion de visiter à nouveau Paris. Rencontrer de vieilles connaissances, puis nos soirées avec tes amis sont dingues ! Non, j'aime cette ville et je ne cesserais de le dire. Je crois que mon cœur balance entre les deux... et Florence.

— Florence ? lance-t-il en haussant les sourcils.

— Une ville qui m'a coupé le souffle dès l'instant où j'y ai mis les pieds.

— Tu as beaucoup voyagé ?

— Pas assez à mon goût, affirmé-je le regard sur mes mains.

— On n'a pas mal voyagé avec mon ex-femme et je t'avoue que ça manque un peu.

— Ça fait longtemps que tu es séparé de ta femme ? m'intéressé-je, les coudes sur mes genoux, tête tournée vers lui.

— Non c'est récent. J'ai un peu de mal à passer à autre chose. Elle me manque. Puis, Marin me manque beaucoup aussi.

— Je comprends.

— Et, sans indiscrétion, tu n'as jamais pensé à avoir d'enfants, toi ?

— Ma femme en voulait. Mais je n'arrêtais pas de reculer la date en lui donnant comme excuse que j'étais toujours sur un gros contrat, raconté-je, mon regard pensif sur la piscine.

— Tu regrettes ?

— Pour avoir un enfant qui aurait souffert de la perte de sa mère ? Non. Je regrette simplement que Lauren n'ait pas pu être mère. Elle aurait été une superbe maman.

— Je suis navré pour toi...

Je ne tiens plus à continuer sur le sujet. C'est encore trop récent pour moi. Il finit par changer de conversation :

— Je peux t'avouer quelque chose ?

— Je t'écoute.

— Avant que tu n'arrives, j'avais entendu parler de tes talents. Je m'étais imaginé un jeune arriviste plein d'arrogance et je suis surpris de voir à quel point tu es modeste. Je veux dire, tu pourrais fréquenter des mecs mieux placés que moi, te retrouver dans de grands restaurants, de mondanités et tu passes tes soirées du week-end avec moi, Nathalie et deux de mes amis. Tu m'accompagnes même dans une piscine municipale ridicule pour mon fils ! lance-t-il, les yeux pleins de gratitude.

— C'est une chose que je me suis toujours imposée. Garder la tête sur les épaules. Maintenant, j'ai ma part d'arrogance comme tout le monde. Je connais mes talents. Juste que je n'aime pas les exposer. Tout le monde en a et je ne devrais pas me sentir au-dessus de qui que ce soit.

— T'es un bon gars.

— Je te retourne le compliment, Frank. Maintenant, si on arrêtait de se flatter dans cette tenue s'il te plaît, ricané-je tandis qu'il me met une tape sur l'épaule.

Il en profite pour se lever et mettre sa serviette autour de sa taille.

— Et tu as réussi à passer à autre chose ? Je veux dire en terme...enfin après ta femme ? me demande-t-il en la nouant.

— Sérieux tu veux dire ?

Il rit.

— Ok, j'ai compris, affirme-t-il avec un petit rire, en s'asseyant.

— J'ai trouvé personne. T'es présent avec moi le samedi ? Est-ce que je cherche à trouver la femme de ma vie ?

— Non.

— Non, parce que la femme de ma vie je l'ai déjà connue, lui confié-je, sûr de moi.

— Qui sait. Tu pourrais être surpris par ce que le destin te réserve.

— En tout cas, ce n'est pas dans un bar que je la trouverais avec si peu d'échanges verbaux. Et pour le moment ça me convient.

Il regarde droit devant lui. Je sens qu'il veut me dire quelque chose mais il doit réfléchir à bien choisir ses mots :

— Je crois que tu plais à Nathalie.

— Je crois aussi.

Il se tourne vivement vers moi.

— T'es au courant ?

— Je ne suis pas fait pour Nathalie. Elle cherche un mari, pas une aventure. Et je ne suis pas prêt pour ça.

—Je comprends.

Il a fallu que l'on délibère d'un sujet tel que celui-ci. Que je sois certain de mes affirmations pour que le destin décide de me contredire, pour que mon attention soit attirée sur ma gauche par une tête blonde détrempée. Celle-ci monte l'échelle et Charlie Mahé sort de l'eau. Plus sexy que jamais dans son maillot une pièce rouge foncé qui laisse peu de place à l'imagination. La musique d'Alef Sol me revient en mémoire, tandis qu'elle s'approche de nous. Mes mains deviennent moites et mon cœur bat de plus en plus vite. Seigneur ! Quand elle marche, je pourrais mourir d'assouvissement sexuel, rien qu'en matant ses jambes.

— Bonjour, Messieurs !

— Bonjour Mademoiselle Mahé, répond-on en chœur.

— Vous passez de bonnes vacances ? nous demande-t-elle alors que son regard se fige sur moi.

— Oui merci. Et vous ? décide de répondre Frank.

Je détourne le regard de son corps magnifique et de son visage qui me rend dingue afin de calmer mes pulsions.

— Oui ! Même si le professeur Taylor nous a donné un devoir très instructif et long à souhait. Tout se passe bien, déclare-t-elle avec un sourire à désarmer le type le plus froid sur Terre.

— Sur quoi ? demande-t-il en me regardant.

La Vénus d'Urbin de Titien, lui réponds-je.

Elle fait allusion au mail qu'elle m'a envoyé et dont je n'ai pas donné suite.

— Bon, je vous laisse en vous souhaitant une bonne journée Messieurs, lance-t-elle en me jetant un dernier coup d'œil.

— Bonne journée à vous Mademoiselle, la saluons-nous ensemble.

Je la regarde s'éloigner. La grâce de sa démarche. Ses jambes qui se frottent l'une à l'autre. Son maillot de bain qui lui rentre à moitié dans la raie des fesses et laisse entrevoir deux beaux abricots bien fermes sur un déhanché à faire tourner des têtes. Sa taille de guêpe et sa tache dans le dos qui se déforme au rythme de ses pas. Je ne suis pas le seul à la reluquer, la plupart des personnes assises et beaucoup de nageurs dans l'eau la suivent du regard.

Et dire que j’ai partagé deux orgasmes avec elle !

— Interdiction de toucher.

Je détache mon regard de Charlie pour regarder Franck. Il a un sourire en coin lorsqu'il me dévisage.

— Quoi ?

— Tu ne peux pas l'avoir celle-là.

— Pourquoi tu me dis ça ?

— Je suis un homme et comme toi je trouve que c'est une splendide femme. Pardon, c'est une bombe atomique cette étudiante... MAIS... on n'a pas le droit, tu te rappelles ?

— Je ne fais que regarder, ce n'est pas interdit.

— Tu ne la regardes pas. Tu la déshabilles du regard ! s'exclame-t-il.

Je ris nerveusement.

Je lui arracherais même son maillot s'il le faut !

— Entre toi et moi, Frank, tu as déjà fauté ?

— Comment ça ?

— As-tu déjà couché avec une étudiante ?

— Si je ne l'avais pas fait je serais encore marié, lance-t-il d'un air penaud.

Surpris, je me retourne sur lui d'un geste brusque. Je n'en crois pas mes oreilles ! Frank Mollet a déjà eu une aventure avec l'une de ses étudiantes ?

Annotations

Vous aimez lire Laurie P ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0