Londres [4/5]

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Sasha, tu m'expliques cette grosse merde ? chuchote Simon.

— C'est A Dangerous Method. Sur une jeune femme qui se fait diagnostiquer selon la méthode de Freud, explique Sasha à voix basse.

— Sérieusement, tu me les brises avec tes histoires freudiennes.

— Et toi ? Tu ne me les brises pas avec tes histoires sur Monet ? Ou encore tes péripéties de couilles qui...

— Attends, attends, il y a une scène de cul ! coupe-t-il court.

J'enfouis mon visage dans mes mains en réprimant un rire. Sasha se tourne vers moi :

— Ton pote est irrattrapable, t'es au courant ? m'assure-t-elle.

Je hausse les épaules et Sasha se met à rire discrètement avec moi.

— Regarde-le, lui dis-je en la poussant de l'épaule pour l'obliger à se retourner face à Simon.

L'énergumène mange ses pop-corn, les yeux rivés sur le grand écran de la salle de cinéma, pleins de tendresse et d'excitation à la fois.

— J'étais sûre que c'était une cochonne la Sabina, affirme-t-il.

Nouveau fou rire en silence.

— On peut écouter ? Ou tu comptes faire des commentaires tout le long du film ? murmure Hannah, assise à la droite de Simon.

— Shhhhhh ! s'indigne une dame derrière nous.

Yeah fuck ! Shhh Hannah ! exagère Simon tandis que la trentenaire, morte de honte, s'enfonce un peu plus dans son fauteuil.

Mardi soir. Après nous être rendus au restaurant de Paul pour manger un morceau, Betsy était rentrée chez elle, se plaignant d'une migraine. Nous sommes allés, Sasha, Simon, Hannah et moi, nous faire un film à 22h30.

Je devais rentrer hier, mais mes obligations de directeur de la galerie m'ont contraint à rester quelques jours de plus. Même si cela n'était en aucun cas contraignant.

Ce soir, Sasha avait insisté pour qu'on se fasse tous un restaurant suivi d'un cinéma. Daniel et William avaient décliné, ayant déjà été invités par d'autres amis à eux. Elle avait choisi le film et nous avions tous acceptés. Simon, pour sa part, n'avait pas refusé, uniquement parce qu'il y avait en rôle principal Keira Knightley. Il l'aurait croisée une fois dans un restaurant chic de Londres lors d'un dîner d'affaires et il s'avérerait qu'elle lui aurait souri. Depuis, il craquait complètement pour l'actrice britannique.

Nous sommes dans les rues de Leicester Square et nous nous dirigeons vers les bords de la Tamise.

— Franchement, s'il n'y avait pas eu Keira dans le film, je t'aurais dit non. Qu'est-ce que c’est cette histoire ? ronchonne Simon, les mains enfoncées dans ses poches.

— Quoi ? Tu ne connais pas la méthode de Sigmund Freud ? rétorque Sasha en mettant ses gants.

— La méthode du gros pervers qui se tapait ses clientes et qui fantasmait sur sa mère ? Si je connais merci.

— Sans oublier que, selon Freud, tout le monde a voulu se taper sa mère ou son père, rajouté-je en remontant le col de mon manteau.

— Vous n'y connaissez rien.

— Excuse-nous ! Éclaire notre lanterne, ironise Simon.

— Je ne me rabaisserai pas à votre intelligence simplement pour vous faire changer d'avis. Vous êtes bien trop butés tous les deux. Vous lirez mon livre... pour une fois !

Hannah ricane entre ses doigts. Simon balance un « cours toujours ! » tandis que moi, je souris en lui affirmant que ce n'est pas ça qui allait nous obliger à lire un livre policier, prenant le soin de lui caresser le dos. Elle nous jette un de ces regards noirs qu'elle a l'habitude de nous administrer, qui veut dire « vous ne payez rien pour attendre. »

Je l'examine de plus près, ses dreadlocks naturelles qu'elle gardait depuis l'adolescence - hormis une légère période de cheveux courts - son rouge à lèvres d'un rouge foncé, sa peau de couleur miel et ses yeux d'un noir plein de force la rend belle ce soir. De toute façon, Sasha Davis a toujours été une superbe femme. Son défaut : en couple, elle est collante.

— T'es la beauté caribéenne ma biche ! complimente Simon à l'intention de Sash'.

— Qu'est-ce qui te prend, toi ? s'exclame-t-elle, les yeux rivés au sol.

— Je te le dis. Tu n'as pas bougé depuis l'adolescence, pas comme le frisé à côté de moi qui a creusé de la joue ! D'ailleurs, comment t'as pu choisir ce blanc-bec de James !

— Sale jaloux ! lui envoyé-je.

— Peut-être qu'elle aime les hommes raffinés et respectueux, réplique sèchement Hannah.

— James, raffiné ? proteste Simon en plissant les yeux vers elle.

— Bien sûr. Et distingué.

Elle n’était pas là hier soir, dans les toilettes immondes du club. Mon image aurait pris un coup.

Nous sommes près de la Tamise. Je suis accoudé aux rambardes, balayant mon regard de l'autre côté de la rive. Ce n'est pas l'endroit qui offre la plus belle des vues. C'est illuminé de partout, alors que le voile obscur se pose sur le fleuve et assombrit l'eau à la couleur du ciel. Oxo Tower et le Waterloo Bridge sont d'une architecture épouvantable, désastreuse, pauvre, morose. C'est à se demander si les architectes n'avaient pas été au bord du suicide lors de la conception des plans.

