Londres [1/5]

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Paul me dépose chez moi à Chelsea, avant de retrouver Betsy chez eux. Je reprends mes quelques habitudes anglaises et me prépare à l'avance, évitant de m'attarder en cet appartement où tout me rappelle Lauren.

Le lounge bar May Fair, dans le quartier portant le même nom, est un lieu où nous aimons nous retrouver autour de cocktails et de petits menus à déguster. Parfois, nous pouvons tomber sur quelques célébrités de la chanson britannique ou acteurs de cinéma. C'est pourquoi, ce soir, je tiens à leur donner rendez-vous dans ce bar londonien des plus branchés.

Je serre la main au patron, une vieille connaissance et salue le serveur :

And then how are you, Taylor ? On m'a dit que tu avais un peu laissé ton travail de côté pour enseigner à Paris ? Tu n'as pas fait ça ? Enseigner tes talents aux frogs ? Prétentieux et arrogants comme ils sont, ils ont autorisé un Anglais à les aider ? J'en suis bien étonné.

— Neil, tous les Parisiens ne sont pas comme ça ! Crois-moi, il y a tant de belles choses à voir et à connaître dans cette ville. Certes, le happy hour n'est pas mieux que chez nous, mais ça reste convivial.

— Et les femmes est-ce vrai ? Les belles femmes françaises restent toujours à la hauteur de leur réputation ?

— Bien au-dessus d'ailleurs, murmuré-je en lui adressant un clin d'œil.

— Tu ne changeras jamais.

— Tu es bien content que les froggies viennent dans ton bar. Ne me dis pas qu'ils ne consomment pas ?

— Ce ne sont pas mes meilleurs clients, dit-il tout bas en essuyant quelques verres.

— Mauvaise foi ! souris-je en jetant un regard à la salle. Dis-moi tu aurais une place pour le groupe ?

— Bien sûr. Viens, je vais vous installer ici. Simon va venir ? demande-t-il en contournant son bar.

— Tu crois qu'il louperait une soirée comme celle-ci ? lui attesté-je en le suivant.

— Il a bien trop d'ardeur juvénile pour s'en priver ! Tu veux quelque chose en attendant ? me propose-t-il me montrant un coin dans un renfoncement arrondi, ouvert sur la salle et entouré de banquettes avec une table basse en verre.

— Ce que tu fais de mieux.

À peine arrivée, Betsy se rue sur moi pour me serrer le plus fort possible dans ses bras. Ma belle-sœur est mariée à Paul depuis vingt-huit ans déjà et ils sont parents de deux enfants, tous les deux majeurs : John et Kathleen. Ils sont suivis de près par Sasha. D'origine jamaïcaine, ses dreadlocks sont relevées en queue de cheval haute et un sourire radieux illumine son visage, à l'instant même où elle m'aperçoit. Mon amie d'enfance est la troisième mousquetaire de l'époque du secondaire avec Simon et moi.

Sur ses talons, Daniel et William. Eux sont en couple depuis des années. Architectes de métier, ils profitent des petits bonheurs de la vie et leurs teints bronzés, plutôt rouges, prouvent que leur retour d'Australie n'est pas très loin derrière eux.

Il ne manque plus que Simon et Hannah qui sont encore en train de travailler. Lors de mon appel avant de venir au May Fair Bar, mon adjoint m'a précisé qu'il n'aurait qu'un tout petit peu de retard et qu'il était préférable que j'aille réserver la table avant qu'il n'y ait plus de place. Hannah, elle, est la petite dernière du groupe. Il y a trois ans, Lauren l'a embauchée pour un emploi de médiation à la galerie. Elle est très professionnelle.

— Je suis heureux d'être parmi vous ! me réjouis-je en les voyant tous autour de moi.

— Et nous donc ! Ça nous fait tellement de bien de te voir en-dehors de chez toi sans broyer du noir, s'exclame Sasha m'embrassant affectueusement la joue, avant de lui rendre la pareille, main déposée au creux de son dos.

— Et quelle élégance ! Tu es beau. Le costume, la coiffure, dis donc ! Même ta barbe mal rasée te rend séduisant. Tu as vraiment bonne mine, me fait remarquer Betsy en me frottant l'épaule.

— Doucement chérie. N'oublie pas que tu es mariée, blague Paul.

— Merci Betsy, remercié-je en faisant la bise à Dany et Willy. Vous buvez quelque chose ? Ça sera une vodka pour moi. Et vous ? demandé-je en passant la commande tandis que Neil s'approche de nous.

— Deux, répond Sasha. Betsy pareil ?

— Oui, s'il te plaît.

— Un Gin tonic pour moi, demande Paul.

— Pour nous ça sera une bouteille de vin blanc, commande Willy.

— Non, rouge ! Tu sais bien que Simon c'est rouge et Hannah adore ça aussi, précise Dany.

— Bon, rouge. Avec un petit mojito à côté aussi, ajoute son mari.

— Ce que vous êtes chiants ! Je vous amène des accompagnements, plaisante Neil en levant les yeux au ciel.

