Londres [5/5]

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Pour couper court à cette conversation bien trop romanesque au goût de Simon, il demande à Sasha où elle en est côté « mec ».

— Le désert de Gobi. J'entends souffler le vent tellement c'est inanimé. Mais, je ne m’en porte pas si mal, attention ! Le dernier était d'une calamité ! Je sens encore les quelques restes de honte au fond de moi.

— Comment ça ? m'intéressé-je.

— Le type pleurait pendant l'amour.

Simon reste bouche bée. Ses yeux cillent tellement vite qu'on aurait dit qu'il avait une poussière qui le gênait. Incapable de comprendre un tel acte, ma tête doit en dire long car Sasha explose de rire en dévisageant nos expressions.

— C'est...c'est pas possible... ça n'existe pas ça ! réussis-je à baragouiner.

— As-tu tiré sur ses bourses ? Peut-être que tes dents ont dû faire quelques petits dégâts ? Un doigt où il ne fallait pas ? Il y a une explication rationnelle à ce comportement, Sasha. Qu'as-tu fait à ce pauvre homme ? tente de comprendre Simon, sidéré.

— Non ! Crois-moi, je sais y faire...

— Qu'est-ce que c'est que ces gars avec qui tu sors ? désespéré-je.

— Hé ! Ce n'était pas écrit sur son front « je chiale pendant l'éjaculation » !

— Ça doit mettre mal à l'aise, bredouille Hannah.

— M'en parle pas... ! Et toi, au fait, ton rendez-vous de la dernière fois ? s'enthousiasme soudainement la jamaïcaine à la colombienne.

— Quel rendez-vous ? bougonne Simon en se positionnant devant Hannah.

— Un type que je fréquente depuis peu, répond-elle confuse. Je dois déjeuner avec lui demain, reprend-elle en s'adressant à Sasha.

— Super !

— Oui. Il passe me prendre à la galerie, dévoile-t-elle tout sourire.

— Génial ! C'est Noël avant l'heure, s'exclame Simon d'une voix monotone.

— Exactement, affirme Hannah d'un ton ferme.

— Préviens-nous en avance qu'on sorte le champagne ? lui rétorque-t-il avec ironie. Sinon, on fait quoi après les jeunes ?

— Moi je rentre, je suis crevée, avoue Sasha.

— Moi aussi. L'ambiance est trop immature, dit Hannah d'un ton sec en toisant Simon.

— C'est ça. Bon vent alors ! lui répond-il en lui jetant un regard mauvais.

Elles m'embrassent chacune à leur tour avant de partir toutes deux en jacassant comme des pies. Je reste silencieux face à cet engouement de confidences et, près de moi, je sens Simon gigoter dans tous les sens, mâchoire serrée. Il allume une autre cigarette tandis que je scrute à nouveau l'horizon moribond.

— Ça va ? romps-je le silence lourd.

— Ouais. On va boire un coup ?

Au même moment, je reçois un SMS :

De Sasha

Viens chez moi dormir si tu veux.

Je lui réponds :

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de remettre ça des années après.

— Juste le temps d'une nuit, rien de plus. Je ne te demande pas le mariage, juste d'un ami avec qui passer la nuit.

— Ne t'endors pas, je suis là dans quelques minutes.

Je me dois maintenant de trouver une excuse susceptible de ne pas blesser mon meilleur ami qui m'héberge. Je refuse encore de dormir dans l'appartement de Lauren et moi. Je m'adresse donc à lui :

— Je vais devoir y aller aussi. J'ai à faire, mec.

— Comment ça, t’as à faire ?

— Je ne rentre pas dormir ce soir. Je vais voir quelqu'un.

— Qui ça ? demande-t-il.

— La nana des chiottes ! J'ai pris son numéro, lui réponds-je en lui faisant bien comprendre qu'il ne saura rien.

Dickhead, dit-il en retrouvant le sourire.

Après avoir pris ma voiture pour rejoindre Sasha chez elle, je suis reçu par un accoutrement de combat : bas de jogging et t-shirt ample.

— Tu n'as même pas essayé d'être sexy !

— C'est bon on se connaît. Puis, généralement, c'est mieux d'être à poil pour ce genre de sport.

Elle éclate de rire et enlève mon manteau.

— Je peux donc dormir aussi chez toi, pas vrai ? m'invité-je serrant les dents sur ma lèvre inférieure, haussant les sourcils, réjoui de passer du temps avec ma vieille amie.

— Bien sûr, je t'offre même le petit déjeuner si tu le souhaites, affirme-t-elle entourant ses bras autour de ma taille, menton sur mon torse.

— Marmelade ?

— Earl Grey.

— Très bien. Et je te promets de ne pas pleurer pendant, taquiné-je.

— Merci ! lâche-t-elle en me prenant par le col de ma chemise, sa poitrine se serrant contre mon torse.

— Allez ! Enlève-moi ces fringues. » lui dis-je en la soulevant par-dessus mon épaule.

Le lendemain matin, je me lève avec une barre au front. Sasha n'est pas à côté de moi : c'est une lève-tôt. Après m'être habillé, je descends les escaliers pour la voir derrière le comptoir de sa cuisine, café à la main, plongée devant une émission de TV. Je m'assois sur un des tabourets et lui demande si ça va. Elle sourit, signifiant : « ça détend ».

— Quoi ?

— Rien. C'est vrai, Simon a raison. Tu ne bouges pas. T'es toujours la Sasha de 1989 ... avec un peu de rides quand même !