Simon se tient à côté de moi. Appuyé contre la barrière, il allume une cigarette tandis qu'Hannah et Sasha sont face à lui.

— Ha, ha, ha ! Hannah tu as parfaitement raison mais sincèrement James était loin d'être raffiné étant jeune, dit Sasha.

— Ah bon ?

— Eh ouais ! balance Simon en entendant Sasha le contredire. Tout le monde te le dira. J'ai toujours été le mec drôle tu vois, les bonnes blagues et l'énergie positive, énumère-t-il avec le sourire. Et James, le mec qui écoute. Mais c'était un véritable impulsif. Dès l'instant où on est arrivé en secondaire, il s'est attaqué à un dernière année et pas n'importe qui !

— Andy Wood. Le type dont toute l'école caressait dans le bon sens du poil, continue Sasha.

— Il l'a littéralement laissé au sol dans un semi-coma.

Andy Wood. Je me souviens de lui. Le parfait connard ! Il terrorisait tous les nouveaux. Entouré de plusieurs acolytes dénués de cerveaux. Un sportif d'Aveyron, richissime et absolument égocentrique. Ce matin-là, il s'était attaqué à la mauvaise personne. Ni plus ni moins.

— Et donc, vous êtes sortis ensemble grâce à ça ? demande Hannah, absorbée par l'histoire.

— Oh non ! Bon, d'accord. James avait gagné en popularité et Simon aussi. Ils étaient beaux garçons, hein vous vous souvenez les gars ? nous interroge-t-elle en se tournant vers nous avec un grand sourire, heureuse de pouvoir raconter nos moments de jeunesse.

— Oh oui ! s'écrie Simon en tirant une taffe sur sa clope.

— Dupond et Dupont, ces deux-là. Inséparables. J'étais au même cours de français qu'eux et on a sympathisé. J'avais assisté aussi à la scène de bagarre. Et pourtant, je n'étais pas en chaleur comme toutes ces filles de ma classe ou de l'école. Mais... James avait un truc, je l'avoue. Un côté désintéressé qui m'avait fait craquer, explique-t-elle en me jetant un regard attendri.

Gêné par ses propos, je souris et hoche la tête, avant de me frotter l'arrière du crâne pour tenter de canaliser mon embarras. Les compliments. La chose la plus difficile à entendre.

— C'est que tu vas nous le faire rougir le petit ? plaisante mon ami.

— Quoi ? C'est vrai, non ? me lance Sasha.

— Et toi, James ? me demande Hannah.

— Quoi, moi ? réponds-je en relevant les sourcils.

— Elle te demande comment tu as pé-cho notre Sasha internationale ? s'exclame Simon, sourire au coin.

Sasha jette sa tête en arrière dans un grand éclat de rire. Quant à Hannah, elle reste visiblement outrée de la façon dont se moque Simon sur cette jolie histoire d'amour. Une discussion qui commence d'ailleurs à me mettre mal à l'aise.

— Elle était marrante et différente des autres filles qui passaient leur temps à se coiffer et se remaquiller dans les toilettes. Elle était naturellement belle et s'affichait bien plus mature que toutes les nanas de l'école réunie.

— Oh c'est mignon ! rougit mon ancienne petite amie en me poussant de sa main.

— Et vous vous êtes mis ensemble quand ?

Nous nous échangeons un regard avec Sasha. Fronçant les sourcils, elle était tout comme moi : en train de décompter pour retrouver l'année de nos seize ans.

— 90 ? questionné-je.

— Non, 89 James. Jusqu'à ce que vous partiez Simon et toi à Paris en 91.

— Ouais, voilà, c'est ça. Deux ans, affirmé-je.

1989. Charlie n'était même pas née. La réalité me frappe comme un coup de massue en plein sur le crâne.

— Et vous n'avez jamais essayé de reprendre tous les deux ? Même à ton retour ?

Le silence coupable se sent tellement que Simon se redresse et nous lâche un :

— Bande d'enfoirés ! Vous avez remis ça ? Et quand ?

— Et bien quelque temps après votre retour jusqu'à ce que je rencontre Kurt.

— Et moi qu'il y ait Lauren dans ma vie, finis-je par glisser naturellement.

— Vous faites une belle bande de traîtres. J'étais le second mousquetaire ! Vous auriez pu me mettre dans la confidence ?

— Il y a des choses qui ne se disent pas, assure Sasha avec fierté.

— Et vous arrivez à rester amis après tout ce temps ! s'exclame Hannah, admirative.

— Parce que la base de notre relation était amicale avant d'être amoureuse, certifié-je en lançant un coup d'oeil à Sasha.

— Oh la la ! Mais qu'est-ce que j'ai pu être amoureuse de toi ! s'écrie Sasha en positionnant ses mains de part et d'autre de ses joues.

Je souris. C'est vrai. Elle a été très amoureuse de moi. Autant que Lauren. Elle m'a pardonné de nombreuses incartades lors de ma première année à Paris. C'est une raison pour laquelle j'ai arrêté notre relation, pour ne plus la faire souffrir.

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