Thanks guy.

Assis sur les banquettes en similicuir vert eau, je m'enfonce sur le dossier rond et prends rapidement des nouvelles de tout le monde. Le restaurant de Paul marche bien. Il se situe dans le quartier de Soho, à Leicester Square. Sa cuisine est renommée pour ses saveurs revisitées et éclectiques. Lauren et moi les avions aidés, Betsy et lui, à trouver un emplacement près de notre galerie d'art. Paul est le parfait opposé de Betsy, calme, doux et totalement épris de sa femme. Il aime lui laisser le contrôle sur lui et la famille. C'est un homme assez rêveur pour ne pas dire à côté de la plaque. Néanmoins comme dit le proverbe : « Méfie-toi de l'eau qui dort ».

Betsy est professeur d'architecture médiévale et anime une émission sur les secrets de l'architecture et l'art décoratif la semaine sur la chaîne Discovery.

Quand je suis arrivé en tant que stagiaire et que Lauren et moi commencions à nous fréquenter, c'était elle qui avait affirmé à sa sœur que j'étais le bon. Elle aime mon élégance et mon éloquence, la diplomatie et la courtoisie que je manie.

Daniel et William tiennent une entreprise d'architecture intérieure. Simon les avait rencontrés un soir dans un club et nous les avait présentés : c'était eux qui avaient refait notre appartement à Chelsea. C'est en leur compagnie que j'ai passé mes meilleures et mes plus lamentables soirées londoniennes. Il a fallu des mois à Simon pour se remettre de ces nuits blanches. Lauren n'aimait pas les clubs. Elle était bien plus casanière et préférait se retrouver avec un bon livre face à la cheminée. Nombres de ces beuveries où je rentrais dans un mauvais état ! À peine le temps d'un café précédé d'une douche, je débarquais au travail en retard et d'une humeur massacrante, une tête à effrayer un non voyant et puant l'alcool à plein nez. Pour l'élégance, j'avais été bien mieux. Mon épouse avait été très patiente. Bien heureusement, mon côté vagabond et arrogant a changé au cours des années en sa compagnie.

Et puis, il y a Sasha, en pleine écriture de son livre. Romancière polar à succès dont je n'ai lu que quelques-uns, principalement les premiers chapitres. Je ne suis pas fan de roman à suspense, même si je considère mon amie brillante dans son domaine. Elle a été ma première relation amoureuse durable durant le secondaire : mon premier amour pour ainsi dire. Nous sommes restés amis par la suite. Plus tard, nos chemins se sont séparés dès que nous avons choisis des facultés différentes. Simon et moi sommes partis à Paris pour entreprendre nos études artistiques, alors que Sasha est restée à Londres pour poursuivre les siennes en Lettres. Rien ne nous a empêché de continuer à nous voir secrètement, jusqu'à ce qu'elle rencontre Kurt, un caribéen venu de la Jamaïque, et moi, Lauren. Depuis, je suis veuf et elle, elle est tombée dans les statistiques des divorces.

William me vante l'art déco futuriste et moderne en vogue ces derniers temps, lorsque Simon fait son entrée avec Hannah. Sa prestance de séducteur fait toujours son petit effet quand il entre dans un bar. Aujourd'hui encore, elle ne fait pas exception à la règle. Hannah, derrière, a l'habitude de se le trimbaler partout avec elle. Sa moue montre à quel point ils ont dû passer la journée à s'envoyer des piques. Je n'ai jamais bien compris comment ces deux-là arrivaient à travailler ensemble. Qui aime bien, châtie bien, je suppose.

— Hi Armstrong, it's okay chef ? Tu n'aurais pas pris un peu de bide ? balance Simon à Neil en poussant son ventre du doigt.

Shut up ! gronde le patron.

Good evening the big family ! jubile-t-il en levant les bras grands ouverts au milieu du bar. Bonsoir ma beauté, ajoute-t-il en embrassant Betsy sur le front, une tape sur l'épaule de Paul.

— Flatteur, va ! lance Betsy en mignotant.

— Où sont mes bichons ? dit-il en cherchant des yeux le couple gay de la bande.

— Là ! On vient de te prendre un bon rouge pour toi et Hannah, annonce William en levant une main discrètement, les jambes croisées, son verre de mojito dans l'autre.

— Servez-lui un truc plus fort. Elle en a bien besoin vu la tête qu'elle m'a mis aujourd'hui avec son histoire de gestion d'art graphique.

— Et mettez lui une gifle de ma part pour l'endormir que je ne l'entende plus, poursuit Hannah en désignant sèchement Simon avec la tête.

Il éclate de rire en enlaçant Sasha par le cou. Une claque derrière la tête de Daniel pour la lui faire tourner et lui dire bonsoir, il finit par pincer la joue à William. Quand il s'approche de moi, c'est pour me mettre le bras autour du cou comme un vieux frère et s'exclamer, le front posé contre le mien :

— Je suis heureux de te voir, wanker.

Enfin, il s'assoit et laisse une place pour Hannah près de lui.

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