— Sale con ! s'esclaffe-t-elle en me jetant un torchon. J'ai mis l'eau à bouillir si tu veux. Le sac à thé est là-bas. Tu connais.

— Merci, t'es un amour, la remercié-je en l'embrassant sur la tempe. Tu n'aurais pas de l'aspirine aussi ? J'ai un mal de crâne.

— Tu sors trop avec Simon ces derniers temps toi, me-fait-elle remarquer.

— Ça faisait des années que je n'étais pas sorti comme ça, je le mérite.

— Et ça te fait quoi ?

— Mal à la tête.

Elle rit et me donne un verre avec de l'aspirine.

— Bois ça. Je vais devoir partir. Je t'ai laissé les doubles des clefs. Tu me les mettras dans la boîte aux lettres en partant. Prends une douche si tu veux, fais comme chez toi.

— Tu ne restes pas prendre le petit déjeuner ?

— Eh non, j'ai rendez-vous avec une psychothérapeute.

— Ah bon ? Pourquoi ?

— Pour mon livre, James ! Je t'en ai déjà parlé.

— Ah oui c'est vrai, excuse-moi. Bon, file alors on se voit plus tard.

Faire l'amour à un vieil amour de jeunesse. C'est complice et sans tabous. Pourquoi ça n'a jamais marché entre nous ? Parce qu'à l'époque nous étions trop jeunes et, aujourd'hui nous sommes trop amis.

— Je peux te dire une dernière chose ? commence-t-elle à me dire en posant ses bras sur mon siège.

— Vas-y.

— Si cette fille, Charlie, n'est-ce pas ? Si elle te plaît. Ne te mets pas de barrières pour le regard des autres. Juste fais attention, d'accord ?

— Oui maman.

— Je ne plaisante pas. Tu es encore plus beau qu'il y a dix ans et les étudiantes chercheront à te courir après simplement pour des résultats.

— Je réfléchis avec mon cerveau aussi Sasha.

— Je sais...mais cette fille te fait un peu trop tourner la tête... tes anciennes habitudes reviennent.

Je fronce les sourcils tandis qu'elle dépose un baiser sur ma joue.

— Au fait Sasha, je voulais te dire une chose importante..., commencé-je à lui dire en me levant de mon tabouret, une main sur le comptoir.

— Oui ? s'impatiente-t-elle, une main sur la poignée de la porte d'entrée.

— Je ne te l'ai pas dit et j'aurais dû te le dire il y a déjà un mois de ça..., continué-je en m'approchant d'elle doucement.

— James vas-y s'il te plait, dit-elle d'une voix implorante.

— Eh bien..., ajouté-je. Arsenal ne s’est pas fait écraser par une équipe en or ? Disons.... Manchester Utd au match retour ? balancé-je de mon sourire narquois.

Fuck off, s'exclame-t-elle avec un geste obscène avant de claquer la porte d'entrée.

Je suis resté encore deux jours de plus à Londres, le temps de finir mes affaires à la galerie. Il fallait à tout prix revoir les plannings des expos et ainsi s'occuper de la médiation. Nous avons dîner, Simon et moi, avec le nouvel artiste de pop-art que nous disposons à faire signer rapidement. Et nous avons eu l'honneur de rencontrer le petit ami d'Hannah : Aaron Fuller, un agent de footballeur. Simon l'a à peine salué, puis a passé le reste de l'après-midi de mauvais poil, évitant soigneusement de s'adresser à Hannah. J'ai insisté pour qu'il se ressaisisse pour les obligations de la galerie. Il s'est justifié en précisant qu'il avait mal dormi cette nuit. La fatigue ? Qu'est-ce qu'il ne doit pas inventer pour ne pas dire le mal qui le ronge.

Avant de repartir à Paris, je garde le meilleur pour la fin : ma visite au cimetière pour déposer des anémones - fleurs associées au deuil - sur la tombe de Lauren. Je ne lui parle pas beaucoup. Le cœur m'arrache de lui raconter ce qui se passe dans ma vie. Surtout, je ne peux m'empêcher de me dire que je dois avoir l'air d'un con de converser à une pierre tombale sans retour de dialogues. J'ai déposé le bouquet de fleurs en embrassant l'extrémité de mes doigts pour venir se poser sur son portrait. Elle ressemblait à Andy McDowell sur cette photo. Ces longs cheveux noirs bouclés et ses petits yeux rieurs. Lauren Smith. Quelle femme gracieuse tu étais !

De retour chez moi, j'ouvre mon ordinateur pour consulter mes e-mails. Tous proviennent de collectionneurs intéressés et de futures ventes aux enchères. Mais un en particulier attire mon attention sur mon mail de la fac. Je clique dessus.

De Charliemahe@parissorbonne.fr

À Jamestaylor@parissorbonne.fr

< Ne pas ouvrir >

Le tableau de La Vénus d'Urbin s'affiche devant mes yeux et une note l'accompagne :

N'est-elle pas sublime ? De s'offrir dénudée pour son bon plaisir ? Sans rien ni personne pour la juger ? D'aimer son corps ? Et dont ce spectateur la dévore des yeux, désireux de la toucher ? Encore une inaccessibilité que l'homme garde juste au-dessus de son lit. Ce fantasme qu'il ne peut que contempler, sans jamais parvenir à caresser. Parce que vous avez raison Monsieur Taylor : personne ne résiste à la symbolique de Vénus.

Charlie Mahé.

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